Écrit par GAZZO Yves
Votre Eminence,
Excellences,
Monsieur le Président de l’Académie de l’eau,
Monsieur le Président de l’Académie des sciences d’Outre-Mer,
Messieurs les Secrétaires perpétuels des académies de l’eau et de celle des sciences d’Outre-Mer,
Mesdames et Messieurs, Chers amis,
» L’eau, c’est la vie » comme nous le rappelle le professeur Gentilini dans sa communication faite en 2014 à l´Académie des Sciences d’Outre-Mer sur le thème de » L’eau et la santé Outre-Mer « , communication dans laquelle il met l’accent sur l’impact de l’eau sur la vie, l’absence d’eau ou des eaux de mauvaise qualité pouvant avoir des conséquences dramatiques et souvent fatales pour de nombreuses populations.
Cette » bataille » pour l’accès à l’eau revêt une acuité particulière dans plusieurs pays de la rive méridionale du bassin méditerranéen et leurs secteurs d’activité respectifs :
a) l’agriculture pour l’irrigation,
b) l’industrie pour ses productions,
c) les villes qui se développent à grande vitesse sur les côtes fragilisées,
d) le tourisme : une activité importante autour du bassin quoique imprévisible, le touriste étant très « volatile » par nature, une volatilité exacerbée par les problèmes de sécurité qui peuvent surgir ici ou là et faire changer le touriste de destination de villégiature ; le revers de la médaille de cette activité lucrative est une consommation en eau par tête de loin supérieure à celle des autochtones et une demande forte d’approvisionnement en eau, à une période de l’année où l’écosystème requiert des quantités importantes en eau pour ses cultures.
La démographie constitue un autre défi : l’augmentation régulière des populations appartenant au monde méditerranéen, (augmentation constatée principalement dans sa partie méridionale, globalement la plus sensible au « stress hydrique « ) conjuguée aux changements climatiques en cours pourrait se révéler désastreuse si rien n’est fait au plan international. Or, compte tenu de son caractère vital, de son importance dans l’économie et de son inégale distribution sur la terre en général mais plus particulièrement autour du bassin méditerranéen, la maîtrise de l’eau est soumise à de forts enjeux géopolitiques. D’où la nécessité, voire l’urgence d’engager des actions concertées au plan international comme au plan régional ; de nombreuses initiatives ont été entreprises par les Nations Unies ou par l’Union Européenne dans le cadre du dialogue avec les pays associés de la Rive Sud (partenariat Euro-Med, processus de Barcelone, politique de voisinage etc…) ; mais force est de constater que bien des projets d’accord approuvés n’ont pas été ratifiés par de nombreux pays concernés en premier chef. L’accord obtenu de haute lutte à Paris en novembre 2015 à l’occasion de la clôture de la COP 21 nous laisse cependant entrevoir un certain optimisme que tous espèrent voir conforté lors de la COP 22 qui se tiendra à Marrakech fin 2016.
Une région au bord de l’eau
Une mer au milieu des terres
Il est bon de rappeler que l’ensemble méditerranéen a été façonné par l’action de l’homme, par sa morphologie géologique et son évolution, par les conflits réguliers entre empires, civilisations ou religions. Espace de conflits, il demeure un vaste champ d’échanges commerciaux mais aussi d’idées, autour et grâce à sa mer, une mer « au milieu des terres » (Isidore de Séville, cité par Bernard Millet, la pensée de midi 2/2007 N°21). Malgré ce trait d’union entre les rives il n’est pas facile de définir cet ensemble de façon homogène : le relief y est loin d’être varié, la rive septentrionale étant caractérisée par des zones montagneuses en bordure de mer, ce qui n’est pas le cas sur la rive méridionale ; quant à la culture de l’olivier elle ne se pratique pas dans les régions arides d’Egypte voire de Libye (sauf dans la plaine de la Geffara en Tripolitaine) ni dans une partie septentrionale de l’Italie.
