
« Nous sommes venus pour nous faire une opinion. Car, depuis quelques jours, nous ne savons plus trop quoi penser. » Jeffrey et Helene Holmes font partie de ceux qui feront peut-être pencher la balance jeudi en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Jusqu’à tout récemment, ce couple de la classe moyenne des environs de Londres était fermement convaincu qu’il voterait pour que le Royaume-Uni quitte l’Union européenne. Mais, depuis peu, le doute s’est installé. « Je n’ai aucune sympathie pour l’Europe, dit Jeffrey Holmes. Nous pouvons très bien nous débrouiller tous seuls. Mais ce qui me préoccupe, c’est le coût d’une telle sortie. J’aimerais bien qu’on nous dise combien ça va nous coûter. »
C’est pour avoir réponse à ces questions que les Holmes participaient mardi soir à ce débat en forme d’épilogue qui restera probablement le plus grand débat référendaire jamais organisé. La BBC avait choisi de faire les choses en grand en rassemblant 6000 personnes dans l’aréna de Wembley, au nord de Londres, à l’ombre du célèbre stade de football qui abrite l’équipe nationale d’Angleterre. Plus de 20 000 personnes ont tenté d’obtenir un laissez-passer. « On aurait pu facilement remplir le stade [90 000 places] », a affirmé l’animateur David Dimbleby.Un débat survolté
La vivacité des échanges verbaux n’avait rien à envier à celle des footballeurs. Pendant deux heures survoltées, les Holmes ont patiemment écouté le nouveau maire de Londres, le travailliste Sadiq Khan partisan du Remain, et son prédécesseur Boris Johnson, leader du camp du Leave, ainsi que deux autres porte-parole de chacun des deux camps. Comme à l’habitude, le flamboyant Boris Johnson a particulièrement brillé, notamment lorsqu’il a dénoncé la « campagne de peur » que mène le camp du Remain.« Quel est votre plan pour sortir de l’Europe ? » a répliqué Sadiq Khan à Boris Johnson. « Un slogan, ce n’est pas un plan détaillé ! » De l’avis de plusieurs experts, dans cette campagne, le camp du Leave aura beaucoup souffert de l’absence d’un projet économique précis prévoyant notamment le statut que pourrait réclamer le Royaume-Uni par rapport à l’Union européenne après un Brexit. Le débat a parfois tourné au pugilat, comme lorsque Sadiq Khan a défendu le rôle l’Union européenne dans la préservation de la paix en Europe. Un rôle que les partisans du Brexit attribuent plutôt à l’OTAN.
« L’Euro est un projet mort », a tranché la députée travailliste Gisela Stewart, qui accuse l’Union européenne de favoriser l’exode des entreprises manufacturières vers la Turquie. Pour la ministre de l’Énergie Andrea Leadsom, l’Union européenne a besoin de 5 à 10 ans pour négocier un traité de libre-échange parce qu’il faut mettre 28 pays d’accord. Ce que « le Royaume-Uni pourrait faire en deux ans », dit-elle.Contrairement au président d’UKIP, Nigel Farage, qui était absent, Boris Johnson a fait l’éloge de l’immigration. Un discours auquel Sadiq Khan a répondu en disant que la campagne du Leave avait été une campagne « de haine ».
L’écart se resserreDepuis le meurtre sauvage de la députée travailliste Jo Cox, les sondages du camp du Remain ont retrouvé une légère avance. Mais l’écart s’est à nouveau resserré mardi. Plus l’échéance approche, plus l’immigration occupe une place importante dans la campagne. Un ancien conseiller de David Cameron, Steve Hilton, partisan du Leave, a d’ailleurs accusé son ancien patron d’avoir menti lors de la dernière campagne électorale en promettant de réduire par dizaines de milliers le nombre d’immigrants. Selon lui, Cameron savait qu’il ne pourrait jamais atteindre ces objectifs. Le premier ministre a récemment admis qu’en demeurant membre de l’Union européenne, il n’y avait aucun moyen d’empêcher l’immigration intra-européenne.
À quelques heures de ce dernier débat, le premier ministre David Cameron a senti le besoin de faire une déclaration solennelle devant le 10 Downing Street. Il s’est notamment adressé directement aux plus de 60 ans et aux retraités, qui sont majoritairement en faveur du Leave. Il a aussi accusé ses adversaires d’avoir une vue « étroite, insulaire et tournée vers l’intérieur ». Puis, il a lancé un appel à tous les Britanniques : « Dans l’isoloir, vous serez seuls en train de prendre une décision qui affectera votre avenir, l’avenir de vos enfants et de vos petits-enfants. »Le matin même, le multimillionnaire américain George Soros avait prédit dans une entrevue au Guardian rien de moins qu’un nouveau « Vendredi noir », en souvenir de ce 16 septembre 1992 où la livre sterling avait décroché du mécanisme de taux de changes européen. Selon lui, si jeudi le Royaume-Uni choisit la sortie, comme en 1992, il y aura une forte spéculation sur la livre. Mais, contrairement à 1992, le Royaume-Uni ne pourra en tirer aucun profit, dit-il. « Le choc sera encore pire », prédit le multimillionnaire d’origine hongroise qui a toujours été un chaud partisan de l’Europe et notamment de l’intégration des pays d’Europe de l’Est.
À Athènes, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a mis en garde les Britanniques en affirmant que « partir serait un acte d’automutilation ». Ce genre de déclarations a souvent le don d’horripiler les Britanniques, qu’ils soient pour ou contre le Brexit, comme nous l’ont confirmé plusieurs spectateurs présents à Wembley.Toujours indécis
À la sortie, la plupart des participants n’avaient pas changé d’idée. Helene, une administratrice qui habite Londres ,était surtout venu voir le calibre des orateurs. Mais son choix était définitif. « Je ne vais pas obtempérer aux injonctions de la présidente du FMI, Christine Lagarde, qui vient me dire quoi faire dans mon propre pays », dit-elle. Elle et son époux se disaient révoltés que le gouvernement ait utilisé les impôts des contribuables pour soutenir le camp du Remain. « Il n’y a que deux choix. Dans un tel contexte, il est certain que les porte-parole ne font pas toujours dans la dentelle ! » a déclaré John, un promoteur immobilier de la banlieue de Londres.Mardi matin, les Britanniques ont eu droit à quelques mots en français dans leurs journaux. « S’il vous plaît, amis britanniques Remain ! » pouvait-on lire dans plusieurs quotidiens. La publicité avait été payée par une trentaine de grandes entreprises françaises comme Airbus et BNP Paribas. Tous les sondages ont cependant montré que la France était le pays de l’Union qui se désolerait le moins d’un départ des Britanniques.
Quant aux époux Holmes, à 36 heures de l’ouverture des bureaux de scrutin, leur choix n’était toujours pas définitif.