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De passage à Paris, le 23 mars, le commissaire à la déontologie de l’assemblée du Québec, Jacques Saint-Laurent, a expliqué à Contexte son rôle et ses pouvoirs.

La mise en place du dispositif québécois de contrôle de l’éthique a-t-elle suscité beaucoup de réticences de la part de la classe politique ?
Le projet de loi créant un code d’éthique et de déontologie a été discuté à la fin de l’année 2010 et adopté à l’unanimité, après des débats passionnés. Il a fait l’objet d’un examen minutieux en commission, avec beaucoup de débats et d’interrogations pour fixer la liste des éléments qui doivent figurer dans les déclarations d’intérêts et de patrimoine des élus.
Les élus voulaient se doter d’un outil de maintien de la confiance de la population à leur égard, mais désiraient également préserver leur indépendance. La crainte existait, en l’absence d’expérience d’un tel dispositif, que ce code ne puisse porter atteinte aux activités et à la liberté des parlementaires.
La première année, les élus ont été étonnés des informations – parfois jugées indiscrètes – à fournir, au moment de remplir leur déclaration de patrimoine. Ils se demandaient si la confidentialité de leurs déclarations serait assurée.
Les réticences des élus se sont-elles apaisées ? Le code de déontologie est-il entré dans les mœurs ?
Mon équipe a passé beaucoup de temps à faire de la pédagogie auprès des élus. Nous avons eu à faire la preuve du sérieux de notre organisation, pour montrer qu’il n’y aurait pas d’opération d’exhibitionnisme.
Ce rôle de conseil est un travail de longue haleine, voire infini, car les gens sont portés parfois à oublier l’éthique et peuvent retomber dans leurs pratiques usuelles. Cela m’amène à faire quelques rappels à tous sur l’importance de respecter les règles déontologiques.
Les questions sur les interdictions d’exercer certaines fonctions, pour les ministres et membres de cabinets qui cessent leur activité, ont été nombreuses. J’ai préparé un document pour servir de guide, et les gens ont globalement respecté mes recommandations.
Alors que nous avons eu deux élections générales, en 2012 et 2014, avec à chaque fois un changement de majorité, je n’ai rencontré que deux cas problématiques. Ils concernaient des membres de cabinets ministériels et ont été réglés sans avoir besoin d’ouvrir d’enquête.
Avez-vous eu à gérer des dossiers médiatiquement sensibles ?
J’ai eu à traiter, dès la première année, le cas d’un ancien ministre, qui avait commis des manquements antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi. Il se faisait payer des dépenses par une entreprise, et en réclamait le remboursement auprès de l’État. Il a été exclu de son parti, mais avait conservé son poste de député.
Comme il ne voulait plus parler aux journalistes, il avait décidé de ne plus venir au Parlement, tout en continuant à être rémunéré. Dès que le code est entré en vigueur, je lui ai demandé, par écrit, de revenir, ce qu’il n’a pas fait. J’ai alors ouvert une enquête, à mon initiative, et l’ai sanctionné pour absentéisme, un manquement au code de conduite.
Le dispositif québécois autorise les députés à demander au commissaire d’enquêter sur d’autres élus ou des ministres. Comment éviter que le déontologue ne soit instrumentalisé ?
La loi prévoit un garde-fou, car la crainte était présente. Si le commissaire fait une enquête à la demande d’un député et constate que celle-ci a été formulée de mauvaise foi ou dans l’intention de nuire, celui qui a demandé l’ouverture de l’enquête peut être sanctionné.
Le cas ne s’est jamais produit. En revanche, certains députés m’ont appelé avant pour s’assurer que leur demande d’enquête était appropriée. J’ai essayé de les rassurer, sans leur donner de conclusions prématurées sur le résultat d’un dossier que je n’avais pas encore mené. La sanction ne peut intervenir qu’en présence d’une base factuelle permettant de prouver la mauvaise foi. La décision n’est pas arbitraire.
Quels sont vos moyens humains et matériels ? Sont-ils suffisants ?
Je dispose de cinq collaborateurs et d’un budget annuel d’environ 500 000 euros. Ces moyens sont suffisants et je peux toujours, en cours de mandat, m’adresser au Bureau de l’Assemblée si la situation le requiert.
Sur le plan légal, j’ai des pouvoirs assez coercitifs. Je peux mener des enquêtes et formuler des demandes écrites aux ministres et aux députés. Si la demande n’est pas suivie d’une réponse adéquate, je peux constater un manquement et lancer une enquête pour refus de répondre à une demande écrite.
Mais ma principale responsabilité reste d’être un conseiller. Je mets le plus d’énergie possible sur la prévention, pour que les élus viennent me consulter avant d’être dans une situation problématique.
Quels sont vos rapports avec les autres autorités de contrôle parlementaire, comme le commissaire au lobbyisme du Québec, ou encore les déontologues des autres parlements canadiens ?
J’ai des contacts très réguliers avec le commissaire au lobbyisme, Jacques Casgrain, qui est un ami. Nous pouvons faire des enquêtes conjointes. Même si nous n’avons jamais utilisé formellement cette possibilité, il nous est arrivé plusieurs fois de nous concerter sur le cas de députés qui avaient commis des manquements à la fois déontologiques et aux règles sur le lobbyisme. Un rapprochement des deux instances est actuellement à l’étude.
Le réseau canadien des déontologues parlementaires fonctionne bien. Il ne produit aucun document officiel, mais nous permet de nous connaître personnellement pour faciliter les contacts et échanges d’expérience. Cela m’a beaucoup servi, notamment pour le contrôle des déclarations d’intérêts. La commissaire canadienne, qui exerce au Parlement fédéral, produit régulièrement des documents de présentation de l’état de la législation sur le sujet.
Vous arrivez au terme de votre mandat et avez choisi de ne pas vous représenter. Comment sera désigné votre successeur ? Quel est le profil recherché ?
Le commissaire est nommé pour cinq ans renouvelables. J’arrive à 65 ans, l’âge de la retraite. Je ne me voyais pas recommencer. Des personnes nouvelles apporteront des améliorations à cette organisation encore jeune.
La nomination de mon successeur doit se faire à la majorité des deux tiers, ce qui implique un accord politique, aucune formation n’ayant cette majorité actuellement. La négociation n’est pas facile, mais je n’y suis pas associé. J’apprendrai mon remplacement lors du vote.
Dans les différents parlements régionaux, plusieurs commissaires sont des juges à la retraite. Nous sommes sujets à beaucoup de critiques de la part des élus. Il faut être solide pour résister à la contestation interne. Un ancien magistrat est indépendant et ne se laisse pas intimider.