Étiquettes

, ,

Mario Draghi fait de l’ingérence. Il se sert de ses armes monétaires et les manipule pour faire converger l’Europe vers le modèle anglo-saxon.

Bruno Bertez

L’affrontement entre Draghi et le gouvernement Allemand prend une tournure nouvelle. Jusqu’à ces derniers mois, les critiques de la politique de la BCE venaient des spécialistes, membres de la Bundesbank, économistes, intellectuels voire éditorialistes allemands.

Une étape a été franchie quand Schäuble est intervenu il y a deux semaines, Schäuble est un politique. Une nouvelle étape a suivi quand ce fut le tour de Merkel. Elle a critiqué Draghi à deux reprises ces derniers jours et en plus elle est venue en soutien de Schäuble. Nous sommes en situation d’escalade.

Draghi a eu l’arrogance de rétorquer par une imbécilité disant que les politiciens attentaient à l’indépendance de la BCE, il savait que les pays du sud viendraient à sa rescousse et bien sur, ce fut le cas puisque Sapin est monté au créneau en ce sens. Ce qui est amusant, c’est que tous ces gens sont programmés, ils réagissent quand on appuie sur le bouton.

Draghi affirme «nous avons le mandat de préserver la stabilité monétaire pour toute la zone euro pas seulement pour l’Allemagne; nous obéissons à la loi, pas aux politiciens car nous sommes indépendants».

Or Draghi détourne la loi! Comme aux USA, la loi ne définit ni la stabilité des prix en termes quantitatifs, ni en terme d’indice à utiliser. De même elle ne précise pas sur quelle durée doit être mesurée l’inflation. Le Conseil des Gouverneurs a tenté de formuler une quantification de la stabilité des prix et il s’est borné à la fixer entre zéro et 2%.: «la stabilité des prix est définie comme une hausse des prix année sur année de l’index HICP pour la zone euro en dessous de 2%.» Voila non pas la loi mais son interprétation!

Contrairement aux affirmations de Draghi, le ciel de la déflation n’est pas tombé sur la tête des européens: l’an dernier au plus fort des craintes, l’indice «core» a monté de 1%, ce qui se compare à une tendance de long terme de 1,5%. Par ailleurs, la désagrégation des indices montre que la contraction de l’inflation en Europe a pour origine principale non pas le système européen lui-même et son réglage, mais l’inflation extérieure, la déflation importée comme le font souvent remarquer Weidmann et Sinn.

Draghi est bien sur de mauvaise foi, il sait très bien que ce n’est pas attenter à l’indépendance de la BCE, que de débattre et de critiquer sa politique. Attenter à l’indépendance de la BCE serait lui poser un ultimatum politique; «faites ceci ou ne faites pas cela». Or il n’en est rien nous sommes dans le cadre du débat à la fois démocratique et technique.

Mais cela Draghi ne peut pas le supporter pour plusieurs raisons:

l il n’est pas de taille intellectuelle à soutenir un débat, ce n’est ni Bernanke ni Greenspan;

l même dans les symposiums avec de grands spécialistes mondiaux, Draghi refuse de débattre, il quitte la salle quand il est interrogé; et pas seulement par des Allemands. Draghi n’accepte que l’unilatéralisme, c’est la parole du Maître. Ce n’est pas une preuve d’autorité, c’est un aveu de faiblesse.

l le pouvoir de Draghi n’est pas de nature intellectuel, Draghi ne fait pas autorité, il n’est pas une sommité théorique. Non le pouvoir de Draghi, c’est un pouvoir par défaut: il est le représentant et le symbole de l’inefficacité européenne considérée dans  son incapacité à se doter de chefs de prestige dont l’autorité ne vient pas du marchandage. Draghi est à lui, seul un mouton à cinq pattes. On ne peut être un chef autorisé dans une pétaudière ingouvernable comme l’Europe, on ne peut être que le plus petit commun dénominateur, le minimum en quelque sorte!

l il n’a aucun argument à faire valoir, les études donnent raison à ses détracteurs et non à lui même. Il n’a rien à mettre en face de ses Draghinades. Pour juger de l’efficacité de ses mesures, il ne faut pas considérer l’évolution et s’attribuer les mérites de ce qui semble positif, non, cela c’est de la mauvaise foi. Il faut mesurer le réel et le comparer à ce qui se serait passé sans les mesures que l’on a prises. Des économistes de grand renom ont modélisé l’évolution de l’économie européenne sur la base des seules variables non monétaires afin de mesurer l’évolution spontanée hors Draghinade. Et le résulta est clair, sans appel: ce que l’on a obtenu artificiellement on l’aurait obtenu spontanément par le seul jeu des variables non monétaires. Draghi prétend que sa politique a stimulé les prêts au secteur privé, il ment: les crédits cumulés au secteur privé en Eurozone en février ont atteint 10,69 trillions d’euros ce qui se compare à 10,60 trillions d’euros un an plus tôt. Les prêts au secteur privé plafonnent sans décollage et Draghi choisit des bases comparaison truquées pour prétendre que les Draghinades sont efficaces.

