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Guillaume Berlat

« Trompettes de la Renommée, vous êtes bien mal embouchées ! » chantait Georges Brassens. Il n’est pas si loin le temps où il n’y avait pas assez de superlatifs pour vanter les mérites de la France, et surtout de son brillant ministre des Affaires étrangères et du développement international, Laurent Fabius dans le succès de la COP21 (Le Bourget, 30 novembre-12 décembre 2015). Il s’agit de la 21ème session de la Conférence des Etats parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CNUCC) qui se conclut par l’adoption d’un texte de consensus destiné à réduire progressivement le réchauffement climatique de la planète1.

A l’issue de la conférence de New York qui s’est tenue au siège de l’ONU le 22 avril 2016 pour procéder à la signature de l’instrument international adopté par consensus le 12 décembre 2015 au Bourget, le moins que l’on soit autorisé à dire est que le pari est gagné. Les mêmes envolées lyriques, les mêmes larmes de bonheur, les mêmes embrassades, les mêmes « standing ovations » qu’à Paris. Quatre mois plus tard, la réalité est encourageante. Mais soyons prudents : chassez le naturel, il revient souvent au galop ! Pour mieux saisir les enjeux du débat actuel, il est essentiel de revenir sur l’héritage de Paris pour apprécier la surprise de New York et envisager l’avenir à Marrakech (COP22).

LE FABULEUX HÉRITAGE DE PARIS : APPLAUDIR N’EST PAS GAGNER…

Le fort engagement politique souscrit à Paris ne doit pas masquer la problématique liée à la nature précise de l’engagement juridique.

Le fort engagement politique de Paris.

Nul ne peut nier que seul l’engagement et la ténacité de l’équipe française, la « dream team » en charge de la préparation de la Conférence du Bourget (Laurent Fabius, Ségolène Royal, Nicolas Hulot et Laurence Tubiana en particulier) aura permis de transformer une catastrophe annoncée – un remake de la conférence de Copenhague de 2009 – en succès diplomatique incontestable en 20152. Obtenir que l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement, qui avaient fait spécialement le déplacement à Paris, s’accordent sur des objectifs climatiques ambitieux était loin d’être acquis d’avance tant les divergences sur la substance étaient importantes entre le Nord et le Sud, entre le Nord et le Nord. Mission accomplie, pourrait-on dire ! Son contenu, articulé autour de cinq grands axes, constitue une avancée indéniable : accord universel ; accord (prétendu) juridiquement contraignant ; accord limitant le réchauffement à 1,5° C en 2050 ; accord comportant un engagement financier plancher de 100 milliards de dollars par an et accord assorti d’une clause de révision quinquennale.

Le problématique engagement juridique de Paris.

L’encre de l’opus magnum n’était pas encore sèche que les juristes – ils jouent souvent les rabat-joie et les mesquins – s’interrogeaient sur la valeur contraignante des engagements souscrits par les États. Du côté officiel français, on jure ses grands dieux que le texte présente toutes les caractéristiques d’un engagement universel juridiquement contraignant, une sorte de grand traité international en bonne et due forme comme sait en produire régulièrement l’ONU. Les juristes et une grande majorité de la société internationale ont une analyse divergente. Ils considèrent qu’il s’agit un accord de nature essentiellement politique fondé sur un « droit mou » : caractère flou des engagements souscrits par les gouvernements en termes de résultats concrets et d’échéances ; absence d’un organisme en charge du contrôle des obligations des États (transparence) et d’un mécanisme de sanction en cas de violation des dispositions de l’accord3. John Kerry ne s’était-il pas opposé en dernière minute à une formulation au futur (« shall »), exigeant et obtenant à sa place un conditionnel (« should ») ? Le diable est dans les détails en diplomatie.

Alors que l’année 2015 établit un record planétaire de chaleur4, force est de constater que, quatre mois après sa conclusion, les principaux moteurs de l’accord de Paris sont à la peine.

LA BONNE SURPRISE DE NEW YORK : ACCEPTER N’EST PAS SIGNER…

Notre jugement doit exclusivement se fonder sur des faits, du rationnel, pas sur l’émotion. Après les difficiles lendemains de Paris, naissent de légitimes doutes à New York.

Les lendemains difficiles de Paris.

Personne n’est dupe : le succès est ce qu’il reste à faire. S’il fixe un cap, le texte comporte des zones d’ombre. Or, quatre mois après la conclusion de l’accord de Paris, les difficultés ne cessent de se multiplier alors que Ségolène Royal succède à Laurent Fabius à la présidence de la COP5. Elle récuse la candidature de Laurence Tubiana à la tête du secrétariat de l’ONU en charge de la mise en œuvre de la CCNUCC6 pour finir par l’accepter quelques jours après7. Le service après-vente commence à poser problème dans divers endroits de la planète. Patatras, le 9 février 2016, la Cour suprême suspend le « plan américain pour une énergie propre » présenté par Barack Obama en août 2015 (réduction de 30% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030)8.