De même, les 22 pays et territoires bordant la méditerranée n’ont d’identité méditerranéenne que par certaines de leurs régions qui sont véritablement méditerranéennes ( la Région PACA mais pas la nouvelle région « Hauts de France etc. ). Si l’on utilise le concept plus adapté de régions, on dénombre 234 régions côtières riveraines de la mer, régions peuplées de quelques 150 millions d’habitants et qui accueillent 32 % du tourisme mondial. Au centre de ces régions une mer semi
fermée avec deux entrées, les détroits des Dardanelles et de Gibraltar, avec pour conséquence la nécessité d’attendre un siècle pour assurer son renouvellement intégral ; encore riche en biodiversité cette dernière est menacée entre autres par un intense trafic maritime (30 % du commerce mondial de fret et 25% de celui des hydrocarbures) et les risques de pollution afférents.
La technique comme remède, insuffisant cependant :
la stratégie: face aux défis perceptibles, -une offre alimentaire insuffisante par rapport à l’augmentation de population, des conflits entre utilisateurs de la ressource eau, le secteur agricole, l’industrie, les besoins d’une population urbaine en croissance constante etc… – des parades technologiques ont vu le jour comme celles basées sur le dessalement de l’eau de mer abondante. De même dans la foulée de la stratégie de l’UE concernant l’eau, « Europe 2020 », 3 secteurs prioritaires se dégagent :
a) favoriser une croissance intelligente fondée sur la connaissance et l’innovation ;
b) une croissance durable avec une économie sobre en carbone, une économie en ressources et compétitive ;
c) une économie inclus ive avec fort taux d’emploi : la gestion intégrée de cette stratégie se décline à travers la GIRE (Gestion Intégrée de Ressources en Eau) dont le but est d’intégrer les profondes mutations en cours en aidant à la recomposition des rapports entre usagers, pouvoirs officiels ou officieux etc… La GIRE, s’appuyant sur la DCE (Directive Cadre sur l’Eau) fait du concept de bassin versant l’échelle de gestion de « l’eau moderne » (Klervi Fustec : les territoires occupés palestiniens : le rôle de l’UE dans la construction politique et territoriale des enjeux de l’eau » Méditerranée 119 30 /11/2014). Le réseau méditerranéen des organismes de bassin (REMOB) essaye de son côté de promouvoir la technique de gestion intégrée au sein du réseau international des organismes de bassin ou RIOB. Cette approche doit permettre également à « l’hydro diplomatie » de jouer son rôle tel que la définit Fadi Georges COMAIR (stratégie du réseau Méditerranéen des organisations de bassin ; « Hydro-diplomatie et nouvelle masse d’eau » communication à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer 2014). Cette approche séduisante ne s’intègre cependant pas toujours dans les habitudes ancestrales de populations habituées à des modes de gestion différents ni ne permet pas d’éviter les hydro-conflits qui peuvent se déclencher à tout moment au Moyen-Orient en particulier.
