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La fuite des cerveaux semble inéluctable, c’est ce qu’indiquent deux chercheurs dans une note inédite présentée au Conseil d’analyse économique et social. Le nombre d’actifs français partis à l’étranger aurait doublé entre 2006 et 2011 mais les auteurs de la note relativisent le phénomène et proposent des solutions pour accompagner cette évolution et tirer profit de la mobilité internationale. 

La fuite des cerveaux, un phénomène principalement européen

Dans leur note « Préparer la France à la mobilité internationale croissante des qualifiés » présentée au Conseil d’analyse économique et sociale (CAE), instance composée d’économistes qui conseillent le Premier ministre, Cécilia García-Peñalosa, directrice de recherche au CNRS à l’école d’économie Aix-Marseille et Etienne Wasmerb, professeur d’économie à Science po, tordent le cou aux idées reçues. Oui, le nombre d’expatriés augmente mais reste moins important que chez nos voisins européens.

 

Les deux chercheurs estiment que la France compte entre 3 et 3,5 millions d’expatriés, deux fois moins qu’en Allemagne et quatre fois moins qu’au Royaume-Uni. Selon la note du CAE, la France doit rattraper son retard car « l’émigration favorise les échanges commerciaux entre le pays de départ et le pays d’accueil. Les migrants entretiennent des réseaux qui favorisent la circulation de l’information et augmentent les flux de commerce ». « L’augmentation du stock de migrants entre deux pays stimulerait le commerce bilatéral de 1% », mais cela n’a aucun rapport avec le niveau de diplôme.

« Le diable est dans les détails » 

Les Français s’expatrient de plus en plus mais l’idée selon laquelle leur départ serait compensé par l’arrivée de diplômés étrangers est à moitié vraie. La France accueille presque 300.000 jeunes, mais si le solde migratoire des diplômés en France reste positif, les arrivants nés à l’étranger sont moins diplômés que les Français nés en France qui s’expatrient.

44% des personnes nées en France qui reviennent après une période d’expatriation sont bac+5 contre 27% des personnes nées à l’étranger immigrant en France. «Les indications sur la « productivité » des sortants et des entrants sur le territoire suggèrent un solde négatif pour les talents » indique la note. En outre, le taux de « rétention » des étudiants étrangers (l’accroissement induit du nombre de personnes qualifiées rapporté au nombre d’étudiants étrangers) est trop faible, de 4% contre 23% aux Pays-Bas. La France peine à retenir ses talents qui ont bénéficié du système universitaire français et formerait ainsi des élites à perte. Dans les pays anglo-saxons où le taux de rétention est supérieur à 100%, la fuite des cerveaux est largement compensée et soulève moins d’interrogations. En Allemagne, c’est surtout le secteur scientifique qui pâtirait de cette fuite des cerveaux, 23.000 chercheurs auraient émigré entre 1996 et 2011 contre seulement 20.000 qui sont venus s’installer en Allemagne. La note du CAE souligne notamment que les physiciens-chercheurs les plus actifs sont ceux qui quittent l’Europe pour les Etats-Unis.

Un modèle qui s’épuise

L’un des problèmes majeurs que pose l’expatriation des Français, est que ceux qui partent sont dans la tranche des 25 à 50 ans, l’âge où ils devraient équilibrer les comptes sociaux et les coûts de leurs formations initiales. Ils rentrent souvent dans l’Hexagone à l’âge où il faut payer les études de leurs enfants ou pour se soigner.
Parallèlement, les « talents » étrangers pourraient refuser de payer pour un système scolaire dont ils n’ont pas bénéficié et un système de santé auquel ils font peu appel. Cette situation pose deux problèmes : une rupture d’égalité car les contribuables français paient pour des individus qui ne contribuent pas à la croissance ni au système fiscal et une baisse de l’investissement dans l’enseignement supérieur car l’Etat français est moins enclin à assumer le cout d’une formation dont il ne perçoit pas la totalité des rendements.

Enrayer l’exode, un enjeu politique 

En 2014, une commission crée par Luc Châtel (LR) posait le problème de l’«exil des forces vives de France ». La gauche a estimé que la France rattrapait seulement son retard par rapport à ses voisins européens, tandis que les députés LR membres de la Commission ont dénoncé un déni de réalité à propos des exilés fiscaux.

Les chercheurs préconisent plusieurs solutions pour enrayer ce phénomène, parmi lesquelles l’amélioration de la portabilité des retraites pour que les travailleurs partis puissent faire valoir la totalité de leurs années à l’étranger. Le Conseil d’Analyse Economique propose également de simplifier les démarches administratives pour les travailleurs qualifiés étrangers afin de les inciter à rester en France. Ils proposent aussi de simplifier l’accès au « passeport talent »  qui tient lieu de titre de séjour pluriannuel pour les salariés étrangers hautement qualifiés.

Au delà de l’attractivité pour les étrangers qualifiés, les politiques français se sont emparés de la question du retour des Français de l’étranger, notamment dans un rapport établi par la sénatrice Hélène Conway Mouret en juillet 2015 qui a recensé les difficultés auxquelles les expatriés sont confrontés au moment de rentrer en France. Le site Retour en France a été crée dans la foulée en février 2016 pour aider la « réinsertion » de ces Français, outil indispensable alors que certains Français expatriés étaient souvent découragés devant l’ampleur des taches administratives et renonçaient parfois même à rentrer. L’action politique doit donc se faire dans les deux sens pour être pleinement bénéfique.

Mathilde Poncet

(www.lepetitjournal.com)