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Dalton Trumbo, La république, Marion Maréchal-Le Pen, république
Par Philippe Bilger
J’admets qu’il y a plus qu’un précipice entre ces deux personnalités.
On vient de consacrer à Dalton Trumbo un film paraît-il réussi que je n’ai pas encore vu. Ce brillant scénariste fut blacklisté en raison de son appartenance au parti communiste et considéré comme un « pion de Moscou » par la Commission des activités anti-américaines (Le Canard enchaîné).
Marion Maréchal-Le Pen, elle, a suscité la polémique en formulant une appréciation jugée par certains iconoclaste, sur l’emploi fréquent du terme « République » (i-Télé, lepoint.fr).
La relation que j’opère ne me semble pas absurde et j’espère pouvoir en démontrer la validité.
Dalton Trumbo, face aux « inquisiteurs du Congrès », avait déclaré : « Il y a des questions auxquelles il ne peut être répondu oui ou non que par un imbécile ou un esclave ». Cette réplique est profonde car elle est généralisable à notre modernité qui malheureusement fait s’accorder trop souvent pauvreté du langage et médiocrité de la pensée dans les domaines où la parole publique, sous toutes ses facettes, se déploie.
Avec pour conséquence de ce cumul pour le pire, la disparition de l’intelligent et subtil ET au profit du simpliste et réducteur OU. Le triomphe pervers du OUI ou du NON qui manifeste moins l’aptitude au choix et la volonté de trancher que la tendance à l’exclusion et l’incapacité d’appréhender la complexité d’une idée, l’ambiguïté d’un sentiment, le caractère équivoque d’une position politique ou la richesse à la fois sophistiquée et troublante de multiples situations humaines.
C’est entre le OUI et le NON que l’essentiel réside. Dans cette zone que l’esprit occupe et où l’incertitude, le doute, la nuance, l’adéquation du mot et du concept sont à leur comble.
Où on ne remplit pas mécaniquement un espace parce qu’on n’a rien à dire ou que ce qu’on a à exprimer est si étique que des slogans, des pétitions de principes, des réflexes font aisément l’affaire.
Marion Maréchal-Le Pen, en se revendiquant républicaine contre ceux rares qui rêvent de la restauration de la royauté en France, avait déjà affirmé « ne pas comprendre cette obsession pour la République » (Charles) en soulignant cette évidence pourtant aujourd’hui si provocatrice que la France n’était pas née en 1789 et qu’elle avait eu une histoire avant la révolution.
A ce sujet je ne peux m’empêcher de songer à la saillie de Raymond Radiguet qui se plaignait d’avoir mal à la tête depuis 1789.
Marion Maréchal-Le Pen a renchéri en confessant qu’elle appartenait « à une génération un peu saoulée par les valeurs de la République… qu’on nous sert en permanence et dont on ne sait pas ce qu’elle recouvre, ce qui évite d’aller sur le fond des idées…Je ne confonds pas la Ve République, qui est un régime politique, avec la France… »
Immédiatement la machine à dénigrement s’est mise en branle puisque même un frontiste membre du cabinet de Marine Le Pen a éprouvé le besoin de rappeler – comme un avertissement – que « le lien entre la Nation et la République constitue l’axe central autour duquel s’articule la puissance française ».
S’affichant républicaine, Marion Maréchal-Le Pen ne semble pas en désaccord avec cette banalité superbe et rassurante mais il n’empêche qu’on comprend parfaitement ce qu’elle veut signifier quand elle dénonce l’usage abusif du terme « République », qui est du même registre que l’inachevé, l’incomplet OUI ou NON, qui sert à masquer les béances et les vides, à pallier les infirmités et à offrir un cadre solennel et superficiellement démocratique à des inconsistances ou à des poncifs.
Cette manière de colmater les brèches de l’intelligence avec la répétition lancinante de « République » – peut-être moi-même suis-je tombé dans ce travers -, en définitive dégrade l’Histoire et affadit le respect. Elle est foulée aux pieds à force d’être nommée pour rien et à tout coup.
N’étant nostalgique d’aucun autre régime, partageant totalement le trait de Winston Churchill sur sa définition de la démocratie, heureux d’être et de vivre dans cette République française, j’ose cependant confirmer une forme de saturation devant tant de « République » sans cesse invoquées qui n’ont rien à voir les unes avec les autres et qui, paradoxalement, malgré l’unité qu’on espère de ce magnifique et historique concept, divisent plus notre pays qu’elles ne le rassemblent – les grandes fusions républicaines étant toujours suivies par des lendemains qui déchantent.
Qu’y a-t-il de commun entre la République mentionnée par Nicolas Sarkozy et celle des lassants et agités verbeux de la Nuit debout ? Si le nom est le même, le pavillon identique, la substance est radicalement différente.
Rien que cette confusion permanente obligatoire devrait conduire à s’abriter avec parcimonie, avec moins d’élan grégaire, derrière ce mot de République, ce succédané de ce qu’on ne sait plus penser, définir, démontrer et proposer !
Pour la République ? Oui ou non ?
Dalton Trumbo aurait refusé de répondre et l’ivresse légère de Marion Maréchal-Le Pen serait dissipée si la République n’était pas mise à toutes les sauces et bue sans modération.