Étiquettes

, , ,

Marie Owens Thomsen*

Une chose est claire et c’est que le monde s’est endetté d’avantage depuis la crise de 2008. Ce qui est moins évident est la leçon à en tirer. Le pays avec le plus de dette au monde est le Japon où la dette totale (gouvernement, sociétés, ménages) représentait 400% du PIB (Produit Intérieur Brut) en 2014 (McKinsey Global Institute), suivi par l’Irlande à 390% et Singapour à 380%. Ces pays ont un taux d’endettement 100 points de pourcentages plus élevés que celui de la Chine à 280% du PIB et des Etats-Unis à 270%. Pourtant le PIB par tête à Singapour est le 7e plus élevé au monde, l’Irlande a enregistré un taux de croissance du PIB de plus de 9% lors du quatrième trimestre 2015, et le Japon a un des taux de chômage les plus faibles au monde, à 3.2% en mars 2016. Ainsi, il est difficile de dire que beaucoup de dette condamne un pays à être moins performant macroéconomiquement parlant. Intuitivement on comprend que le coût du financement de la dette représente un coût de l’opportunité – on aurait pu faire autre chose avec cet argent. Ceci dit, si l’argent emprunté a été mis en production efficacement, le pays en question aura probablement plus de croissance comparé à une stratégie économique sans endettement. Se leverager, comme on a tendance à dire dans les marchés financiers pour décrire l’acte d’emprunter pour investir, constitue toujours un risque mais en cas de succès le rendement sera bien sûr des multiples plus élevé qu’une stratégie sans leverage. Au fait, les pays qui ont des taux de dette sur PIB faibles, et/ou qui sont en état de désendettement incluent l’Argentine, le Nigeria, le Pérou, et la Roumanie par exemple – aucun de ces pays ne peuvent être considérés comme un véritable exemple modèle sur le plan macroéconomique.

Du coup, on peut dire que le niveau de la dette n’est pas le souci principal mais plutôt la vitesse et la direction de son évolution. Mais même l’importance de l’évolution peut pâlir à côté de l’enjeu que constitue la distribution de cette dette parmis de différents détenteurs. Plus la dette est exprimé en devises étrangères, et plus la dette en question est possédée par des étrangers, plus le pays est vulnérable à une crise de confiance de la part des investisseurs internationaux. Quelque part, la question qui se pose est combien de dette peut-on vendre aux étrangers de manière crédible et, le cas échéant, combien de dette peut-on vendre à sa propre population si les étrangers ne sont pas au rendez-vous? Y rentre alors dans l’équation les réserves de change chez les banques centrales. Un pays avec des réserves de change importantes peut utiliser ces réserves pour combler tout trou laissé par des étrangers potentiellement cherchant la porte de sortie. En outre, plus les maturités de la dette externe sont longues, plus le pays émetteur sera a priori capable de l’assumer. Et finalement, plus la population locale génère d’épargne, plus la dette peut être financé dans le pays, sans recours aux étrangers.

Dans la dette externe on compte donc toute dette envers les étrangers, y compris celle des banques. Les pays avec des importants secteurs financiers ont ainsi tendance à afficher des dettes externes très élevées. Exprimée en pourcentage du PIB, le Luxembourg a la dette externe la plus énorme, à plus de 5000% de son PIB. L’Irlande à un ratio de 1000%, Singapour et Hong Kong à plus de 400%, et l’Angleterre à 385%, par exemple, ainsi que la Suisse à 250%. Les Etats-Unis ont une dette externe équivalente à près de 100% du PIB. Le Japon, par contre, n’a qu’environ 50% de dette externe, et la Chine figure parmi les pays avec le moins de dette externe dans le monde, avec un taux aussi faible que 9% du PIB (MacroEconomyMeter, 2013). La Chine a aussi les réserves de change les plus importantes au monde, à USD 3.2 trillions, devant le Japon en 2ème position avec USD 1.2 trillions, et loin devant les Etats-Unis qui n’ont que USD 109 milliards. Côté épargne nationale brute, on découvre que le Qatar, la Chine, et Singapour sont en tête, avec environ 50% du PIB, le Japon affiche un taux de 25%, et les Etats-Unis sont à 18%. On arrive alors à la conclusion: la Chine a de place pour accumuler encore plus de dette en vue de ses réserves et de son épargne qui sont bien supérieur à ceux des pays les plus endettés au monde, et de son faible endettement externe. Il faut comprendre que les Etats-Unis peuvent vivre avec leur dette grâce à leur statut exceptionnel de premier marché financier au monde et émetteur de la devise de réserve mondiale. Et, le Japon pourrait s’approcher de son taux d’endettement maximale si l’épargne du pays s’avérait manquante. Ainsi, il ne suffit pas de juger un pays uniquement sur son taux d’endettement mais plutôt sur sa capacité à la financer, tout comme ce n’est pas la couverture du livre qui est la plus importante, mais bien ce que l’on peut lire à l’intérieur.

* Chief Economist, CA Indosuez Wealth Management

http://www.agefi.com/quotidien-agefi/forum-blogs/