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La proposition de loi de Patrick Bloche est critiquée à la fois par les patrons de presse et les syndicats des journalistes. Quant à l’opposition, elle dénonce les nouveaux pouvoirs qui pourraient être accordés au CSA.

Portée par le député socialiste Patrick Bloche, la proposition de loi visant à « renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias » est discutée mardi après-midi à l’Assemblée. Le texte vise à étendre les pouvoirs du CSA, renforcer le secret des sources des journalistes mais aussi leur permettre d’invoquer leur « intime conviction professionnelle ».

L’intime conviction professionnelle

Ainsi, le rapporteur veut permettre aux journalistes de refuser d’écrire un article ou de réaliser tout acte contraire à leur « intime conviction professionnelle ». Un droit actuellement reconnu pour les seuls journalistes de l’audiovisuel public. Patrick Bloch veut donc l’étendre à l’ensemble de la profession.
En d’autres termes, avec ce texte, « Vincent Bolloré se serait retrouvé en infraction avec la convention de Canal +« , explique Patrick Bloche à Télérama. En effet, en juillet dernier, Mediapart rapportait que le nouveau patron de Canal + aurait personnellement fait censurer une enquête sur le Crédit mutuel qui devait être diffusé sur la chaîne cryptée. Une information démentie par l’intéressé.

Pour Vincent Lanier, le secrétaire du Syndicat national des journalistes (SNJ), cette proposition de loi n’est pas suffisante, même si elle constitue « une avancée » :

Le problème avec ce texte, c’est que l’intime conviction reste un droit individuel. Au SNJ, on pense qu’il faut donner des droits plus importants à l’équipe rédactionnelle pour éviter le type de censure que l’on a pu connaitre avec Bolloré. C’est un premier pas, mais ce n’est pas suffisant. Vincent Lanier, 1er secréatiare du SNJ

Pas suffisante pour les uns, cette proposition de loi est jugée dangereuse pour les autres… Mais tous s’accordent à dire qu’elle a été faite dans l’urgence après « l’affaire Bolloré ». Pourquoi cette urgence ? s’interroge d’ailleurs le député LR Christian Kert.

Interrogé sur l’affaire Bolloré, Denis Bouchez, le directeur du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), va plus loin et réfute toute mainmise des actionnaires sur la ligne éditoriale des médias :

Mais elles sont où les pressions des actionnaires ? Denis Bouchez, président du SPQN

Pour lui comme pour Christian Kert, cette notion d’intime conviction des journalistes est « beaucoup trop vague ». A terme, ils estiment même que cela provoquera des conflits au sein des journaux.

Denis Bouchez prend l’exemple d’un article sur l’islam radical :

Si je demande à un journaliste de faire un article sur la radicalisation de l’islam, il pourra invoquer son intime conviction professionnelle pour me dire que, de son point de vue, il n’y a pas de radicalisation de l’islam. Et donc il peut y avoir des problèmes (…) Ce n’est pas une bonne chose de créer ce droit-là, l’intime conviction professionnelle n’est absolument pas démontrable et donc on ne sait plus du tout comment la gérer. Denis Bouchez, président du SPQN

Une charte pour encadrer cette notion

Alors pour définir et encadrer cette notion, 22 députés du parti Les Républicains, dont Jean-François Copé et Christian Kert, ont amendé cet article 1. Ainsi à partir de 2017, lorsqu’un journaliste signera son contrat, il acceptera, de fait, la charte déontologique de l’entreprise.

Cette disposition a fait bondir le SNJ, qui estime que ce nouvel amendement, « va provoquer le morcellement de l’éthique » :

On va se retrouver avec des chartes à géométrie variable en fonction des entreprises. Un journaliste qui change d’entreprise va donc changer sa façon d’interpréter son intime conviction professionnelle. L’idéal serait vraiment une charte unique pour toute la presse. Là, on va morceler l’éthique ! Les journalistes de BFM n’auront pas la même éthique que ceux d’iTELE… C’est grotesque. Vincent Lanier , 1er secrétaire du SNJ

Faux, répond le député Christian Kert (Les Républicains). Selon lui, il n’est pas question de morceler l’éthique mais juste de répondre aux préoccupations des journalistes qui diffèrent selon le type de médias pour lesquels ils travaillent. Aussi, les rédactions qui ne possèdent pas encore de charte auront jusqu’au 1er juillet 2017 pour en adopter une.

De son côté, le groupe socialiste, républicain et citoyen à l’Assemblée a fait adopter un amendement qui permettra au comité d’entreprise de présenter, une fois par an et de « manière transparente », le nombre de recours effectués par des salariés pour non-respect de l’intime conviction des journalistes.

Renforcer la protection du secret des sources

Les députés ont aussi réintroduit un amendement visant à renforcer la protection du secret des sources des journalistes, en adoptant à l’unanimité des propositions de la communiste Marie-George Buffet et du socialiste Michel Pouzol qui ont repris des dispositions déjà adoptées en commission en décembre 2013, mais jamais votées en séance.

Ainsi, avec ce nouvel amendement, les journalistes mais aussi les personnes travaillant au sein d’une entreprise de presse, ne pourront « en aucun cas être obligée de révéler [leurs] sources ». L’amendement définit aussi ce qu’est une atteinte au secret des sources.

Mais Christian Kert (LR) considère que « cela va devenir très compliqué d’être patron de presse » :

Je suis favorable à cet amendement sur le secret des sources mais avec l’intime conviction professionnelle, ça va devenir très difficile d’être patron d’un groupe de presse. Le journaliste pourra refuser de faire un reportage. Et le patron de presse ne pourra pas lui demander selon quelles sources d’informations il a conclu qu’il ne pouvait pas faire ce reportage. Christian Kert, député LR

A contrario, pour le SNJ, cet amendement ne va pas assez loin.

La proposition de loi prévoit que si une entreprise de presse ne respecte pas ces principes, cela pourrait entraîner « la suspension de tout ou partie des aides publiques, directes et indirectes, dont elle bénéficie ».

Quel rôle pour le CSA ?

Enfin, le texte redéfinit le rôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Si cette loi était adoptée, le CSA devra s’assurer « que les intérêts économiques des actionnaires des éditeurs de services de communication audiovisuelle et de leurs annonceurs ne portent aucune atteinte aux principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information et des programmes. »

Sur cette partie, tous les opposants au texte s’accordent à dire que le CSA ne peut se voir disposer ces nouveaux pouvoirs. En cause, son manque indépendance face aux pouvoirs publics.

Le CSA n’est pas légitime sur ce genre de sujet, parce que c’est une instance administrative composée de membres nommés par les pouvoirs politiques. Il ne présente pas assez d’indépendance par rapport au pouvoir politique. Vincent Lanier, 1er secrétaire du SNJ

Pirouette du député Christian Kert : selon lui, avec de texte, le nouveau ministre de la communication serait désormais… le président du CSA…

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