une kyrielle d’initiatives. On remarquera au passage l’abondance d’initiatives et/ou de groupements établis à partir de bases thématiques, régionales etc… bien répertoriées en l’occurrence par le SEMIDE (Système Euro-Méditerranéen d’Information sur les savoir-faire dans le Domaine de l’Eau)les informations abondent sur l’évolution du SWIM (Sustainable Water Integrated Management), le INBO (Integrated Network of Basin Organisations), le projet européen de soutien à la gestion durable et efficace de la ressource en eau (SWITCH ON), le RKNOW ou le réseau régional des connaissances sur l’eau etc…. Pour résumer et au seul niveau euro-méditerranéen, en sus des initiatives « historiques » (plan d’action pour la méditerranée lancé en 1975 à Barcelone etc…) c ‘est depuis que en decembre 1996 la conférence de Marseille a lancé le SEMIDE conférence suivie par celle de Turin de 1999 qui précisera le programme de MEDA – eau que l on dispose d un panomara complet et mis à jour régulièrement des différents programmes liés à la ressource eau(projet EMPOWERS sur l’amélioration de la prise de décision dans le domaine de l’eau potable et l’assainissement ; projets MEDWA, IRWA et ISIIMM pour les eaux d’irrigation ; projet MEDROPLAN pour la gestion de la sécheresse ; projets ADIRA, EM water, MEDIAWRE et Zéro-M pour la gestion intégrée de l’approvisionnement local en eau potable et assainissement, réutilisation des eaux usées etc…
Lorsque j’étais en poste au Niger pendant la grande sécheresse de 1974, la presse occidentale faisait ses gros titres sur la soif dans le Sahel. J’avais invité un journaliste (JF. Held ) à venir voir la réalité en face : les trop nombreux troupeaux (un des effets du travail des blouses blanches, médecins et vétérinaires coopérants qui ont contribué à l’augmentation des populations humaines et animales dans un contexte éco-climatique en équilibre fragile) faisaient la queue pour s’abreuver auprès de puits artésiens forés par AREVA et gérés par le préfet et non par les éleveurs avec leurs puits traditionnels où ils effectuent la régulation bétail/eau/pâturages y compris par la force, ce que n’osait pas faire le préfet. les nouveaux arrivants n’avaient d’autres choix, malgré eux, que de piétiner pendant plusieurs jours les maigres pâturages avant d’arriver au puits et de là ensuite n’ayant plus la force de parcourir les dizaines de kilomètres avant d’atteindre une zone de pâturage aussi pauvre soit elle; illustration si il en est, des conséquences négatives d’une gestion défaillante de l’eau.
L’eau : conflit ou gestion politique ?
L’eau et son appropriation puis son utilisation deviennent de plus en plus source de tensions, certaines étant « mécaniques » (augmentation de la population) dues à une répartition inégale soit entre pays soit à l’intérieur d’un même pays, d’autres enfin, étant générées soit par la pollution de l’homme soit pour des raisons conflictuelles avec des pays voisins.
La pression démographique
La population de l’ensemble méditerranéen est passée de 285 millions en 1970 à 428millions en 2000 et devrait atteindre les 523 millions en 2025 soit un doublement entre 1970 et 2025, dont 95% sur la rive méridionale de l’ensemble ; une disparité liée en partie au peu d’enthousiasme manifesté par certains dirigeants de la rive sud pour contrôler une démographie galopante ; certains , adeptes d’une « natalité défensive », invoquent des motifs religieux voire sous-entendent un instrument à leur disposition pour prendre la main par rapport à un Occident dominant jusque-là (il faudra » nourrir les hommes » avec en sus la gestion quasi impossible du binôme « blé cher, pain pas cher « ). C’est l’ancien président Boumediene qui avertissait dès1967 qu’aucune bombe atomique ne pourrait arrêter les masses affamées du Sud attirées par les verts pâturages du Nord. Plus près de nous c’est Jacques Diouf, alors Directeur Général de la FAO, qui confirmait en avril 2007 que « les démunis ne se laisseront pas mourir sans rien faire ». De surcroît, les migrations des populations rurales vers les côtes accentuent la pression sur la ressource-eau tout en augmentant la dégradation de l’environnement tant au point de départ qu’au point d’arrivée des migrants internes.
