Des centaines de réfugiés bloqués à Idomeni dans la boue et le froid

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Une petite fille à l’abri d’une tente de fortune dans les environs d’Idomeni.
© AP / Vadim Ghirda

Depuis onze jours, Abu et sa femme, des Kurdes irakiens de Kirkouk, campaient près de la station-service de Polykastro, à une vingtaine de kilomètres de la frontière macédonienne. Mercredi matin, ils se sont postés au bord de l’autoroute pour faire du stop et rejoindre le camp d’Idomeni, accolé à celle-ci. «Les choses vont bouger avec la réunion des Européens [ce jeudi à Bruxelles]. La frontière va peut-être s’ouvrir: nous devons être sur place pour passer tout de suite.»

A Polykastro, entre 2000 et 3000 personnes essaient de se protéger du froid humide dans les petites tentes offertes par les organisations humanitaires. Deux fois par jour, ils reçoivent un sandwich au fromage et une petite bouteille d’eau. A Idomeni, ils sont 11 000, dans la boue. En tout, explique Babar Baloch, le porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 20 000 personnes, dont un bon tiers d’enfants, sont bloquées dans le nord de la Grèce, dans des conditions sanitaires de plus en plus catastrophiques. Faute d’hygiène, la gale se répand, ainsi que la varicelle ou les maladies broncho-pulmonaires.

La vie s’organise malgré tout dans l’immense bourbier: des femmes ont improvisé un lavoir près d’une canalisation qui dégoutte en plein champ, des barbiers offrent leurs services aux abords des tentes. Dans une allée, des Irakiens vendent du thé, qui bouillit dans un grand chaudron, 50 centimes d’euros la tasse. «Le thé a meilleur goût quand on le prépare sur un feu de bois», assure Ahmad avec grand sérieux. Sur la voie ferrée, à quelques dizaines de mètres de la frontière fermée, un jeune homme de Damas brandit, immobile, un panneau réclamant au soleil de revenir. «Demain, j’enverrai un message à Dieu: s’il existe, il devra bien me répondre.» De temps en temps, une chanson retentit dans le camp, tandis que clignote, en lettres lumineuses rouges, en anglais, grec et arabe, le message Welcome in Idomeni.

Abdurrahman arpente les allées du camp, le bras en bandoulière. Lundi, ce jeune Yézidi de Syrie a fait partie du groupe qui a forcé la frontière. De 1000 à 1500 réfugiés se sont dirigés vers le village de Chamilo, à deux ou trois kilomètres d’Idomeni, puis ils ont traversé un affluent du Vardar pour pénétrer en Macédoine. L’armée et la police les ont très vite bloqués. Les réfugiés ont été aussitôt expulsés en Grèce, ainsi que les journalistes et les volontaires étrangers qui les accompagnaient – ces derniers ont dû s’acquitter d’une amende de 250 euros et ont été interdits de séjour en Macédoine pour six mois. Les plus malchanceux, comme Abdurrahman, ont été sévèrement passés à tabac: le jeune homme a eu deux doigts cassés, le coude fêlé. La «marche de l’espoir» avait été annoncée par des tracts circulant dans le camp, signés d’un mystérieux groupe de volontaires allemands.

Abdurrahman essaie de trouver du réconfort auprès de ses amis, qui ne l’ont pas suivi dans l’aventure. «Je me suis caché pour passer en Turquie, j’ai failli me noyer en traversant la mer Egée. Maintenant, je ne veux plus rien faire d’illégal», explique Youssouf. «En Allemagne, en Suisse, partout en Europe, je pourrais obtenir l’asile, mais je suis bloqué ici à cause de la Macédoine. Si l’Europe a encore un peu de morale, elle finira bien par faire ouvrir cette frontière. Sinon, je reviendrai peut-être à Athènes pour m’inscrire dans les programmes de relocalisation qu’offre l’Union européenne. Et si rien n’est possible, je resterai ici. De toute façon, il n’est pas question de revenir en arrière.»

Ces programmes de «relocalisation» constituent, en théorie, la dernière chance des candidats à l’exil. Partout, des affiches expliquent la procédure à suivre. Pour tenter de limiter la catastrophe humanitaire en cours, le HCR essaie de convaincre les réfugiés de rejoindre les camps que la Grèce est en train d’édifier, mais bien peu se laissent tenter. Ibrahim, un Syrien d’une soixantaine d’années, s’y est rendu avec sa famille. «Les camps sont gardés par l’armée. Je suis revenu à Idomeni, car je ne veux pas me laisser enfermer, si jamais le passage s’ouvrait enfin.»

Harassés par le manque de sommeil et l’interminable attente, des petits groupes errent, aux abords de l’autoroute ou dans les pauvres villages de ce nord déshérité de la Grèce. Les consommateurs attablés dans l’unique café de Chamilo regardent passer trois jeunes Syriens. Un homme lâche: «Nous n’avons pas peur d’eux, nos maisons sont ouvertes et nous les aidons autant que nous pouvons. Les réfugiés ne sont pas le problème de la Grèce, mais celui de l’Europe.»

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