Fin avril, ils se rendaient près de Bethléem, en Cisjordanie, pour une réunion de travail sur les changements climatiques. A leur arrivée à l’aéroport Ben-Gourion de Tel-Aviv, cinq d’entre-eux ont subi des interrogatoires, leurs passeports ont été saisis, certains ont même été placés en détention durant près de 62 heures puis expulsés. Eux, ce sont des membres du Conseil œcuménique des Eglises (COE), organisation non gouvernementale qui regroupe près de 350 Eglises – orthodoxes, anglicanes et protestantes, notamment – et dont le siège administratif est installé à Genève. Son secrétaire général, le pasteur Olav Fykse Tveit, a dénoncé dans un communiqué «des actes d’intimidation sans précédent dans l’histoire du COE». Deux résidentes genevoises faisaient partie de cette délégation et ont passé 72?h dans un centre «carcéral». Sophie Dhanjal, 54 ans, et Anna-Marie Müller, 25 ans, racontent.
«J’ai eu l’impression d’être une terroriste.» Sophie Dhanjal, responsable de la logistique de la réunion, est encore sous le choc. Elle arrive avec une collègue à l’aéroport de Tel-Aviv le vendredi 29 avril. «Au contrôle des passeports, on nous a demandé pourquoi nous venions en Israël, raconte sa collègue, Anna-Marie Müller. J’ai expliqué que je me rendais à une rencontre organisée par le COE. Dès cet instant, à la mention de l’organisation, tout s’est enchaîné.» Sophie Dhanjal précise: «La veille, des membres du Programme œcuménique d’accompagnement en Palestine et en Israël du COE avaient été refoulés. Les autorités ont pensé que nous en faisions partie. Ce n’était pas le cas, nous venions parler du climat!» Ce programme, indique le Conseil, envoie des «accompagnateurs œcuméniques» de divers pays en Palestine pour aider les habitants, défendre leur cause et aussi accompagner des Israéliens dans leurs activités pour la paix.
«Ils ont fouillé mon téléphone»
Les deux femmes sont alors prises à partie – comme le seront d’autres membres de la délégation par la suite – et subissent des heures d’interrogatoires, séparément. «On m’a demandé le nom de mon père, de mon grand-père, leur nationalité, qui avait payé mon billet, si j’avais des liens avec l’islam, si je m’étais déjà rendue en Syrie, si je comptais participer à des manifestations, détaille Sophie Dhanjal. Ils ont examiné les contacts de mon téléphone.» Ils veulent surtout la liste des participants à la réunion. «Ils sont devenus agressifs et ont menacé de me mettre sur une liste noire qui m’interdirait de voyager à l’avenir. J’ai eu peur. J’ai montré la liste, ils l’ont copiée. J’ai craint pour la sécurité de ces personnes.» Le téléphone d’Anna-Marie Müller aussi est fouillé. «Les gens étaient très agressifs. Je tremblais. On nous a dit que nous allions être renvoyées pour «intentions d’immigration illégale.» Après neuf heures d’interrogatoire, on prend leurs empreintes. Et elles peuvent passer un appel. Vers 22 h, un fourgon les emmène dans un centre de détention. «On a pu prendre quelques habits, une brosse à dents et de la lecture. On était dans une cellule avec doubles barreaux aux fenêtres, deux lits superposés, une toilette et un lavabo. Les lumières sont restées allumées une grande partie de la nuit.»
Le lendemain, après une visite médicale, les deux femmes passent la journée dans leur cellule. «Dimanche, nous avons eu droit à une promenade de 30 minutes dans la cour, avec d’autres femmes, venant principalement du Caucase et de Russie.» Départ ensuite pour l’aéroport. Mais sur le tarmac, on leur annonce qu’il y a un problème avec l’enregistrement. Retour au centre. «Nous nous sommes retrouvées dans une chambre avec neuf autres femmes. J’avais l’impression d’être dans un autre monde, c’était irréel. Je savais que nous pouvions subir des interrogatoires mais je n’aurais jamais pensé que ça puisse aller si loin…» Anna-Marie Müller souffle: «C’était choquant, on ne savait pas ce qui nous attendait.»
Escortées jusqu’à l’avion
Après une nuit supplémentaire et 62 heures de détention, des agents les escortent jusque dans l’avion. «Ils ont remis nos passeports au commandant de cabine. A Genève, deux policiers sont venus nous chercher en cabine et nous ont conduites dans leur bureau. Ils ont été très gentils et ont écouté notre histoire. Et nous avons pu enfin rentrer chez nous.»
Pour le secrétaire général du COE, Olav Fykse Tveit, ces événements sont «inacceptables» et il a dénoncé «un traitement démesuré». «Il est regrettable que les autorités israéliennes se soient comportées de la sorte vis-à-vis de personnes venues des quatre coins du monde pour s’employer à résoudre des problèmes communs sur les changements climatiques.» Le COE a sollicité il y a quelques jours une rencontre avec des représentants de l’Etat d’Israël et demandé des excuses. «Nous n’avons reçu aucune réponse pour l’instant», a indiqué le pasteur. Contactée hier par la Tribune de Genève, l’ambassade d’Israël à Berne a indiqué ne pas être en mesure de répondre à nos questions avant vendredi. (TDG)