Marc Metdepenningen
Trois jours après l’échange de tirs à Forest, il est localisé chez un ami d’enfance, à Molenbeek, non loin de son propre domicile. La France va demander son extradition. Une longue traque de 126 jours s’est achevée.
L’homme le plus recherché d’Europe depuis les attentats de Paris du 13 novembre (130 tués) a donc été arrêté vendredi, vers 17 h, par les unités spéciales et antiterroristes de la police belge, assistés de deux policiers français (un commissaire de la sous-direction antiterroriste SDAT et un de la brigade criminelle de la PJ de Paris). Elles l’avaient logé dans un appartement situé 79 rue des Quatre-Vents, en plein cœur de Molenbeek.
Commandos djihadistes à Paris
Le seul survivant des commandos djihadistes qui avaient frappé 126 jours plus tôt au cœur de la capitale française a été blessé par un tir policier qui l’a atteint à la jambe alors qu’il refusait de se rendre.
Un de ses complices a également été blessé et a été arrêté. Il est titulaire de deux fausses identités : Monir Ahmed Alaaj (un faux passeport syrien retrouvé à Forest) et Amine Choukri (selon une fausse carte d’identité belge). Cette dernière identité avait été utilisée pour louer un appartement à Auvelais où ses empreintes avaient été découvertes. Il avait été contrôlé en compagnie de Salah Abdeslam à Ulm le 3 octobre dernier. Ses empreintes avaient alors été prélevées.
© AFP
Une opération avancée
L’opération massive de la police, initialement programmée pour samedi, avait été accélérée, selon le parquet fédéral, en raison de la révélation, vendredi à 13 h par le site du magazine Le Nouvel Observateur, de la découverte dans l’appartement forestois d’où s’étaient échappés deux fuyards, d’empreintes ADN et papillaires sur un verre, témoins manifestes d’une présence récente de Salah Abdeslam dans cette safe house, un appartement que les 6 enquêteurs, venus y mener une perquisition de routine, croyaient déserté en raison, notamment, de la coupure, il y a quelques semaines, de l’alimentation en eau et en électricité.
© ID Photo Agency Ci-dessus l’image d’une des arrestations. On ignore l’identité de l’individu, on remarque cependant une blessure à la jambe, qui correspondrait à la description de Salah Abdeslam
Le parquet fédéral n’a pas confirmé que Salah Abdeslam était l’un des deux fugitifs. L’exploitation des données retrouvées sur place et un renforcement corollaire de la surveillance étendue du réseau relationnel de Salah Abdeslam, avait permis de localiser, grâce à une écoute téléphonique, son point de chute dans le bâtiment (une propriété communale) du 79, rue des Quatre-Vents, occupé par la mère d’un de ses amis. Celui-ci avait été arrêté peu avant le déclenchement de l’opération. Les deux occupantes de l’appartement ont elles aussi été interpellées et seront présentées samedi au juge d’instruction qui devra statuer sur leur inculpation, vraisemblablement pour participation à une organisation terroriste. Les trois membres de cette famille interpellés s’identifient comme étant Abid A., Sihane A. et Djemila M.
Cinq interpellations
► Voir la vidéo de l’arrestation
Lorsque les enquêteurs se sont présentés à la porte, une personne non identifiée leur a ouvert. Une vidéo filmée par un voisin établi face à la maison ciblée montre que les policiers ont ouvert le feu sur le pas de la porte après avoir été menacés par l’occupant. Les forces spéciales ont poursuivi l’assaut, blessant dix minutes plus tard, à 16h40, Salah Abdeslam, qui a été légèrement atteint à la jambe. Ni lui ni le complice arrêté n’étaient armés lors de l’intervention. Il a été sorti menotté et boitillant, vêtu d’un polo à capuche beige et emmené à l’hôpital Saint-Pierre pour y être soigné sous la surveillance étroite des forces de l’ordre. Dès son arrestation, il a revendiqué son identité auprès des policiers qui l’emmenaient. Une prise d’empreintes l’a confirmée définitivement. Trois membres de la famille qui l’avait accueilli, Abid A., Sihane A. et Djemila M., ont été interpellés.
© Joakeem Carmans (st.)
Le début de la fin de Salah Abdeslam, que son frère Mohamed avait à plusieurs reprises appelé à se rendre sur les plateaux de télévision, s’était profilé mardi avec la découverte fortuite de ce qui semblait être une safe house, rue du Dries, à Forest.
Trois des six policiers qui procédaient à une perquisition qualifiée « d’ordinaire » avaient été blessés. Le terroriste algérien Mohamed Belkaïd avait été abattu par un sniper des forces spéciales alors qu’il tentait de tirer sur des policiers du dispositif. Des vérifications opérées depuis mardi ont permis de déterminer que Belkaïd était l’une des deux personnes contrôlées en compagnie de Salah Abdeslam le 19 septembre à la frontière austro-hongroise. Belkaïd était porteur d’une fausse carte d’identité au nom de Samir Bouzid. L’autre individu, porteur d’une fausse carte d’identité de Soufiane Kayal, n’a pas été retrouvé.
Il avait retrouvé ses complices
Samir Bouzid (Mohamed Belkaïd) et Kayal étaient considérés comme des logisticiens du groupe terroriste qui a frappé à Paris. Mounir Ahmed Alaaj, alias Mounir Choukri, était de même considéré comme un logisticien. La présence de Belkaïd et d’Ahmed Al-Hadj dans l’appartement de la rue du Dries à Forest démontre en tout cas que Salah Abdeslam a pu, après avoir jusque-là compté sur des amis d’enfance ou de son quartier de Molenbeek pour organiser sa fuite (notamment les chauffeurs qui l’ont ramené de Paris), rejoindre des membres effectifs (et armés) de sa cellule terroriste pour assurer sa clandestinité. La question qui reste posée est de savoir ce que préparait ce groupe ainsi reconstitué.

Belkaïd avait pu se fournir en armes et disposait d’au moins 14 chargeurs de kalachnikovs, d’un livre de propagande salafiste et surtout d’un drapeau de l’Etat islamique, le plus souvent utilisé pour revendiquer des attentats. Des perquisitions menées vendredi à deux autres adresses, à Molenbeek (rue de la Savonnerie) et à Jette (Mail du Topweg) portaient sur l’existence d’autres relais dont aurait pu bénéficier Salah Abdeslam, soit pour assurer sa fuite, soit pour reconstituer une cellule en vue de passer à nouveau à l’action. Ces relais semblent, à première vue, relativement peu sûrs. Privé par l’intervention policière de sa retraite forestoise, Salah Abdeslam n’a eu d’autre choix que de reprendre contact avec un membre connu de son entourage qui était sous surveillance. Il est en outre revenu dans le quartier de son enfance, accroissant le risque d’être reconnu.
« Loi du silence »
Salah, arrêté et confronté à la perspective d’une extradition en France, comme l’a annoncé le président français François Hollande lors de sa rencontre au 16 rue de la Loi avec le Premier ministre Charles Michel, répondra-t-il aux questions des enquêteurs ? Rien n’est moins sûr. Beaucoup de djihadistes se réfugient dans une loi du silence, comme Mehdi Nemmouche, le tueur du Musée juif qui, depuis son arrestation, se refuse obstinément à parler, disant se réserver pour les jurés de la cour d’assises qui le jugeront.