Lors de mes enquêtes dans le sud tunisien en 1978 /79 j’avais constaté que les paysans installés traditionnellement sur les hauteurs à l’époque de la conquête arabe pour échapper aux razzia effectuées dans la plaine de la Geffara avaient mis en place un système original de captation des rares eaux de pluie pour irriguer les banquettes, les « jessours » ; avec la pacification française, suivie de l’indépendance, les lumières de la ville ont aimanté ces paysans qui fournissaient un dur labeur pour survivre ; par manque d’entretien des banquettes, l’érosion s’est installée à partir des hauteurs pour gagner la mi-pente puis la plaine. Ces paysans des hauteurs représentent un peu partout une population vieillissante (dans
tous les pays du Maghreb le pourcentage d’exploitants ayant plus de 60 ans dépasse les 20 %) peu formés (en Algérie seul 3 % de ces exploitants a reçu une formation aux techniques agricoles) ; ils disposent d’une exploitation petite, souvent sans titre foncier (lors de mes enquêtes dans le rif marocain en 1977/78, j’avais relevé que 80 % des exploitants détenaient moins de un hectare ; dans le même Rif les paysans insistaient sur leurs souhaits prioritaires : al maya wa al douw ; l’eau et l’électricité) en Egypte la superficie disponible par exploitant a diminué de moitié en 40 ans ; là aussi 80 % des exploitants cultivent sur des superficies de moins de un hectare
L’eau existe mais elle est loin d’être utilisée de façon rationnelle et efficace
Répartition inégale: l’eau a été et reste par endroit, abondante comme le souligne Michel Alhéritière « l’eau source de tension et de paix en Méditerranée » Sécurité globale 3/2012 n21) : le littoral Monténégrin de l’Adriatique qui reçoit plus d’eau ou autant que l’Ecosse ou le Pays de Galles ,les réglementations des anciens Egyptiens afin d’éviter les inondations ( loi d’Hammourabi remontant à 3000 ans AJC) des berges du Nil ou encore Braudel qui nous rappelle qu’il n’y pas si longtemps encore la malaria était le problème principal lié à l’ eau pour les populations (et cette maladie revient parfois dans des endroits où on la pensait éradiquée : Sud tunisien, Sud-Est de la Turquie etc…) et pour finir, les eaux souterraines présentes
dans cet ensemble méditerranéen, tous sont autant de rappels indiquant que l’eau existe et qu’elle est, par endroits, disponible de manière abondante. Ceci étant et dans l’ensemble, la pénurie d’eau est constatée en plusieurs endroits et de façon globale : les bassins versants de l’ensemble collectent 1% des eaux de surface du globe pour satisfaire 3 % de la population mondiale qui vit sur le pourtour méditerranéen ; ce déséquilibre se manifeste plus encore à cause d’une répartition inégale de l’eau selon les régions : ainsi des pays comme l’Algérie, la Tunisie, la Libye, la Palestine ou encore Malte vivent en situation de « stress hydrique » avec moins de 500 m3 disponible par habitant et par an. À l’inverse, on saluera l’excellente gestion des eaux de la Principauté qui, bien que dépendant fortement de l’apport extérieur ( la principauté ne produit que 25 % de l’eau consommée, le solde provenant de France et d´Italie ) traite 100% des eaux consommées et 100% des eaux usées.
la gouvernance en question: à ces pénuries liées à la répartition inégale de la ressource s’ajoutent les inégalités, les erreurs générées par l’homme.
Elles nous renvoient 3000 ans avant JC : les Sumériens avaient développé une agriculture intensive très performante dans une des plaines de l’Euphrate ; leur système d’irrigation très élaboré a, cependant, causé leur perte ; en effet l’irrigation par gravité a entrainé avec le temps une concentration de sels minéraux dans les sols qui sont devenus de moins en moins fertiles et productifs; il en est résulté le déclin de la production agricole incapable de couvrir les besoins alimentaires de la population , une situation qui aurait provoqué la ruine de cette civilisation ; plus près de nous en Libye, dans la région tripolitaine, la nappe phréatique est passée de 6 mètres dans le sous-sol dans les années 50/60 à 36 mètres en 1974, la cause étant à la fois, une politique frénétique de pompage lancée par le président Kadhafi qui souhaitait faire de la plaine de la Geffara un grand verger mais sans qu’une autorité efficace ne contrôle l’installation de stations de pompage et aussi une gabegie de l’utilisation de la ressource par les habitants de Tripoli ; l’eau de mer a pu ainsi pénétrer les nappes phréatiques contribuant à une salinisation irrémédiable de terres agricoles. Les gaspillages en tous genres de la ressource n’améliorent pas la situation : la politique des grands barrages a souvent été synonyme de gaspillage ; il est estimé que le barrage d’Assouan perd en évaporation 10 milliards de m3 par an soit 12 % du débit du Nil. Les forages de l’oasis de Koufra en Libye sont également sujets à critiques : ces forages pompent à 3000 mètres de profondeur, de l’eau dans la nappe fossile (la Nubian Sandstone Aquifer System) pour produire des fourrages au prix de revient astronomique tout en mettant l’équilibre des eaux du sous-sol en danger.
