Étiquettes

, , ,

Par Louis Manaranche

TRIBUNE – Après la victoire du camp du Brexit, Louis Manaranche juge que l’Union européenne doit davantage tenir compte de l’avis des peuples.

Un peuple a parlé. Sa décision surprend beaucoup, inquiète souvent et parfois réjouit. L’attitude la plus saine est tout d’abord d’en prendre acte, sereinement. La sérénité est précisément ce que les ultras d’un camp ou de l’autre s’évertuent à étouffer pour placer le politique dans le champ de l’émotif strict – assisterons-nous à une invasion digne du Camp des saints ou à une ruine de tout le continent frappé par l’ire des marchés financiers? – L’exercice de ses aptitudes politiques exige au contraire un effort rationnel, condition d’un authentique discernement. L’Union européenne mérite bien cela. L’heure n’est pas, comme on veut le faire croire, à l’opposition entre d’une part un fédéralisme hérité des pères fondateurs qui nous mènerait vers un avenir commun sous la bannière d’États-Unis d’Europe rêvés par un long cortège d’utopistes et, d’autre part, les confédéralistes qui n’envisagent qu’une coopération, plus ou moins étroite, entre États forts et souverains. Depuis longtemps, l’Union est un hybride entre les deux. On pourrait même dire qu’il a quelque chose de bâtard dans son identité, qui fait son malheur. Est-elle une instance de gouvernance, qui fixe des règles communes – essentiellement économiques – mais ne vise aucun but commun? Elle serait alors comparable à l’OMC ou au FMI qui fixe de simples «règles du jeu» et non des lois, car il faut pour cela une destinée partagée dans une Cité clairement identifiée. Est-ce une nouvelle forme politique comme le laissent entendre son parlement, son Conseil ou sa souveraineté monétaire? Mais alors comment expliquer qu’un ensemble politique aussi vaste et puissant ne dispose ni d’une armée, ni d’une diplomatie, ni, last but not least, d’une constitution?

La réponse fuse, comme une évidence: «on n’est pas allé assez loin». Peut-être. Et l’on évoque inévitablement la faute originelle de notre pauvre pays, qui a rejeté le traité constitutionnel européen. Mais est-ce tout?

Il semble que nulle part, à l’exception des empires avec leur prétention à l’universalisme, on n’ait fait émergé une forme politique, nouvelle ou héritée, sans qu’il y ait, au préalable ou en parallèle, un peuple qui se constitue. Cela suppose un héritage commun, un sentiment d’appartenance et un territoire qui distingue clairement l’ici et l’ailleurs, pour mieux les honorer dans leur complémentarité. Cela suppose que l’on place le politique au-dessus de l’économique, non pour le mettre sous tutelle ou pour tenter une énième prise en main autoritaire, mais pour placer le bien commun au dessus de l’intérêt, fût-il général. L’Europe a une identité, enracinée – grand oubli de 2005 – ouverte sur le vaste monde et généreuse. Mais cette identité repose fondamentalement sur la diversité de ses formes politiques. Si tous ont en commun la démocratie et l’état de droit, la République des Français est lourde d’un histoire qui est bien différente de celle de la monarchie anglaise, qui elle-même n’a pas grand chose à voir avec la république fédérale des Allemands… Un peuple européen n’adviendra pleinement que si l’Union respecte scrupuleusement les souverainetés des nations et si celles-ci consentent, démocratiquement et pleinement, à les partager dans les domaines où cela a manifestement un sens. Cela s’appelle la subsidiarité et c’est, officiellement, un principe européen incontournable. En réalité, les Européens l’attendent encore. Elle signifierait la maîtrise de leur destinée par la redécouverte du politique, coup fatal porté au triomphe apparent de la gouvernance et de ses règles techniciennes.