Peu après, le gouvernement australien (le pays est un gros pollueur en charbon) procède à des coupes budgétaires drastiques en matière de recherche sur le climat9. La cacophonie est encore plus marquante à l’échelle de l’Union européenne. La « coalition pour une haute ambition » se montre incapable de relever les objectifs du « paquet climat-énergie » (réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030) en raison de du refus des États à l’économie très carbonée d’Europe (Pologne, République tchèque…)10.

Le record inespéré de New York.

La réunion est à hauts risques car les attentes sont fortes. La Conférence de New York intervient moins de dix jours après un diagnostic alarmiste du FMI11. Comment transformer juridiquement l’essai marqué à Paris le 12 décembre 2015 ? A cette fin, le 22 avril 2016 (« journée de la terre ») est retenu comme le jour de signature de l’accord de Paris à l’ONU. 175 États signent le document12. C’est une excellente surprise. Il s’agit de la première étape du processus de ratification du dit accord13. Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, et s’agissant d’une compétence mixte (UE et ses membres), l’accord doit être approuvé à la fois par l’Union européenne et chacun de ses 28 États membres. Ce processus ne devrait pas être achevé, dans le meilleur des cas, avant 2017-2018. L’entrée en vigueur juridique de l’accord est subordonnée à une double condition : ratification par 55 États représentant 55% des émissions de gaz à effet de serre. Sauf excellente nouvelle, cet objectif ne semble pas envisageable à court terme14. D’autant que les pays du Sud ne veulent pas aller trop vite pour conserver un levier d’action contre les pays du Nord15.

Parfois, les consciences s’ouvrent d’elles-mêmes, sans qu’on les contraigne. Les excès finissent toujours par générer leurs anticorps.

L’INTERROGATION DE MARAKECH : ESPÉRER FAIT VIVRE !

Outre les handicaps du Maroc, pays hôte de la COP22, les États parties à la CCNUCC devront surmonter la fâcheuse tendance à l’optimisme naïf si courante dans les relations internationales.

Les handicaps du Maroc.

Rappelons qu’une présidence annuelle d’un État du sud (Maroc) succède à celle d’un État du nord (France) dans le système des Conférences des États parties. La difficulté de la tâche pour les mois à venir sera pour Ségolène Royal et son équipe de négociateurs d’aider la présidence montante à organiser la session de novembre 2016 de la CCNUCC à Marrakech. Or, la présidence montante marocaine n’est pas dans la meilleure position en raison du conflit gelé du Sahara occidental, ce qui lui vaut de ne pas être membre de l’Union africaine. On imagine le problème de représentativité du continent africain qui en découle en dépit des talents de sa diplomatie16.

Nul doute que Ségolène Royal fera preuve d’une remarquable persévérance au moment où il faudra consolider concrètement (en termes d’universalisation de l’accord) et concrètement (en termes d’objectifs de limitation du réchauffement de la planète) l’héritage politique de Paris et juridique de New York. Ses collaborateurs la craignent mais la vénèrent tout à la fois. C’est une force pour elle mais également pour ses interlocuteurs marocains. Nul doute que Ségolène Royal aidera le Maroc pour parvenir à un double objectif : recherche d’une plus grande universalité du texte pour les mois à venir, éventuellement par des démarches communes dans les capitales des pays réservés et d’une plus meilleure mise en œuvre des engagements nationaux en vue de réduire le réchauffement climatique. Ce qui est essentiel !

L’optimisme naïf.

Nous sommes parvenus à l’heure de vérité. Comme le souligne si justement Nicolas Hulot, ex-envoyé spécial du chef de l’État : « Sur la COP21, l’avenir dira si c’est le début d’une extraordinaire ambition ou la fin d’une ultime mystification »17. La route est encore longue pour transformer l’accord politique de Paris en réalité concrète ayant un impact climatique tangible pour les citoyens du monde. Si la prise de conscience des États est nécessaire, elle n’est pas pour autant suffisante pour relever le défi. Elle suppose une mobilisation citoyenne de l’Union européenne, tout comme les autres puissances économiques de la planète, pour s’orienter le plus rapidement possible vers une dé-carbonisation complète de leurs économies.

Le voile va se lever sur la sincérité des paroles prononcées à Paris et à New York. François Hollande voulait que la COP21 pose les jalons de la « révolution climatique ». Si révolution climatique il doit y avoir, c’est à Bruxelles qu’elle doit débuter. François Hollande et Ségolène Royal ne pourront pas se retrancher derrière de beaux discours. Des actes, il n’y a que cela qui compte : l’invention d’une « sorte de géo-écologie »18.