Pollutions. Des pollutions en tous genres dérivées ou pas du changement climatique (baisse prévue de la pluviométrie, hausse concomitante des températures) et combinées avec des choix économiques discutables pour les pays qui s’appuient fortement sur le tourisme, font peser des risques majeurs sur la disponibilité pérenne de cette ressource et sur sa qualité. Le secteur touristique est gros consommateur d’eau (un touriste consomme en moyenne 800 litres d’eau soit 3 fois plus qu’un habitant de Barcelone ; dans cette ville il a fallu importer de l’eau de France pendant l’été 2008 pour faire face à la demande d’eau gonflée par la pression touristique ; l’île de Chypre a également connu ce type de déficit estival et a dû importer de l’eau potable de Grèce). Quant à l’assainissement, il manque cruellement dans de nombreux endroits : un rapport de l’OMS, publié en 2015, sur les progrès réalisés dans le cadre de l’un des objectifs du millenium pour le développement (OMD) tire la sonnette d’alarme : dans le monde un individu sur trois vit sans installation sanitaire ce qui nous situe loin de l’objectif de l’accès universel à l’assainissement d’ici 2030 !
eau et conflits. Parmi les pénuries créées on ne peut passer sous silence celles dues aux états eux-mêmes. La technique des légions romaines de Trajan, qui après des mois de siège de la ville de Petra en Jordanie, consista à bloquer l’arrivée de l’eau qui alimentait les habitants de cette ville grâce à un réseau complexe et ingénieux, pour obtenir la reddition, en l’an 106 avant J.C, de cette ville merveilleuse. Cette méthode a été reprise après la période coloniale par les pays devenus ou redevenus indépendants : c’est la Turquie qui a construit une myriade de barrages en territoire Kurde (22 dans le cadre du projet de l’Anatolie du Sud-Est ou GAP) pour mieux contrôler cette population, mais qui coupe le débit de l’Euphrate en1990 pendant un mois au détriment des pays en aval, la Syrie et l’Irak et faisant au passage pression sur la
Syrie afin que celle-ci s’abstienne de soutenir les mouvements indépendantistes Kurdes en Turquie. La construction de digues et de bassins de stockage devient ainsi un instrument de légitimation des gouvernements au pouvoir, le cœur d’une politique de développement faite pour impressionner (barrages en Turquie, au Maroc, Assouan en Egypte etc…). Cependant cette politique des grands projets n’eut pas l’effet escompté et n’a pas permis de réduire de façon durable et satisfaisante l’écart entre offre et demande en eau ; au contraire, dans de nombreux cas, cette politique a contribué à la crise hydrique que l’on constate un peu partout dans ces pays, renforçant ainsi la tentation du « chantage à l’eau ». C’est pourquoi, plusieurs accords internationaux ont essayé avec des succès mitigés de mettre un peu d’ordre dans ce domaine, certains pays dits « avals » comme l’Egypte se prévalent d’un droit historique à l’obtention des eaux provenant du Nil en amont, les 10 pays « amont du Nil en dehors de l’Egypte et du Soudan ont pris en 1999 l’initiative de travailler ensemble afin de vaincre la pauvreté à travers » L’ initiative pour le bassin du Nil « ) ; d’autres comme la Turquie, se refusent à le reconnaître pour les pays en aval du Tigre et de l’Euphrate, la Syrie et l’Irak. (Yves Gazzo, XXIII ème journée de Joviac : « les problèmes de gouvernance de l’eau agricole dans le monde « )
Lorsque j’étais en poste en Ethiopie (2001/2003), j’ai assisté à une conférence donnée par un expert israélien ; en aparté je lui ai demandé pourquoi il y avait-il, à l’époque, si peu d’enthousiasme à aider les Ethiopiens à utiliser le formidable potentiel hydraulique du Nil (85 % des eaux du Nil proviennent et traversent ce grand pays) ; il me fut répondu que de grands aménagements hydro-électriques ou d’irrigation auraient un effet négatif en aval sur l’eau disponible par l’Egypte, une situation qui par ricochet pourrait se répercuter sur la sécurité d’Israël.
