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par Nicolas Keszei

À Bruxelles, la plupart des dossiers financiers qui comptent passent dans les mains du juge d’instruction Michel Claise. Aujourd’hui, quelques-unes de ses enquêtes sont ralenties par la lutte contre le terrorisme. Il a cependant accepté de répondre à nos questions en marge de la publication d’un essai sur la criminalité financière qu’il vient de faire paraître.

 © Dieter Telemans

Michel Claise, le sous-titre de votre ouvrage est « le club des Cassandre ». Pourriez-vous nous expliquer?
Cassandre était, avant la lettre, un lanceur d’alerte. C’était une femme magnifique, fille de Priam. Apollon, qui tentait de la séduire, lui a donné le don de la divination. Lorsqu’elle a refusé de céder à ses charmes, Apollon ne lui a pas retiré son don, mais il l’a frappée d’une malédiction qui fait qu’on ne la croyait jamais. Parmi les magistrats, les journalistes, les avocats et les policiers, il y a beaucoup de Cassandre, toute une série de gens qui sont au courant de l’immensité que représente le problème de la criminalité financière dans notre société mondiale. Quand on dénonce le problème dans son intensité et dans l’importance de son impact, on ne nous croit pas.

À quel niveau ne vous croit-on pas?
D’abord au niveau politique, incontestablement. Ou alors, on ne veut pas nous croire, ce qui serait pire. Il y a un recul politique actuel dans la lutte contre la criminalité financière qui est frappant. Est-ce le néolibéralisme qui est en route avec la volonté de flirter avec les entreprises illicites? Au niveau de la population, par contre, les choses changent. Il y a des gens qui se rendent compte que quelque chose ne va pas. Le plus bel exemple, ce sont les indignés, en Espagne. Souvent, dans le métro ou au restaurant, les gens viennent me demander ce qu’on peut faire. Je leur réponds qu’il n’y a pas 36 solutions. On peut voter, mais on n’est pas suivis. On peut s’indigner, aussi. Il faut que les réseaux sociaux s’emparent du phénomène et qu’on arrive à un mouvement qui puisse déboucher sur une solution de nature politique.

« La radicalisation pose problème parce que ce n’est pas un enseignement qui peut être visé par une sanction pénale. »

Vous appelez à la création d’une nouvelle formation politique?
Oui. C’est urgent. Ma fonction me permet difficilement de lancer cela, mais je pousse les gens à le faire.

En parlant de recul politique de la lutte contre la criminalité financière, où en est-on avec le démantèlement de l’OCDEFO, la cellule policière chargée de cette lutte?
Le démantèlement a été partiel. Il y a eu une telle levée de boucliers que le ministre de l’Intérieur a partiellement fait marche arrière. On a maintenu l’équipe chargée de la fraude à la TVA, mais on a réduit les capacités administratives de l’OCDEFO. Mais il y a une volonté réelle de casser tout élément fédéral.

Cela vient des nationalistes?
À mon avis, oui. Mais cela vient peut-être également de l’état-major de la police qui n’a peut-être pas assez la mainmise sur cet office central. Je n’en sais rien.

Votre travail s’en ressent-il?
Oui, bien sûr, mais il n’y a pas que le problème de l’OCDEFO. Le problème est général à la police et aux divisions spécialisées DR4 et DR5 (lutte contre le blanchiment, la fraude fiscale,…), il y a un manque de moyens généralisé. Quand je reçois un dossier du parquet, j’envoie une demande à la police fédérale pour qu’on me désigne des enquêteurs. Je reçois très régulièrement des réponses en me disant qu’on n’a pas la capacité de le traiter. C’est honteux!

Que deviennent ces dossiers non traités?
J’essaie de trouver une zone de police locale pour les traiter et si ça ne va pas, je les renvoie au parquet et c’est un déni de justice.

« La lutte contre le terrorisme, actuellement, me mange énormément de moyens. »

La lutte menée actuellement contre le terrorisme vous empêche-t-elle d’avancer sur vos enquêtes?
Oui, mes enquêtes financières sont retardées, je dénonce cette situation. Le terrorisme, actuellement, me mange énormément de moyens. Moi, je veux bien, mais la lutte contre la criminalité financière est imbriquée dans la lutte contre le terrorisme.

Actuellement, quand on parle de terrorisme, on pense immédiatement à la radicalisation. Comment combattre ce phénomène?
La radicalisation pose problème parce qu’actuellement, ce n’est pas un enseignement qui, comme tel, peut être visé par une sanction pénale. Il faut créer une infraction pénale bien ciblée qui n’est pas un recul démocratique de notre part, mais qui nous permettrait de fermer les écoles coraniques et les mosquées subventionnées par des États voyous et dont l’unique but est le racrapotement de la communauté musulmane – ô combien respectable par ailleurs.

