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Luis Grases

Les attaques terroristes à Paris, puis à Bruxelles, ont renvoyé l’image d’une Union européenne se limitant à une addition de nations incapables de se mettre d’accord ou mettre en œuvre des mécanismes communs.

« Les États doivent partager toutes les informations sur le terrorisme avec Europol, systématiquement et sans retard. »

Cette exigence a été formulée par les dirigeants européens à l’issue d’un sommet extraordinaire le 21 septembre 2001. Quinze années ont passé. Les islamistes ont ensanglanté Madrid, Londres, Paris, Bruxelles et, à nouveau, l’utilité de l’Union européenne et sa capacité à réagir sont interrogées.

« Êtes-vous vraiment sérieux cette fois-ci ? »

Rarement le ton n’avait été aussi dur entre la presse et les représentants des institutions que ce jeudi 25 mars, à l’issue d’une réunion extraordinaire des ministres de l’Intérieur de l’UE, convoquée deux jours après le double attentat de Bruxelles, dont l’un commis à une station de métro du lieu de leur réunion.

Les outils sont là

Les ministres venaient, une nouvelle fois, de s’engager à mettre en œuvre une série de mesures adoptées en novembre 2015.

« Je comprends votre scepticisme », a déclaré le représentant de la présidence néerlandaise de l’UE.

Cette fois-ci, promis juré, les Européens vont faire ce qu’ils se sont engagés à faire. « Sinon, la prochaine fois, ils seront tenus pour responsables », a averti le commissaire aux Migrations, Dimitris Avramopoulos.

« Les outils sont là, a-t-il insisté. Il suffit de les mettre en œuvre. »

Les États-Unis attendent beaucoup de l’Union européenne pour lutter contre la menace djihadiste. Mais « aujourd’hui, de nombreux pays européens ne s’alertent pas entre eux quand ils arrêtent un suspect djihadiste à leur frontière, ou quand un passeport est volé », a déploré Hillary Clinton.

« Et l’Union européenne ne cesse de repousser le vote pour partager les données des voyageurs aériens », a-t-elle asséné. L’ex-secrétaire d’État, candidate démocrate pour la Maison Blanche, ne force pas vraiment le trait dans ses critiques.

Un PNR croupion

Le fichier européen des passagers des avions (PNR) sera soumis au vote du Parlement le 21 avril.

« Le projet sera adopté, mais il s’agira d’un PNR croupion, d’une addition de 28 systèmes différents de fichage des passagers, sans échange obligatoire d’informations », a déploré Guy Verhofstadt, président de l’ALDE.

« Les responsables français refusent le partage systématique d’informations sur les déplacements des suspects et ils rendent le système aussi inutile à la lutte contre le terrorisme que la déchéance de la nationalité », a accusé l’ancien Premier ministre belge. Les Allemands se montrent aussi rétifs face à un système jugé attentatoire aux libertés individuelles.

Or, la France a préféré une loi européenne à un règlement qui aurait pu entrer immédiatement en vigueur dès son adoption. La loi permet plus de possibilités d’interprétations, expliquent les diplomates français. Mais elle impose une ratification par les 28, ce qui pourrait prendre deux années.

Défiance pour le partage

Même défiance pour le partage des renseignements et des données judiciaires. Un Centre européen contre le terrorisme (ECTC) a été créé au sein d’Europol.

« Si les informations sont partagées, Europol peut faire des miracles », soutient le commissaire Avramopoulos. Seulement les États ne sont pas partageurs.

« Ce n’est pas dans la culture des services de renseignements de partager avec la police », explique Gilles de Kerchove, le coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme.

« Le centre recense 2 700 noms de suspects. Or les Européens recrutés par les mouvements islamistes radicaux sont au moins 5 000 », souligne-t-il.

La France accepte de partager les informations obtenues par ses services de renseignements, mais elle le fait de manière discrétionnaire. « Le manque de confiance entre les membres de l’UE bloque ce partage », expliquent les diplomates. « La collecte du renseignement est difficile, périlleuse, et la sécurité des sources prime », soutiennent-ils pour expliquer les réticences à la création d’une agence européenne du renseignement.

La sécurité amputée par l’austérité

« Il faut cesser de confondre renseignement et informations policières et judiciaires », insiste l’eurodéputé français Arnaud Danjean (LR/PPE), ancien des services de renseignements.

« La coopération en matière de renseignement existe et peut se renforcer sans qu’il soit nécessaire de créer une bureaucratie européenne. En revanche, une plateforme européenne d’échanges est possible pour les données de police et de justice », assure-t-il.

Mais tous les pays n’ont pas la même culture sécuritaire, et dans beaucoup d’entre eux, les mesures d’austérité imposées par la discipline budgétaire européenne ont réduit les moyens alloués à la sécurité, déplore Gilles de Kerchove.