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La venue du président de la Commission au grand raout de l’AMF, mardi 31 mai, suscite l’enthousiasme, mais aussi des interprétations politiques très franco-françaises. Décryptage.

Le 31 mai, l’AMF aura réussi un coup en faisant venir, pour la première fois, le président de la Commission européenne au rassemblement annuel des édiles. Exceptionnellement déplacée au printemps en raison des attentats de Paris, cette édition est de surcroît la dernière avant l’élection présidentielle.
« S’il avait été socialiste, il n’aurait probablement pas été invité », soutiennent plusieurs sources, à Bruxelles comme à Paris. Il s’agit surtout, à les entendre, d’une victoire du président de l’AMF, François Baroin (LR). « Il a fait un lobbying d’enfer pour le faire venir », assure l’une d’elles.
« Baroin et Juncker se sont bien connus quand le premier était à Bercy », explique le secrétaire général de l’AMF et maire de Sceaux, Philippe Laurent (UDI).
Pour l’ancien ministre de l’Économie, que l’on annonce de plus en plus comme le probable « ticket » du candidat Sarkozy, il s’agirait d’abord de soigner sa stature face à son ennemi de la Chiraquie, Alain Juppé. Favori de la primaire, le maire de Bordeaux a annoncé son intention de réunir « 1 000 maires [ … ] dans la foulée du congrès ».
Faire de l’ombre à Hollande
Mais il s’agit aussi pour François Baroin, analysent plusieurs sources, d’ « ôter un peu de visibilité » à François Hollande, qui clôturera le congrès deux jours plus tard. Voire de « banaliser » le déplacement présidentiel, en valorisant celui du chef de l’exécutif européen, qui incarne la droite au pouvoir en Europe.
Une autre source interne à l’AMF balaie toutefois cette analyse, en soulignant d’abord que les sujets d’actualité justifiant une adresse du président de la Commission aux élus locaux sont légion (emploi, migrants, TTIP, lutte contre la radicalisation…).
Et que cette initiative de l’AMF revêt un caractère transpartisan : son premier vice-président, le socialiste André Laignel, a soutenu tout autant que François Baroin la venue de Jean-Claude Juncker.
Un « cadeau » présidentiel pour le dernier congrès avant 2017 ?
Il n’empêche : la droite est consciente que François Hollande compte profiter de cette tribune pour essayer de se refaire une santé auprès des maires, qui jouissent toujours des faveurs de l’opinion publique. Il ne viendra donc certainement pas les mains vides.
« Il sait qu’il aura besoin du réseau des élus locaux » pour faire avancer l’hypothèse de sa candidature, commente une source au PS.
Au minimum, il devrait annoncer le prolongement, évoqué par Christian Eckert et réclamé par Jean-Michel Baylet, du fonds de soutien à l’investissement communal lancé en 2016.
Mais les attentes portent bien entendu sur un étalement, voire un allégement de la dernière tranche de baisse des dotations aux collectivités de 3,67 milliards d’euros, prévue en 2017. Un changement de cap pas du tout envisagé dans le programme de stabilité transmis par le gouvernement à la Commission européenne en avril.
Baisse des dotations et plan Juncker
En septembre 2015, François Baroin avait été reçu par Jean-Claude Juncker. Il avait alors lancé une « alerte » sur les difficultés financières des collectivités du bloc communal. Et insisté sur un point sensible pour le président de la Commission : le plan Juncker.
La baisse des dotations de l’État aux collectivités « va impacter directement la capacité [des collectivités] d’apporter leur contribution au plan de relance européen par l’investissement », avait soutenu le maire de Troyes.
Si l’AMF martèle qu’elle « appellera son attention » sur la baisse des concours de l’État, il est peu probable que Jean-Claude Juncker prenne position sur ce débat franco-français.
Changer les critères de Maastricht
Il pourrait en revanche annoncer un assouplissement du plan d’investissement pour l’Europe. La France a beau être l’un de ses premiers bénéficiaires, « les communes sont un peu déroutées face à cet outil », explique un haut fonctionnaire de l’État. « Les seuils, le fonctionnement, les interlocuteurs, les montages particuliers… Il y a beaucoup d’incompréhension. »
« On veut lui demander de revoir les règles », notamment sur les seuils, confirme Philippe Laurent, qui évoque également une autre demande, plus ancienne : la modification du calcul du déficit dans les critères de Maastricht. Partant de l’argumentaire de l’AMF que « si le déficit public français est moins élevé que prévu, c’est exclusivement en raison de la baisse des investissements locaux consécutive à la baisse des dotations ».
Le président du comité des finances locales, André Laignel (PS), l’assurait le 11 mai : « Jean-Claude Juncker en convient “intellectuellement”, les critères de Maastricht sont mal faits ».
Si rien ne garantit que le président de la Commission fera des annonces, nul doute en revanche qu’il réitérera son appel aux communes à prendre part au plan qui porte son nom, et fera l’éloge de l’impulsion économique des territoires, comme il s’y était largement employé dans son discours au congrès du Conseil des communes et régions d’Europe, le 20 avril.
« Descendre dans les régions »
Comme de nombreux autres acteurs, une source gouvernementale voit Juncker « beaucoup plus politique que ses prédécesseurs ».
« Ça ne m’étonne pas qu’il ait vu l’intérêt d’aller à cette rencontre avec les élus locaux, certainement poussé par la nouvelle représentante de la Commission à Paris [Isabelle Jégouzo]. C’est un sujet clairement identifié au niveau de la Commission : on ne peut pas se contenter de parler avec les exécutifs nationaux. Il y a la nécessité de descendre dans les régions. »
Sur deux des priorités de Juncker, la prévention de la radicalité et les migrants, « ceux qui font l’effort, in fine, ce sont les maires », poursuit la même source. Laquelle voit également une « petite prise de risque » pour les maires et pour la droite aux manettes de l’AMF :
« Juncker n’est pas toujours un interlocuteur facile, il peut dire ce qu’il pense. Sur l’accueil des migrants, par exemple, il n’est pas sûr qu’il fasse l’unanimité à droite. Et il a tenu par le passé des propos sur le nombre excessif de communes. Qui sait si son intervention ne va pas donner lieu à des échanges un peu musclés ? »
Les exécutifs réunis porte de Versailles
Une autre source, qui a échangé avec le cabinet du président de la Commission sur sa venue à Paris, table sur un discours centré sur les « valeurs » de l’UE. De la teneur de la tribune dans Le Monde qu’il a co-signée avec le président du Parlement européen, Martin Schulz, le 5 mai.
Au-delà des calculs politiques et des conséquences craintes ou espérées de cette venue d’un président de la Commission devant les maires, tout le monde s’accorde à y voir une excellente nouvelle. Car la porte de Versailles sera le théâtre de la réunion des chefs des exécutifs locaux, mais aussi national et européen. Ce qui n’est pas monnaie courante.