Concernant ce dernier pays, il est au cœur d’un conflit latent à propos de l’utilisation, entre autres, des eaux du bassin du Jourdain (source Y. Gazzo, conférence à l’université de Florence, » Il diritto all acqua « , 2010), si, dans la partie supérieure du bassin, l’eau est de bonne qualité pour se jeter dans la mer de Galilée, il n’en n’est plus de même dans le Jourdain inférieur, l’eau étant utilisée par Israël à hauteur de 60 % des quantités extraites (contre 23 % pour la Jordanie et 11% pour la Syrie ) sachant que, de surcroît, Israël contrevient aux règles internationales en détournant le Jourdain pour alimenter la mer de Galilée ; et pour corser une situation qui est déjà fort complexe, Israël n’a pas respecté non plus les accords de paix signés en 1994 avec la Jordanie, accords qui prévoyaient entre autres, une livraison annuelle de 50 millions de m3 d’eau par an ; les jordaniens accusent en effet Israël de leur livrer une eau saumâtre, impropre à la culture dans la vallée du Jourdain (source Y. Gazzo « the middle-east : is peace possible ? » Version originale 1998 ).
l’eau politique: c’est pour éviter que des conflits ne se développent de plus en plus à cause de « l’eau politique » que des accords internationaux ont vu le jour : timidement avec les règles d’ Helsinki (concept de bassin de drainage) de 1966, reprises par celles de Berlin de 2004 sous un angle plus écologique ; coté convention des Nations Unies, on retiendra celle de 1997, portant sur le droit d’utilisation des cours d’eau internationaux mais seulement 8 des 21 pays méditerranéens l’ont ratifiée à ce jour. En effet, le concept d’utilisation équitable de l’eau n’a pas trouvé un écho favorable que ce soit chez les Turcs ou chez les Egyptiens, ces derniers étant accrochés à la notion de droit historique d’usage (en 1900, l’Egypte a guerroyé contre l’Erythrée pour un problème similaire d’accès à la ressource), à cet or blanc qui est la source de tensions et de conflits pour le Nil ,mais aussi pour le Tigre et l’Euphrate ,pour l’utilisation/capture des eaux en Palestine /Israël et enfin pour l’utilisation et la protection des nappes aquifères sahariennes … Cependant, la résolution des Nations Unies de 2008, portant sur le droit des aquifères transfrontaliers adoptée à l’unanimité ou encore toujours la même année, l’entrée en vigueur du projet de protection de la mer méditerranée (MED POL) et le lancement du cycle des forums méditerranéens de l’eau, le premier s’étant tenu à Marrakech en 2011, ville où se réunira la COP 22 constituent de bonnes nouvelles, porteuses d’espoir ; ce cadre semblant bien adapté pour essayer de trouver des solutions globales acceptées par tous, après le succès de la COP 21 de Paris en 2015, quitte à ce que les résolutions globales se déclinent par région , par secteur d’activité etc …
De la COP 21 a la COP 22
La COP 21 a débouché le 12 décembre 2015 sur un accord universel ; cet accord est ambitieux et sa mise en œuvre suppose des contributions financières importantes et surtout l’engagement de tous les acteurs ; institutions publiques, secteur privé, ONG etc… … . L’eau n’est pas citée de façon spécifique dans l’accord, même si elle revient régulièrement dans le texte. En effet il est bon de rappeler que l’eau est l’une des premières victimes du changement climatique avec plus de 90% des catastrophes naturelles liées à l’eau. C’est dans cette optique, qu’une journée sur l’eau a eu lieu à Paris le 2 décembre 2015 dans le cadre de la COP 21. Une section du plan d’action de Lima à Paris a été consacrée à l’eau : à l’occasion de la journée du 2 juin, un pacte a été signé par 300 bassins tandis qu’une alliance des entreprises a été signée par 40 d’entre elles. Dans le document d’alliance, les entreprises signataires s’engagent à exploiter et à gérer les ressources en eau sur une base solide d’évaluation des risques et ces derniers sont à reconsidérer tout au long de chaîne des opérations industrielles et de leur empreinte sur l’environnement afin de réduire au maximum l’impact de leurs opérations sur la quantité aussi bien que sur la qualité des eaux disponibles ; une vingtaine d’associations de jeunes ont, quant à elles, pris un engagement de sensibilisation sur la question de l’eau et du climat tandis qu’une coalition de dix
mégalopoles s’est engagée à lancer une plateforme d’échanges et de connaissances. Un milliard de dollars y compris 20 millions pour l’assistance technique ont été annoncés dans le cadre de projets à venir et dans ce secteur de l’eau.
