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À certains égards, le pavlovisme n’est pas très différent du béhaviorisme et de son schéma stimulus-réponse : il n’y a pas de nature humaine – nous sommes tous des pages vierges sur lesquelles s’inscrit le texte venu du monde extérieur. Tout ce que nous sommes est le résultat de l’apprentissage. Tout ceci n’est pas sans conséquences politiques. Le béhaviourisme connaît un grand succès aux U.S.A., à la fois comme science « purement américaine », dont le pragmatisme s’oppose aux complications de la psychologie européenne plus littéraire et comme message optimiste : si les hommes sont le produit de l’environnement, c’est qu’ils sont au départ foncièrement égaux et qu’ils peuvent toujours être améliorés. Quant à Pavlov, il va devenir le psychologue officiel de l’U.R..S.S. et sa théorie du réflexe, la science orthodoxe conciliable avec le marxisme : en effet, si l’homme peut être ainsi conditionné, rien n’empêche d’espérer produire l’homme nouveau promis par le socialisme, débarrassé des tares de la psychologie bourgeoise. Vision à laquelle adhére entièrement Tchakotine : après avoir été un praticien de la propagande social-démocrate face à celle du NSDAP, il se réfugie en URSS et chante la gloire de Staline.
En dépit de ses simplifications théoriques et de ses compromissions idéologiques, Tchakhotine reste pourtant un auteur incontournable sur la question, ne serait-ce que par la manière dont il a contribué à répandre la peur d’une propagande toute-puissante qui permettrait demain aux minorités de dominer les foules hypnotisées, en s’adressant « directement à leur inconscient » et en profitant de leur suggestibilité.
Quelle est la théorie qui explique ainsi le conditionnement des masses par le slogan et l’image ? Elle repose sur l’idée d’association. Nous sommes mus, dit en substance Tchakhotine, par quatre pulsions fondamentales : combative, alimentaire, sexuelle, parentale d’où découlent toutes les réactions humaines. La propagande consiste à créer à travers des symboles, si possible simples, visuels, répétitifs, faciles à interpréter, un équivalent du réflexe conditionné. Ce n’est plus l’objet réel (repas, partenaire sexuel, enfant à protéger, adversaire à vaincre) qui sera désiré par le sujet, mais l’objet imaginaire qui lui a été substitué. Ainsi, la pulsion maternelle est comme redirigée vers le parti national-socialiste au fur et à mesure que le sujet est exposé à des affiches montrant une mère et son enfant blond associés à la croix gammée.
À partir de ce schéma de base – l’inconscient manipulé par des symboles – Tchakhotine retrace une histoire terrifiante des symboles efficaces, montrant comment la propagande qui fait le moins appel à la discussion et à la raison et qui recourt le plus aux logos simples, slogans répétitifs et emblèmes évidents est souvent la plus opérante.
Foules hypnotisées, foules violées (le propagandiste tenant ici le rôle du mâle brutal face à la foule femelle et passive), ère des masses, robots psychiques, véritables « chiens de Pavlov » conditionnés sans le savoir : toute une mythologie terrifiante s’est mise en place qui fait de la propagande l’arme absolue d’une Histoire faite par les minorités.