COP OU FLOP ?

« Il est bon de suivre sa pente pourvu que ce soit en montant » (André Gide). Les conventions internationales se suivent et se ressemblent. Les juristes internationaux le savent bien : approuver, n’est pas signer, signer n’est pas ratifier ! Les exemples de grands traités internationaux restés lettre morte sont légions. Ils garnissent les poubelles de l’Histoire. La responsabilité première des hommes d’État est de dire les choses comme elles sont et non comme on voudrait qu’elles soient au moment alors qu’ils ont pris la juste mesure du problème climatique19. Il existe un après COP21, la conférence de Paris n’ayant pas épuisé le sujet20. « La mise en œuvre des accords du Bourget nécessitera pendant des années et dans chaque pays une mobilisation de tous les instants contre des oppositions prévisibles et des défections »21. Après la COP21, les 196 Etats membres de l’ONU se sont lancés le 28 mars 2016 dans la négociation d’un accord international ambitieux sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine. « Lequel devrait voir le jour en 2020 et sera juridiquement contraignant, tout comme est censé l’être l’accord de la COP21 sur le climat. Ça promet… »22. En dernière analyse, la COP21 demeurera dans l’Histoire le pari de Paris.
2 mai 2016

1 Guillaume Berlat, COP21 : Les détails du diable, www.prochetmoyen-orient.ch , 21 décembre 2015.
2 Stéphane Foucart/Simon Roger, Un accord historique mais fragile à la COP21, Le Monde, 15 décembre 2015, p. 1, 16 et 17.
3 Professeur Canardeau, Con-trai-gnant !, Le Canard enchaîné, 9 décembre 2015, p. 5.
4 Pierre Le Hir, 2015, établit un record de chaleur, Le Monde, 29 décembre 2015, p. 6.
5 David Revault d’Allonnes, Laurent Fabius renonce à la présidence de la COP21, Le Monde, 17 février 2016, p. 7.
6 Simon Roger, Tubiana, experte de la COP21, lâchée par l’exécutif, Le Monde, 2 avril 2016, p. 6.
7 Une défaite Royal, Le Canard enchaîné, 13 avril 2016, p. 2.
8 Emmanuelle Réju, La Cour suprême gèle plan climat de Barack Obama, La Croix, 11 février 2016, p. 6.
9 Caroline Taïx, En sacrifiant la recherche sur le climat, l’Australie provoque un tollé international, Le Monde, 14-15 février 2016, p. 4.
10 Maxime Combes, Au niveau européen, la commission européenne pulvérise un engagement-clef de la COP21 !, www.mediapart.fr , 3 mars 2016.
11 Chloé Hecketsweiler, Nouvelle alerte du FMI sur la croissance mondiale, Le Monde Économie et Entreprise, 14 avril 2016, pp 1 et 3.
12 Simon Roger, États-Unis et Chine entretiennent la dynamique sur le climat, Le Monde, 24-25 avril 2016, p. 6.
13 J.F.J., COP21, les lendemains qui chauffent, Le Canard enchaîné, 27 avril 2016, p. 8.
14 Simon Roger, Le casse-tête de la ratification de l’accord de Paris, Le Monde, 13-14 mars 2016, p. 6.
15 Maximes Combes, Les pays du Sud invités à ne pas signer (trop vite) l’Accord de Paris, www.mediapart.fr , 14 avril 2016.
16 Sophie Landrin/Pierre Le Hir/Simon Roger, Ségolène Royal devient président de la COP21, Le Monde, 18 février 2016.
17 Nicolas Hulot, « Je suis frappé par l’indigence des partis politique sur la question du climat », Le Monde, 10-11 janvier 2016, p. 5.
18 Hubert Védrine, « Arrêtons de dire ‘plus d’Europe tous les jours’ », Les Échos, 15-16 avril 2016, p. 13.
19 Stéphane Foucart, Un grand malentendu, Le Monde, 12 avril 2016, p. 22.
20 Michel Guénaire, Les sommets du climat doivent devenir les sommets de la population, et Olivier Godard, Une dette climatique dans le dossier Au-delà de la COP21, Le débat, Gallimard, mars-avril 2016, pp. 9-38.
21 Hubert Védrine, Le monde au défi, Fayard, 2016, p. 91.
22 Jean-Luc Porquet, C’est pas l’homme qui prend la mer…, Le Canard enchaîné, 30 mars 2016, p. 5.

http://prochetmoyen-orient.ch/lenvers-des-cartes-du-2-mai-2016