La manipulation monétaire sert à autre chose que ce que prétend Draghi, et on le mesure par ces modèles! La manipulation monétaire est une subvention aux pays du Sud et singulièrement à… l’Italie.

l c’est donc lui, Draghi qui fait de la politique et en plus de la politique dissymétrique en menant une politique qui n’a qu’une utilité: assurer le financement, le refinancement des dettes des pays déficitaires et leur permettre de continuer à entretenir des déficits malgré les règles de l’Union. Draghi fait de la politique lorsqu’il fait semblant de réclamer des réformes dans les pays du Sud mais qu’en même temps, il en réduit la nécessité!

l jamais on n’a entendu une analyse, un raisonnement de Draghi, jamais une innovation. Ainsi quand il a rétorqué à Merkel, tout ce qu’il a trouvé à dire, c’est qu’il faisait comme les autres, il faisait la même chose que les anglo-saxons!

Hélas, c’est précisément l’erreur. Car  la situation européenne est originale, unique, ce qui est bon pour les Anglo-Saxons, précurseurs et les dominants du monde de la finance -et de la pensée économique- ce n’est pas bon pour les seconds, les dominés.

La preuve? Les USA et les Britanniques réussissent à piloter leur devise et à la faire baisser quand ils en ont besoin tandis que Draghi n’y parvient pas! Or la baisse du change, c’est quasi le seul moyen d’obtenir un résultat positif par la politique menée par Draghi. Il faut compléter les dévaluations internes par une dévaluation externe. Draghi oublie d’une part que les Américains ne veulent pas d’une hausse du dollar et que d’autre part l’Europe a un solde extérieur très positif.

Même chose pour l’effet de richesse. La politique de la Fed a produit un effet de richesse et Draghi voudrait bien en produire un, lui aussi. Il voudrait que l’Europe se mette en Risk-on! Or les marchés financiers européens sont «serfs», ils sont plus corrélés  à la situation américaine qu’à la situation en Europe, surtout à la baisse. Les actifs européens ont monté avec les actifs américains depuis 2009, ils sont jugés comme à leur prix, sinon surévalués.  Et donc malgré les Draghinades, ils ne montent plus. Draghi n’a rien compris à l’effet de portefeuille!

La transposition des politiques monétaires, l’imitation sont  la preuve d’une indigence intellectuelle  qui confine au simplisme. Draghi n’a aucune vision, aucune analyse globale de la situation, voilà ce qu’il faut marteler et l’imitation de ce qui se passe au Centre est une incroyable erreur pour la Périphérie. Le Centre à un problème, c’est évident, mais l’UE en a deux, elle a le problème mondial comme le Centre  plus son problème de divergence intra-européenne et les solutions à l’un ne sont pas adaptées à l’autre. Elles ne pourraient l’être que si le bloc allemand sortait de l’Eurozone.

Dans une étude Natixis, l’économiste Patrick Artus se demande quel est vraiment l’objectif de la BCE quand elle met en place une politique monétaire ultra expansionniste?

Selon lui, elle ne peut pas vraiment vouloir faire remonter l’inflation: la baisse de l’inflation dans la zone euro est favorable, venant de l’accroissement de la concurrence dans les services et de la flexibilité accrue des marchés du travail. Elle ne peut pas non plus vraiment vouloir aider les entreprises à se financer, car elle voit bien que les entreprises de la zone euro n’ont plus de difficulté de financement, que ce soit par le crédit bancaire ou sur le marché obligataire.

Il ne reste alors que deux possibilités: soit la BCE désire une dépréciation beaucoup plus forte de l’euro pour soutenir la croissance de la zone euro; soit la BCE veut simplement assurer la solvabilité budgétaire des pays périphériques de la zone euro, estime l’étude.

Artus met le doigt sur le véritable conflit politique sous jacent aux critiques allemandes. Mais il faut creuser pour comprendre. Il faut comprendre que l’enjeu c’est le maintien de la pression ou non sur les Pays du Sud et surtout sur la France. Les Allemands refusent que la BCE continue d’assurer la solvabilité budgétaire des pays du Sud, ils savent que dans cette voie, on crée l’irréversible. On pérennise les déficits. Parallèlement, le consensus social et politique allemand se fissure.

