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 par Bruno colmant

Les jeunes apprennent que la crise serait une réplique de celle des années Trente, mais rien n’est dit sur leur avenir.

A l’instar de ce qui se passe dans tous les autres pays européens, ces jeunes ne comprennent pas que les problèmes de la génération à laquelle ils succèdent ont été arbitrés à leur détriment. L’emploi se dissipe, et ils entendent qu’ils seront débiteurs des dettes de la génération précédente.

Ils prennent conscience du fardeau de l’endettement public, qu’ils ne voudront, ni n’arriveront à éponger. Pire, ils perdent confiance. En eux et en leur pays. Certains le quittent d’ailleurs.

Alors, que leur expliquer ? Au cours des trente dernières années, quelque chose doit s’être fissuré dans l’économie belge. Jadis, le pays était l’un des plus florissants du monde. Aujourd’hui, la Belgique a compris qu’une partie de son avenir était derrière elle.

Bien sûr, on argumentera que l‘économie s’est mondialisée et qu’il n’est que logique qu’un petit pays se dilue dans des agrégats plus importants. Les polarités de développement se sont inversées et la croissance s’est exilée.

Depuis dix-sept ans, l’Euro a pris le relais du franc belge. Pourtant, si la Belgique est la capitale de l’Europe, c’est plutôt l’Europe qui se réunit à Bruxelles. Le Royaume n’est protégé par aucune géographie défensive et son ouverture territoriale en accentue la dépendance.

Mais il y a autre chose. Pas un naufrage, mais plutôt une infime et inéluctable dérive. Une morosité silencieuse. Une résignation. De nombreux citoyens le ressentent, mais peu l’expriment. C’est un sentiment flou, teinté d’amertume des grandeurs passées et d’incompréhension des réalités modernes.

Une nostalgie des années soixante où le pays promettait à ses élites aux meilleures destinées et l’insouciance du plein-emploi. Peu avant, la royauté avait vacillé avant d’être mise au vote. Heureusement, la croissance des années d’après-guerre avait pris le relais de la perte des colonies.

Quelle est l’origine de cette transformation ? Il y a, bien sûr, des facteurs circonstanciels qui sous-tendent la diffusion de l’économie de marché : accès à l’information, détente mondiale des flux de commerce, déliquescence des régimes totalitaires, responsabilisation accrue souhaitée par les agents économiques.

Cette évolution relève aussi de l’effacement d’un effet d’optique. Celui-ci a conduit nos communautés à confondre la croissance d’après-guerre avec une tendance de fond. Or, on le sait aujourd’hui : cette croissance a fondé la répartition des richesses, alors qu’elle n’était qu’un effet d’aubaine.

Au-delà de ces éléments factuels, il y a un autre facteur, dont nous soupçonnons qu’il est d’une envergure considérable. C’est la perte des valeurs supérieures qui contraignaient la pensée collective.

La mue des pouvoirs publics est aussi évidente. Le premier choc est probablement apparu au cours des années trente. La Belgique est sortie très appauvrie de la Première guerre mondiale et les politiques monétaires qui l’ont suivie étaient insensées. A l’époque, le franc belge a dû être dévalué jusqu’à des tréfonds abyssaux en période d’instabilité politique et de perte des repères militaires.

L’après-guerre a permis la reconstruction du pays et, surtout, il y avait le Congo, cette inépuisable réserve de matières premières et ce relais d’une économie nationale qui devenait étriquée. L’industrie était extractive. Elle transformait la matière première.

Après l’indépendance des colonies et les deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979, il y eut la perte de la tradition industrielle. Les capitaines d’entreprises belges étaient mondialement connus. Ses ingénieurs faisaient la fierté des écoles polytechniques. Et surtout, la Belgique, c’était le charbon, l’acier et les constructions métalliques et navales.

Mais l’économie entamait un nouveau cycle : l’entrée dans le secteur tertiaire. Les ingénieurs cédèrent le pas aux financiers. Cette transition fut pénible et les gouvernements de l’époque firent du cabotage budgétaire. Personne ne le leur reprochera, car les cycles passés étaient révolus.

Pourtant, l’accablement qui en résulta n’était pas une transition obligée. De nombreux pays, parfois moins bien situés que la Belgique, ont surmonté ces difficultés tout en conservant ou en faisant croître l’esprit d’entreprise et en développant des leaders ambitieux dans de nombreux secteurs.

Et finalement, lorsque le chercheur écarte l’accessoire du principal, il lui reste une cause, sans doute impudique, qui fut marquante dans les années septante et quatre-vingt : la pusillanimité de l’Etat. Ou plutôt, le constat d’un État qui perd son autorité face à une administration qui s’alourdit au sein de structures d’Etat qui se complexifient en se désagrégeant.

Les chercheurs le savent bien et le verdict de l’histoire est constant : tous les pays qui expérimentent cette mauvaise chimie d’un pouvoir politique fragmenté et d’un corps administratif lourd en ont été durablement affaiblis. Cela conduit aux manques de prospectives, à la politisation des postes à responsabilités, à l’étouffement des compétences qui voudraient se révéler, mais surtout à l’inhibition de l’action décisive. Ni détruite, ni épanouie, l’énergie collective a été absorbée par les pouvoirs publics.

Cela conduisit, il y a 20-30 ans, à un Etat peu visionnaire et trop introverti. Une économie planique n’est, bien sûr, pas meilleure et les choses ont, pour partie, été corrigée au cours de la dernière décennie. Il y a eu un déficit de perspective et de stratégie.

D’aucuns citeront alors les revendications communautaires comme déclencheur des défiances économiques. Rien n’est sans doute plus faux. Ce n’est pas la régionalisation qui est en cause : des pays prospères, tel la Suisse, l’ont expérimenté dans le respect total des différences et des démocraties. Il serait trop facile de supposer que les exigences communautaires sont à blâmer, même si, indéniablement, les structures de financement peuvent introduire des rigidités pénibles et dommageables.

D’ailleurs, qui pourrait avancer que des revendications d’identité culturelle ne soient pas légitimes ? Si des revendications régionales entrainaient une déconfiture économique, cela se serait constaté dans de nombreux pays. Or ce n’est pas le cas.

Ce qui est singulier en Belgique, c’est la superposition des pouvoirs. A-t-on choisi une certaine inefficacité institutionnelle comme prix à payer pour l’unité ? Peut-être. Mais le choix du modèle n’a jamais été effectué. L’Etat est resté suspendu entre une formulation révolue et des configurations inaccomplies.

Et puis, l’État n’a peut-être pas donné assez confiance.

Il souffre de l’incapacité à accepter l’économie de marché dans laquelle l’Europe et immergée, en tentant de maintenir un modèle social des années d’après-guerre, erronément perçu comme le rempart d’un marché globalisé. Singulièrement, l’Etat est devenu fort, mais dans son rôle administratif plutôt qu’incitatif.

http://blogs.lecho.be/colmant/2016/03/r%C3%A9flexions-%C3%A9parses.html