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Le projet de loi Sapin 2 sur la transparence les inclut parmi les représentants d’intérêts qui devront, notamment, déclarer leurs contacts avec les parlementaires et les ministres. Une hérésie pour certains.

Grand banquet des maires de France en 1900
Grand banquet des maires de France en 1900 © Paille – CC BY-SA 2.0

Haro sur l’opacité supposée des gouvernements locaux. Après la loi sur la déontologie des fonctionnaires, qui a imposé aux collaborateurs d’élus de déclarer leur patrimoine et leurs intérêts, la loi Sapin 2 compte bien imposer plus de transparence aux exécutifs territoriaux. Au passage, elle désigne implicitement leurs associations comme des lobbies.

Protéger les élus

Au diapason du Conseil d’État, le rapporteur au fond de l’Assemblée, Sébastien Dénaja (PS), a souhaité intégrer les élus locaux et leurs collaborateurs (détail ci-contre) parmi les acteurs publics dont les rencontres avec des représentants d’intérêt devront être déclarées par ces derniers. La commission des Lois a adopté cette disposition, le 26 mai.

« Cela permettra d’avoir l’assurance qu’il n’y a pas de rupture d’égalité entre les acteurs économiques », commente Pierre Villeneuve, directeur des affaires juridiques et de la commande publique et nouveau « déontologue » de la région Bretagne. Il estime en outre que cela permettra de « protéger les élus », de « garantir leur sécurité juridique ».

Le décret d’application sera guetté

Le texte vise toutefois à circonscrire cette transparence aux décisions structurantes. L’objectif n’est pas d’alourdir le système en y intégrant la multitude de dossiers individuels sur lesquels les élus sont sollicités (permis de construire, etc. ).

« Je ne vois pas pourquoi on s’y opposerait, c’est dans la suite logique d’une transparence accrue de la vie publique », estime Philippe Laurent (UDI), secrétaire général de l’AMF et président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale. Qui pointe toutefois l’importance du « champ d’application de cette mesure ».

Interrogées par Contexte, les associations d’élus communaux (AMF), départementaux (ADF) et régionaux (ARF) ne s’opposent pas davantage à l’esprit de la loi. Mais elles seront vigilantes sur le contenu du décret, qui précisera les sujets pour lesquels les contacts devront être signalés.

Si elles n’ont pas répondu à l’invitation du rapporteur en amont de l’examen du texte en commission, c’est parce qu’elles ont été prises de court, assurent-elles en chœur : “le bureau n’a pas été consulté sur la question”, “nous lui ferons une réponse écrite”, etc.

Les associations d’élus intégrées au registre des représentants d’intérêts

Comme les partis politiques et les syndicats de salariés, les élus “dans le strict exercice dans leur mandat” ne sont pas considérés comme des représentants d’intérêt. Une précision préconisée par Transparency International.

En revanche, leurs associations, comme n’importe quelle organisation exerçant une influence sur la production de la loi, sont concernées. Elles qui réclament régulièrement de la “transparence” à l’État pouvaient difficilement prétendre y échapper.

Elles ont choisi, pour l’instant, de ne pas réagir publiquement. Et font contre mauvaise fortune bon cœur, sur le mode “cela correspond à l’air du temps, on ne peut pas aller contre”, comme les élus.

Un conseiller exerçant dans l’une de ces associations craint, tout de même, la surenchère : « Il y a un risque de stigmatiser davantage les institutions et les responsables publics. Attention à ne pas trop en rajouter dans le climat de suspicion généralisée. Il existe déjà une grande quantité de contrôles à l’égard des collectivités. »

Pour Transparency International, rien de plus normal : “De fait, ces associations sont des représentants d’intérêt, elles exercent une activité d’influence auprès des décideurs”, estime Laurène Bounaud, responsable du plaidoyer à la section française de l’ONG. “Certaines d’entre elles sont d’ailleurs déjà inscrites sur les registres de l’Assemblée et du Sénat. Elles s’autodéfinissent donc comme telles”.

“Pour garantir l’efficacité du registre, il faut donner [au représentant d’intérêt] la définition la plus large possible », ajoute-t-elle.

Intérêt financier vs intérêt public

Tout le monde ne partage pas ce point de vue. En commission des Lois, Delphine Batho (PS) a plaidé, en vain, pour que “la définition d’un lobby tienne compte de la défense d’intérêts privés mercantiles”, et que par conséquent “les acteurs du débat public” soient exclus du registre.

Cette inclusion des associations d’élus est « idiote », estime Philippe Laurent.

« On est le service public, les maires n’ont pas d’intérêts pour eux-mêmes, ils incarnent l’intérêt général, comme les parlementaires. On ne peut pas laisser passer ça. Il faudrait que les associations d’intérêt public soient exclues du registre. »

Le non-cumul des mandats va changer la donne

Lors du débat en commission des Lois, Charles de Courson (UDI) a défini l’AMF comme un “lobby de collectivités territoriales”.

“Le premier lobby, monsieur de Courson, c’est le cumul des mandats ! ”, lui a alors rétorqué Sandrine Mazetier (PS)

Le cumul est « un indicateur supplémentaire de conflits d’intérêts », abonde un élu local réclamant l’anonymat.

L’interdiction faite aux parlementaires d’exercer simultanément un mandat exécutif à partir de 2017 pourrait en outre accroître le rôle des associations d’élus : elles constitueront un canal incontournable du dialogue entre les parlementaires et les élus locaux, qui n’auront plus de représentants au Parlement. Raison de plus, aux yeux des défenseurs du texte, pour faire la lumière sur leur travail d’influence.

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