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FlyDubaï, heures de travail, intimidation, le profit, pilotes, surmenage des pilotes

Suite au scandale de FlyDubai, les pilotes d’Emirates, la plus importante compagnie aérienne du Moyen-Orient, ont indiqué à RT que l’entreprise trompait les pilotes sur leurs horaires en prolongeant illégalement les heures de travail.
Tous les pilotes du transporteur établi à Dubaï qui ont contacté RT, par téléphone ou par e-mail, l’ont fait sous condition d’anonymat. Certains ont confié littéralement avoir peur pour leur vie, les gens, aux Emirats Arabes Unis, pouvant «disparaitre».
Economiser, aux dépends des pilotes… et de la sécurité des passagers
Alors qu’Emirates montre dans ses publicités une flotte d’avions modernes et un service luxueux, il y existerait une crise dans les conditions d’embauche qui pourrait conduire à des conséquences désastreuses.
Un ancien pilote d’Emirates a expliqué à RT que la première chose à étudier est le problème de la fatigue, sept pilotes de la compagnie aérienne étant forcés d’abattre la même quantité de travail que 10 ou 11 pilotes dans n’importe quelle compagnie européenne.
«Evidemment, ces pilotes doivent travailler beaucoup plus et ont moins de temps à consacrer à leur sommeil et à leur récupération», a-t-il noté, soulignant les possibles conséquences catastrophiques d’une telle routine.
La raison de ces écarts réside dans le profit, a expliqué le pilote, ajoutant que la compagnie essayait d’économiser de l’argent au lieu d’embaucher le nombre nécessaire de pilotes pour effectuer une telle charge de travail : «La compagnie aérienne souhaite exploiter au maximum les pilotes parce que les pilotes coûtent de l’argent. Alors ils veulent garder cet argent et exploiter les pilotes».
Selon un autre pilote qui travaille toujours pour Emirates, le nombre de pilotes au sein de la compagnie a diminué. «Ils ne sont pas capables d’employer assez de pilotes pour compenser les pertes. Ce qui se passe alors, c’est que les pilotes travaillent de plus en plus. La situation empire», a-t-il décrit.
Un troisième pilote a confié avoir été intimidé dans le cadre d’un rapport sur une situation potentiellement dangereuse qui devait être résolue, ainsi que pour avoir pris un congé maladie à cause de la pression émotionnelle. Il a poursuivi en évoquant ce qu’il considère comme une crise de l’emploi au sein de l’entreprise, qui influence les pilotes restants.
«Il y a un gros problème car beaucoup [de pilotes] expérimentés quittent aujourd’hui l’entreprise puisqu’ils ne veulent pas cautionner ce système basé sur la peur. Voilà pourquoi les gens démissionnent. Cela signifie que moins de personnes piloteront les avions, et, sans nouveaux arrivants, cela implique plus de travail pour les pilotes restants. Leurs heures de travail augmenterons énormément, ainsi que leur fatigue et leurs maladies», a-t-il dit.
La supercherie des heures de travail
Un autre aspect des abus présumés que subissent les pilotes d’Emirates réside dans la manipulation des horaires, qui élargit une journée de travail en ne comptant pas le temps de préparation passé par les pilotes à l’aéroport avant ce qui s’appelle «l’enregistrement».
Un ancien pilote a précisé qu’en utilisant cette technique, la compagnie omettait «illégalement» d’enregistrer «une heure… et cela arrive sur chaque vol».
En prenant en considération les rotations serrées et décalages horaires, cela ajoute chaque mois du stress supplémentaire pour les pilotes. «Si vous jetez un coup d’œil sur les tâches que les pilotes exercent […] une heure supplémentaire représente vraiment beaucoup et cela rend les vols illégaux, le travail global étant beaucoup plus lourd qu’il ne devrait l’être», a expliqué l’ancien pilote.