La COP 21 devrait ainsi faciliter la tâche de la prochaine COP qui se tiendra à Marrakech en décembre 2016; en outre, une réunion préparatoire se tiendra mi-2016 avec pour but de se concentrer sur la problématique de l’eau et du climat ; l’objectif de cette réunion intermédiaire sera de faire le point sur le » post COP 21 » et de faciliter la mise en œuvre des engagements pris à Paris par les uns et les autres. Il est certain que le Maroc, qui figure parmi les pays souffrant du « stress hydrique » , a un intérêt bien compris pour voir les promesses de la COP 21 être appliquées.
Il y 40 ans, je menais des enquêtes dans la région du Haut Loukhos, entre Asjène et Chaouen et la demande qui revenait le plus souvent chez les fellahs interrogés était « maya wa el douw » en d’autres termes, « nous avons besoin d’eau et d’électricité en priorité. »
En conclusion ou plutôt en propos d’étape, car le problème de l’eau est appelée à rester un enjeu de vie, de coopération et de conflits à différents niveaux, et parce-que la gestion de l’eau est un acte éminemment politique, l’adoption de règles ou l’adhésion à des principes de base quant à la gestion de l’eau, doit permettre d’établir des codes de conduite pour une gestion optimale de la ressource. En ce sens, la COP 21 a été un succès, de même que les différentes initiatives prises au plan organisationnel (GIRE , REMOB etc..). La coopération entre secteur privé et secteur public est aussi plus que jamais nécessaire face aux défis, tout comme la participation des acteurs de la société civile. Au sein des Etats, la bonne gouvernance est plus que jamais de mise et requise pour réduire les pertes sur les réseaux de distribution (pertes de 64% au Maroc, 65 % en Egypte, 61 % en Algérie) et pour mettre de l’ordre dans les tarifications de l’eau. Il faudra aussi que ces Etats fassent de bons choix concernant l’irrigation dans le secteur agricole et les spéculations agricoles (en effet, par exemple la tomate est une grande consommatrice d’eau) sans oublier les arbitrages à mener à bien entre les différents secteurs utilisateurs de la ressource eau : l’industrie, l’agriculture, les villes, le tourisme etc… La littoralisation de populations importantes migrant de l’intérieur des pays vers les côtes et l’urbanisation de terres anciennement agricoles sont également des facteurs de déséquilibre internes à suivre et qui un impact sur la ressource, qui devient plus rare ou de qualité médiocre. Saint augustin soulignait déjà que » l’eau n’est pas indispensable à la vie, elle est la vie « . » Comme nous le rappelle le Psaume 104 : » C’est l’eau qui permet à la prospérité de se répandre sur terre et apporter la joie dans le cœur de l’homme « . Ces éléments doivent mobiliser encore plus les acteurs à tous les niveaux, en s’inscrivant, « dans une perspective de développement durable » comme le professeur Gentilini l’appelle de tous ses vœux dans sa communication.