Vous plaidez pour une pénalisation de la radicalisation?
Oui, c’est quelque chose qu’il faut travailler. Il faut être plus attentif à savoir ce qu’il se dit dans les écoles coraniques pour mieux fermer celles qui constituent la base même du chancre de notre société. Mais cela ne se fera pas en cinq minutes. La charia, par exemple, contient des infractions, comme la condamnation de l’apostasie et de l’homosexualité. Promouvoir la charia peut contenir des éléments d’appel à la violence. Il faut étendre l’impact de la radicalisation à ceux qui permettent aux imams de promouvoir la charia.

« Il faut pénaliser l’enseignement de la charia lorsqu’il introduit un système contraire à nos lois. »

Vous voulez pénaliser la charia?
En tout cas l’enseignement de celle-ci, dans le sens où il s’agit d’un système normatif et juridictionnel incompatible avec nos règles occidentales. Il faut pénaliser l’enseignement de la charia lorsqu’il vise à introduire dans notre système un système contraire à nos lois qui entraîne une application de ces règles de façon secrète.

Visez-vous également le Coran?
Non, le Coran appartient à la communauté religieuse, nous n’avons pas à le viser, mais si on lie des messages du Coran à des actes contraires à nos valeurs, cela ne va pas. La liberté de culte doit rester absolue.

Ce que vous dites implique une présence dans les mosquées et dans les écoles coraniques?
C’est en cela que la loi doit être efficace. Il faut instaurer un contrôle sur l’enseignement. Il faut pouvoir assurer un contrôle physique dans les écoles coraniques et les mosquées, mais il faut également surveiller ceux qui financent ces écoles et ces mosquées, qu’il s’agisse d’ASBL ou d’États.

Le combat contre la criminalité financière est une lutte quotidienne. Récemment, un procès pour fraude fiscale a débouché sur un acquittement parce que les pièces étaient entrées illégalement dans la procédure. Tous les moyens sont-ils bons pour lutter contre la criminalité financière?
Tous les moyens tant qu’ils sont légaux. Il faut respecter l’État de droit, mais, d’un autre côté, il faut aussi combattre l’État de droit qui passe notamment par l’abus de procédures dans le chef d’avocats très qualifiés. Ce qui m’énerve de plus en plus, ce sont les attaques dont nous sommes victimes, y compris sur notre vie privée, venant de personnes qui, lorsque le dossier avance trop, préfèrent jouer le tibia plutôt que le ballon.

« Pourquoi ce sont toujours les juges financiers qui apparaissent comme des voyous. »

Êtes-vous menacé dans votre fonction de juge?
Oui, mais il ne faut pas craindre la menace. En réalité, quand elle vient, elle n’est pas crédible. Ce sont souvent des contre-stratégies. Toucher à l’atteinte ou à l’honneur, c’est un truc tout à fait classique. Mais pourquoi, dans le monde entier, se fait-il que ce sont toujours les juges financiers qui apparaissent comme des voyous, que l’on attaque sur leur vie privée? C’est forcément parce qu’on dérange, parce que nous touchons à des intérêts importants.

Vous dites que pour les professionnels de la finance, il n’y pas de profit honnête ou malhonnête. Il n’y a que le profit. N’est-ce pas un peu exagéré?
Il faut mettre cela en pondération avec un autre chapitre de mon ouvrage qui dit que les règles fiscales et sociales sont tellement complexes que l’on tombe rapidement dans la délinquance sans le vouloir. Cela ne va pas. Il faut une simplification et un assouplissement des règles pour permettre d’étendre la notion de profit légal. Moi, je n’ai rien contre le profit, le capitalisme fait partie de notre société. On peut en penser ce que l’on veut, mais autant que ce capitalisme soit sain, ce que j’appelle un capitalisme social, qui est dirigé vers le bonheur des gens.

Une affaire assez récente de délit d’initiés s’est clôturée par une transaction pénale. Dans votre livre, vous dites que cette procédure est injuste. Pourquoi?
Selon que vous serez puissant ou misérable… Quand on a de l’argent, on s’en sort. Même s’il est injuste, ce système permet de clôturer rapidement les dossiers et de ramener de l’argent dans les caisses de l’État. Il y a d’autres systèmes injustes. Lorsque vous êtes condamné à une amende de 50 euros, il y en a pour qui cela représente 0,5 euro, d’autres pour qui cela représente un mois de loisirs. L’injustice est partout dans notre société, mais je ne suis pas contre le système.

Votre dernier chapitre s’intitule « Belgium no point ». Ce n’est pas très encourageant.
Quel point pourrait-on lui accorder? C’est quand même absurde que l’on se retrouve dans des situations invraisemblables sur le plan budgétaire, qu’on réduit la Justice à rien alors qu’elle est encore capable de rapporter des sous à l’État ou qu’on lui marche encore dessus. C’est cela qui me sidère et ça, c’est la vérité pure, simple et objective. C’est une catastrophe.

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