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Daisy Lorenzi Entre septembre février 2015, division d’Abu Sayyaf contribuer 72% 289,5 millions dollars provenant ressources naturelles l’EI.
  • Entre septembre et février 2015, la division d’Abu Sayyaf va contribuer à 72% des 289,5 millions de dollars provenant des ressources naturelles de l’EI. – David Rose / Rex Featur/REX/SIPA

Le Wall Street Journal a eu accès aux documents retrouvés lors de la mort d’Abou Sayyaf, l’un des hauts responsables de l’Etat islamique, chargé de superviser la production pétrolière et gazière.

La mort d’Abou Sayyaf avait été qualifiée de « coup dur » par l’état-major américain : en mai 2015, un raid de l’armée américaine provoquait la mort de celui que Washington considérait comme le « financier » de l’organisation Etat islamique (EI).

En charge de la supervision de la production de pétrole et de gaz du groupe terroriste, le rôle d’Abou Sayyaf allait de l’accroissement de la production, à la relation avec les acheteurs, mais aussi de l’organisation de la reconstruction des raffineries détruites par les raids de la coalition internationale… En outre, Abou Sayyaf veillait également aux dépenses liées aux esclaves.

Lors de l’opération qui lui a coûté la vie, 32 autres djihadistes et quatre chefs ont été tués. Mais surtout, l’armée américaine a mis la main sur une quantité de documents et de vidéos de l’organisation. Des fichiers qui apportent de précieuses informations sur l’organisation financière de l’EI et dont le Wall Street Journal (WSJ) a pu consulter une partie. Le WSJ décrit comment l’EI a réussi à construire une multinationale du pétrole, avec l’aide d’officier « obsédés » par l’idée de maximiser les profits.

Un chef régnant par la terreur

Fathi ben Awn ben Jildi Murad al-Tunisi, de son nom de guerre Abou Sayyaf, est né dans les années 1980 au sein de la classe moyenne de Tunis. Il rejoint l’organisation Al-Qaïda en Irak en 2003, après la chute de Saddam Hussein. Son allégeance au groupe Etat islamique reste trouble, mais c’est en 2010 qu’il prendrait le nom de guerre d’Abou Sayyaf.

Lors de la création du ministère des ressources naturelles de l’EI en 2014, Abou Sayyaf est chargé de superviser la production de pétrole dans les provinces stratégiques d’Hassaké et Deir ez-Zor. C’est dans cette dernière qu’il établit son QG, près du gisement d’Al Omar auparavant exploité par Shell, et depuis lequel il aura en charge 152 employés. Les témoignages décrivent Abou Sayyaf comme un chef régnant par la terreur sur les exploitations, où des décapitations pouvaient avoir lieu.

Abou Sayyaf décide alors de cesser de vendre aux négociants internationaux pour n’avoir affaire qu’à de petits revendeurs venant s’approvisionner directement aux gisements. Les paiements en dollars sont autorisés afin de faciliter les échanges : en argent liquide uniquement, pour ne pas laisser de traces pouvant être utilisées par les services de renseignements occidentaux.

40 millions de dollars de revenus en un mois

L’EI va également proposer de très généreux salaires aux ingénieurs et employés syriens qui travaillaient dans ces gisements afin de conserver leurs savoir-faire : de 160 dollars mensuels pour un comptable à 400 dollars pour un technicien de forage… quand le salaire moyen syrien avoisine les 50 dollars par mois. Les documents retrouvés nous apprennent également que la rémunération prend en compte le nombre d’esclaves et de personnes à la charge d’un employé.

Abou Sayyaf avait en outre mis en place une organisation hiérarchique donnant aux étrangers, et non aux Syriens, des postes de supervisions. Quant à la comptabilité, elle incombait à deux agents de l’EI basés hors de la région. Tout ceci visait à dissuader la corruption et les détournements d’argent.

Et cette organisation va porter ses fruits : pour le mois de novembre 2014, la division d’Abou Sayyaf va rapporter 40,7 millions de dollars de revenus, une hausse de 59 % par rapport au mois précédent. Un montant atteint les deux mois suivants. Ainsi en six mois, la division d’Abu Sayyaf va contribuer à elle seule à 72% des 289,5 millions de dollars provenant des ressources naturelles de l’EI.

Une contestation en interne

Mais l’intensification des frappes de la coalition aériennes, qui visent les gisements de pétrole et de gaz affaiblissent l’EI. Ainsi le 13 octobre, un mémo interne à l’organisation terroriste chiffre les dégâts d’une frappe sur la raffinerie de Deir ez-Zor à 500.000 dollars.

Et la contestation vient aussi en interne avec la hausse des prix du pétrole sur le territoire contrôlé par l’EI. Le groupe fait alors pression sur Abou Sayyaf pour qu’il freine artificiellement cette hausse des prix, mais ce sont alors les marges des revendeurs qui fondent. Et ces derniers ne tardent pas à accuser les responsables de l’EI, et Abou Sayyaf en particulier, de s’enrichir sur leur dos et de détourner cet argent.

D’autant qu’Abou Sayyaf fixe des différents prix selon la qualité : le prix d’un baril de pétrole provenant du gisement d’al-Tanak est ainsi de l’ordre de 32 à 41 dollars, quand ceux des gisements d’al-Omar et al-Milh varient entre 50 et 70 dollars. Des différences qui accentuent les soupçons de favoritisme.

Des vidéos retrouvées lors du raid américain semblent ainsi être liées à ses accusations. Elles montrent deux files d’attente de plusieurs centaines de camions venant s’approvisionner au gisement d’al-Omar. Interrogés, des chauffeurs affirment à un haut responsable de l’EI que les acheteurs payant plus cher le baril (10 à 20 dollars supplémentaires) sont servis en priorité. Mais le 24 février 2015, un rapport de l’EI viendra blanchir Abou Sayyaf de toute corruption.

Un million de dollars mensuels malgré les destructions d’infrastructures

Cependant la chute des prix du pétrole va vite faire s’écrouler les bénéfices de l’organisation . Fin février, les revenus mensuels provenant de l’exploitation pétrolière chutent de 20%, à 33 millions de dollars. Abou Sayyaf va alors tenter de trouver des capitaux pour relancer l’activité dans des puits laissés inactifs faute de main d’oeuvre. C’est de cette manière que l’EI va chercher à établir des relations avec des businessmen liés au régime de Bachar al-Assad, ce qu’attestent des mémos retrouvés lors de l’opération américaine.

En onze mois de frappes, les Etats-Unis estiment avoir détruit 30% des infrastructures pétrolières. Les taxes sont désormais devenues la première source de profit du groupe. Mais le WSJ nuance, rappelant que même si les ventes de pétrole en Irak et en Syrie ont chuté, elles représentent chaque jour près d’un million de dollars.