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Alain Juppé, faux populaire, la règlementation, l’emploi, le général Vincent Desportes., politique aveugle

Les sondages placent souvent Alain Juppé en favori des candidats à la primaire de la droite. Pour Frédéric Saint Clair, cette popularité est largement surestimée.
Tout d’abord, sur la forme, que comparativement à celle des autres candidats, la communication d’Alain Juppé est loin d’être la plus séduisante. Disons-le autrement: l’attachement institutionnel, régalien, étatiste, et donc technocratique d’Alain Juppé met ses arguments à distance avec le quotidien des Français, tel qu’ils le ressentent et tel l’expriment. L’exercice de la primaire est un exercice de communication politique pure, et une position quelque peu scolaire, didactique, tel qu’il nous a habitué à en produire, n’est pas adaptée à ce genre d’exercice. Il faut du générer une forme de pathos qui glisse entre les mains des hommes politiques férus de cette technique propre à la haute administration.
Ensuite, sur le fond, il est important de noter en préambule que personne à droite ne parvient réellement à se distinguer. Nous assistons à une sorte de sclérose de la proposition – et à vrai dire de la pensée – politique. Sur l’éducation, la famille, l’environnement, etc., les Français ont l’impression qu’on tourne en rond ; et Alain Juppé ne tire pas son épingle du jeu sur ces thématiques. Sur les deux thèmes centraux de la campagne – sauf crise imprévue d’une autre nature – que seront la sécurité (intérieure et extérieure) et l’économie, il nous faut nous attarder un peu plus, afin de montrer que la position d’Alain Juppé risque de se révéler plus faible qu’elle n’apparaît aujourd’hui.
Sur la question économique, son attachement au modèle social français, qui se veut une position équilibrée entre protection sociale et ouverture libérale, révèle en réalité une vision étatiste unitaire où tout se décide d’en haut, et où la flexibilité (35h, embauche, etc.) n’est qu’apparente. Lorsqu’Alain Juppé, dans son programme, s’engage en faveur d’un «écosystème réglementaire, fiscal et social», il met en lumière le point central de cette obsession de la règlementation, qui est la marque de fabrique des technocrates. Nul doute qu’elle s’appliquera à l’emploi comme au reste de l’économie, et, par l’omniprésence de l’Etat, étouffera toute velléité libérale – libéralisme dont notre système économique a pourtant besoin même s’il est impopulaire. Par ailleurs, son engagement pro-européen annonce une réticence à jouer la carte nationaliste, indispensable pourtant à toute réforme ambitieuse des institutions européennes.
La question de la défense nationale, l’autre sujet déterminant, sera encore plus complexe. Ministre de la Défense et des Affaires étrangères sous la présidence de Nicolas Sarkozy, il a mis en place la politique aveugle qui, croyant soutenir les «printemps arabes» a mis le feu au Proche-Orient ; et il ne semble pas avoir tiré les leçons de cet échec.
Par ailleurs, rebondissant récemment sur l’affaire du général Soubelet (relevé de ses fonctions pour avoir écrit un livre sur l’état du système judiciaire français) Alain Juppé déclarait devant les élèves de l’IEP de Bordeaux: «Un militaire, c’est comme un ministre: ça ferme sa gueule ou ça s’en va». Petite phrase aussi anodine que brutale qui a jeté une lumière crue sur la conception que le candidat entretient du pouvoir politique et de la façon de l’exercer. A l’image de la machine technocratique, rigide et autoritaire.
Le général Vincent Desportes n’a pas tardé à lui répondre, sur le fond, sur la forme et sur le plan politique, lui rappelant notamment «le respect [dû] à ceux qui ont dédié leur vie à la protection de cette nation que vous [Alain Juppé] souhaitez diriger.» Vincent Desportes, dont certains ouvrages consacrés à la stratégie on fait date, poursuit en interpelant le candidat sur son dernier livre: «Votre livre programme ose s’intituler: Pour un Etat fort, alors même que l’armée, à peine mentionnée, en est la grande absente».
On voit ainsi peu à peu ce que les Français découvriront durant les primaires: un édifice qui se fragilise à mesure qu’on détaille sa structure. Si à cela on ajoute des propositions convenues concernant la sécurité et l’immigration (créer un code de la laïcité, réduire le temps de traitement des demandes d’asile, simplifier la procédure pénale, créer une police européenne des frontières et fermer les mosquées salafistes), l’Etat fort qu’Alain Juppé appelle de ses vœux pourrait se révéler plus faible, pour ne pas dire plus mou, que celui de Nicolas Sarkozy ou de Bruno Le Maire. Et, même si le candidat conserve de bonnes chances de l’emporter, la stature de celui-ci pourrait se révéler n’être supérieure aux autres que par un simple effet d’optique.