Philippe Bilger
Les violences, les insultes et les dégradations, lors de la visite du président de la République au Salon de l’agriculture, ont été inadmissibles. Parce qu’elles émanaient d’agriculteurs et d’éleveurs en colère, elles seraient tolérables ?
Pour ma part, j’ai suffisamment reproché au gouvernement son permanent « deux poids deux mesures » pour tomber dans ce panneau et justifier le pire, d’où qu’il émane dans notre démocratie.
La situation de l’agriculture française n’est pas bonne. On sait que 60000 exploitations au moins sont au bord du gouffre. Les revendications sont légitimes et les protestations acceptables. Mais pas le reste.
Qu’on incrimine le pouvoir avec ce qu’autorise la République, soit. Qu’on le fustige, rien de plus normal. Il est sans doute excessif de lui faire porter toute la responsabilité d’une crise et d’un désastre qui ne résultent pas que de son incurie.
On ne doit pas douter de ses efforts sur le plan européen mais qui peut penser que l’état de la France aujourd’hui et ses résultats peuvent influencer favorablement et convaincre nos partenaires européens ? Notre poids politique et économique est devenu si inconsistant que je considère que notre ministre de l’Agriculture a même du courage en se rendant dans ces instances où notre parole n’est plus fondée que sur le crédit qu’elle s’octroie.
C’est ce que je reproche au président de la République. Il fait de petits coups alors que nous aurions besoin d’un chef capable d’arpenter les grands espaces, de nous dessiner l’avenir et de se battre, en même temps, contre ce que le présent a d’insupportable. Il a traîné pour remplacer Christiane Taubira par Jean-Jacques Urvoas. Il semble valider les humiliations qu’Emmanuel Macron subit, précisément parce qu’il représente le seul espoir d’une gauche aux abois. En revanche il ne réagit pas à la charge de Martine Aubry alors qu’entendre celle-ci se vanter de la modernité qu’elle représenterait dépasse l’entendement !
Au Salon de l’agriculture, odieusement vilipendé, sans broncher il a déclaré « la colère, je l’entends et je la comprends » et, plus tard, « je suis venu pour ces cris ».
A la longue cela relève du procédé et devient une recette, une habitude mécanique. Croire qu’il va étouffer ce qui le combat et avoir gain de cause, tout simplement en se donnant le beau rôle de l’empathie et quasiment de l’approbation, n’est plus tenable. A chaque fois il espère qu’il sera félicité pour sa compréhension à défaut de l’être pour son action. Pour sa personnalité plutôt que pour sa politique.
Une telle démarche serait déjà navrante par temps calmes mais dans une période troublée elle est suicidaire. Elle paraît valider le constat amer qui est formulé sur sa pratique présidentielle et la bonne volonté stérile de son gouvernement. Elle accompagne le délitement avec un sourire navré mais ne lui résiste pas.
Les agriculteurs excités n’exigent pas de François Hollande qu’il entende et comprenne « leur colère » mais qu’il la prévienne, la rende inutile. Ils ne manquent pas d’un psychologue mais d’un battant. On est loin du compte.
Ce qui s’est passé au Salon est condamnable mais c’est la déplorable rançon d’une
politique impuissante et d’une démocratie dégradée.
J’ai encore et toujours les anaphores de 2012 dans la tête.
Quelle chute !