Bien sur, il faut décoder car le monde de la politique est un monde ou les idées sont travesties. Les politiciens Allemands sont en difficulté avec la montée d’AfD consécutive aux erreurs de Merkel en matière de politique d’accueil des réfugiés, donc ils cherchent à noyer le poisson. En critiquant Draghi, Ils  font d’une pierre deux coups, ils font un amalgame entre le refus de la politique de Draghi et l’erreur de Merkel, ils font comme si l’un, Draghi était la cause de tout.

Le problème qui est masqué mais bien réel est le suivant: en Europe, qui doit converger vers qui? Le clan Schäuble refuse que l’Allemagne abandonne son orthodoxie séculaire, il refuse de lâcher sur le déficit budgétaire, sur l’austérité et les réformes qu’il veut imposer aux pays du Sud. Draghi veut l’inverse, il veut par sa politique monétaire créer l’irréversibilité de l’euro «soft» et forcer la main aux Allemands pour qu’ils dérivent, qu’ils fassent des déficits, qu’ils acceptent une inflation supérieure au souhaitable. Draghi veut briser le carcan Allemand, ce que les idiots utiles appellent le soi-disant carcan ordo-libéral.

Draghi veut créer l’irréversible et faire converger vers le bas, vers le modèle anglo-saxon, vers le modèle qu’il connait et approuve. Schäuble veut maintenir le cap du modèle allemand. Et cela, c’est de la haute politique, de la politique à l’échelle de l’Histoire. Celui qui fait de l’ingérence, c’est Draghi, il se sert de ses armes monétaires et les manipule à l’anglo-saxonne pour faire converger l’Europe  vers le modèle anglo saxon, le modèle Goldman Sachs.

Draghi va être obligé de se démasquer de plus en plus comme un cheval de Troie qu’il est car les contradictions se profilent à l’horizon. L’Histoire est sans  pitié. La séquence des évènements est implacable et on vient de le voir dans l’émergence du débat, juste une émergence, sur l’helicopter money. La  séquence est la suivante:

l jusqu’en 2012, quasi unanimité des économistes pour admettre la validité des thèses des Rogoff et Reinhart sur le seuil de la dette souveraine à 90% du PIB, donc on choisit de tenter de lutter contre les déficits et l’accroissement des ratios de dettes, par la baisse des dépenses et l’austérité

l puis nouvelle phase, on se rend compte au fil du temps que l’austérité ne permet pas la contraction des ratios de dettes, ils continuent d’augmenter à cause de ce que l’on appelle le multiplicateur fiscal. L’inénarrable Blanchard, le FMI et puis l’OCDE admettent qu’ils se sont trompés. Donc on abandonne le credo de l’austérité et on recherche la croissance par la stimulation monétaire à tout crin.

l c’est le temps des QE, des guidances, des promesses ou des menaces d’inflation pour augmenter la demande actuelle au détriment de la demande future etc. Hélas l’investissement reste bloqué, l’argent va dans la spéculation et inflate dangereusement les actifs anciens.

l nouvel échec, non seulement la croissance ne repart pas, elle reste inférieure aux normes, on glisse du concept du «new normal» au concept de «stagnation séculaire». Mais surtout l’inflation faiblit encore, les tendances déflationnistes reprennent de la vigueur et les risque financiers augmentent, on comprend que les stimulations financières ultra accommodantes, c’est Hotel California, on peut check-in , mais pas check-out.

l nouvelle phase, celle du dernier G20 récent. Les Institutions Internationales font le forcing pour obtenir une relance budgétaire concertée et sauver les marchés financiers, c’est un échec et ce sera chacun pour soi, accord impossible. Surtout à cause des Allemands qui sont la clef, le verrou du système. Les empêcheurs d’inflater et de «déficiter» en rond.

Nous sommes donc au pied du mur, les limites ont été touchées, l’inefficacité est patente et comme on ne veut pas changer de cadre analytique, la seule voie est celle du couplage du monétaire et celle du budgétaire et là on est obligé de passer à un autre niveau. Le niveau non plus technique, mais politique à la fois au niveau des Nations, mais aussi au niveau des représentants des peuples encore un peu souverains. Le budgétaire, c’est la souveraineté.

L’exacerbation du conflit entre Draghi et le gouvernement allemand est le signe , d’abord que les remèdes passés ont échoué, ensuite que de nouveaux remèdes sont nécessaires et enfin que ces remèdes constituent une nouvelle donne, un changement de niveau dans l’intégration ou le refus de cette intégration.

http://www.agefi.com/