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Le changement climatique est bien là et c’est urgent de s’en occuper. Pourtant, nos attitudes n’évoluent que lentement.
La COP21 à Paris en décembre 2015 et le discours donné par Mark Carney, gouverneur de la Banque centrale d’Angleterre, à Lloyd’s en septembre 2015 ont tous les deux réussi à convaincre le monde que le changement climatique est bien là et que c’est urgent de s’en occuper. Nous sommes, en fait, la première génération qui a compris cela, et la dernière génération qui pourra changer la tendance – après ce sera trop tard pour espérer de limiter le réchauffement à +2°C.
Pourtant, nos attitudes n’évoluent que lentement. Souvent quand on remarque un phénomène il est déjà installé depuis longtemps. Par exemple, savez-vous que le secteur de service domine le secteur manufacturier aux Etats-Unis depuis la fin des années 1950 (et que le secteur manufacturier ne représente plus que 13% du produit intérieur brut (PIB) américain aujourd’hui)? Il y a une sorte d’inertie collective qu’il est urgent de combattre. Le secteur de l’énergie sera transformé dans les quelques 5 à 15 ans à venir, faute de quoi nous dépasserons les 2°C de réchauffement stipulés. Au-delà de l’énergie, d’autres secteurs seront affectés tels que l’assurance ainsi que toute sorte de sociétés implantées dans des zones à risque d’inondation, tremblement de terre, cyclones, etc., et d’autres sociétés encore en suivant toute la chaine de production. En tant qu’investisseurs et épargnants, nous devons nous interroger sur la qualité des bilans des sociétés dans lesquelles nous investissons. Il se peut que dans la transition vers un monde à zéro émission de charbon mais probablement plus chaud de 2°C, la valeur des actifs sera sensiblement inférieure à celle actuellement estimée. Un consensus reste encore à réunir sur le capital à risque, mais 10% est le chiffre proposé par Covington, Thornton et Hepburn dans un article du 10 février 2016 («Global Warming: Shareholders must vote for climate-change mitigation», dans Nature). Les marchés boursiers dans le monde sont aujourd’hui valorisés à USD 64 trilliards, et la perte possible – le risque systémique du climat – serait donc USD 6.4 trilliards – égale à toute la capitalisation du marché chinois.
Si quelqu’un avait encore des doutes sur cette question, on peut souligner que Peabody, la plus grande société charbonnière dans le monde, a dû demander récemment la protection du Chapitre 11 aux Etats-Unis pour gérer sa faillite éventuelle. Suite au passage en 2012 de l’ouragan Sandy à New York, 10.000 sociétés manufacturières furent directement impactées. A Atlantic City, les casinos perdaient USD 5 millions par jour. A l’opposé, la demande d’automobiles s’est envolée ainsi que l’industrie de construction. Il y a toujours des gagnants et des perdants, mais globalement, le coût de Sandy a été estimé à USD 65 milliards, financé en partie par l’état et les compagnies d’assurance – tous deux particulièrement exposés à ce genre de risque.
Côté investissements, il faut réaménager nos portefeuilles. D’abord pour nous protéger contre ce risque de surévaluation de nos avoirs et, deuxièmement, pour inciter les sociétés à évoluer dans leur comportement. Les conclusions de la COP21 ne s’imposent pas automatiquement aux sociétés et nous pouvons supposer que les sociétés énergétiques ne vont pas se mettre en rang sans résistances, tout comme les sociétés de tabac à l’époque. Ainsi, de nombreux investisseurs ont commencé à se retirer de certains secteurs et sociétés, pour allouer ces fonds à des sociétés qui sont davantage en adéquation avec l’optique de la COP21. Le fond souverain de la Norvège, par exemple, s’est retiré de 187 sociétés sur les quatre dernières années dont 73 l’année dernière qui étaient soit productrices soit consommatrices de charbon. Dans le rapport annuel, les gestionnaires du fond disait qu’ils souhaitaient être capable de mesurer le risque de leurs investissements, et demandaient à ce que les sociétés communiquent l’impact de leurs activités sur l’environnement et sur leur profitabilité de long terme. Le cas échéant, le fond se retirait de la société. Le fond norvégien a quelques longueurs d’avance sur le reste du marché mais «être capable de mesurer le risque» est absolument fondamental pour toute stratégie d’investissement ou d’épargne. Soit vous devez vite évoluer sur ce sujet, soit vous laissez le climat mettre votre épargne en péril.
* Chief economist