A part l’enregistrement électronique, les pilotes doivent prendre en charge leurs bagages, passer le contrôle de passeport, lire le briefing du vol qui «peut représenter facilement une centaine de pages de documentation» et ensuite en discuter avec le deuxième pilote.
Un autre pilote de la compagnie a aussi confirmé que beaucoup de fatigue était causée par la manipulation des horaires. Les équipages se plaignent de surmenage «tout le temps», mais comme Emirates arrange les règles en sa faveur, cela donne l’apparence d’une situation parfaitement légale.
Tactiques d’intimidation
Une des problématiques qui accompagnerait l’épuisement des pilotes est que en faire état est dénigré et largement évité, a révélé l’ancien pilote d’Emirates, ajoutant que la compagnie utilisait souvent des techniques d’intimidation pour empêcher toute protestation.
«[Les pilotes] n’ont pas assez de temps pour dormir et ils [n’ont personne vers qui se tourner]. Ma compagnie ne les écoutera pas, les punira s’ils tombent malades. Et l’autorité aéronautique n’acceptera aucun appel des pilotes», a-t-il fait savoir.
Par ailleurs, comme la majorité des pilotes essayent de cacher leur épuisement en prenant des congés maladie, ils sont limités à seulement deux jours d’arrêt maladie par mois.
Le pilote toujours en fonction a décrit certaines tactiques utilisées par la compagnie pour menacer les employés afin qu’ils taisent leur sentiment. «Ils feront une enquête pour déterminer si vous êtes en dépression, si vous abusez d’alcool ou encore sur d’autres choses. Ainsi, la plupart des pilotes ne se déclarent pas fatigués alors qu’ils le sont».
Le pilote a noté que prendre un congé maladie était plus facile car cela ne serait pas présent sur le dossier du pilote à la General Civil Aviation Authority (GCAA) du pays. «Je sais que la plupart des pilotes ne se qualifieront pas de fatigués par crainte de représailles, ils se déclarent malades».
L’ancien pilote a fait écho à ces paroles, expliquant que «si vous avez un certain nombre de congés maladie, vous recevrez une note indiquant que “votre présence n’est pas suffisante“. C’est un environnement dangereux, qui pousse les gens à leur limite et les poussent vers la maladie.»
L’autorité aéronautique couvre les rapports
Dans cette interview à RT, l’ancien pilote d’Emirates a souligné aussi l’absence de contrôle approprié par l’autorité aéronautique de Dubaï qui exacerbe ce problème de la fatigue des pilotes. «L’autorité aéronautique de l’UAE, appelé General Civil Aviation Authority (GCAA) ne peut pas [assurer] sous le gouvernement de Dubaï [le contrôle] indépendant de ces transporteurs aériens».
Les pilotes n’ont plus d’autorité vers qui se tourner et tous les rapports concernant ces problèmes sont rapidement «cachés», selon l’ancien employé qui a souligné qu’une telle faute grave serait impossible dans les compagnies européenne et américaine, où une instance de surveillance de l’aviation indépendante contrôle les procédures.
Le pilote d’Emirates a expliqué que l’autorité aéronautique était contrôlée par les mêmes personnes qui sont en charge de la compagnie aérienne, précisant que la GCAA était présidée par le Directeur Général de Emirates Airlines & Group, Cheikh Ahmed Bin Saeed Al-Maktoum.
Les pilotes ont confié leur histoire à RT après la mention de la fatigue comme facteur du crash du Boeing 737 du 19 novembre. L’avion de FlyDubai s’est écrasé la semaine dernière à Rostov-sur-le-Don, tuant les 32 personnes à bord. Suite à cette tragédie, un ancien pilote de la compagnie avait dit à RT que c’était la compagnie qui avait forcé le pilote à travailler alors qu’il était surmené.
L’équipe de RT a également obtenu le carnet de vol d’Alejandro Cruz Alava, le co-pilote du vol FZ981, qui confirme les dires de cet ancien capitaine. En effet, ce document indique que le co-pilote avait travaillé onze jours de suite, avec une seule journée de repos, la veille du crash.