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Guillaume Benoit
Taux ultra-bas : le cauchemar des investisseurs n’est pas près de finir
Le Brexit a précipité les taux, notamment ceux des emprunts d’Etat, vers des niveaux toujours plus bas.
Face à l’incertitude, les banques centrales devraient assouplir encore plus leur politique monétaire.
C’est une véritable dégringolade. Vendredi, le taux suisse à 50 ans est passé en territoire négatif pour la première fois (à -0,005 %). Concrètement, cela veut dire que les investisseurs sont prêts à perdre de l’argent en prêtant au pays. Du jamais-vu sur une durée aussi longue. La situation est d’autant plus incroyable qu’en avril 2015 le pays avait fait sensation en devenant le premier à émettre en dessous de 0 %… à 10 ans. Depuis, de nombreux Etats lui ont emboîté le pas. Financer l’Allemagne jusqu’à 15 ans coûte 0,056 % et 0,12 % pour le Japon. La France ne rémunère les investisseurs qu’au-delà de 8 ans et affiche à 10 ans un taux historiquement bas de 0,16 %. Dans le monde, ce sont désormais près de 12.000 milliards de dollars de dette qui évoluent à taux négatif, toutes catégories d’émetteurs confondus, selon Candriam. Et plus d’un tiers des emprunts d’Etat sont concernés.
Cette situation inédite ne risque pas de s’inverser rapidement. Le Brexit est venu en effet rajouter de l’incertitude dans un climat économique déjà incertain. De quoi inciter les banques centrales à intervenir. Jeudi soir, Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre (BoE) n’en a pas fait mystère : « Les perspectives économiques se sont dégradées, un coup de pouce monétaire s’imposera sans doute cet été. » Sur les marchés, on s’attend à un nouvel abaissement du taux de la BoE, qui est déjà au niveau historiquement bas de 0,5 % et à une reprise de son programme de rachat d’actifs, afin d’encourager l’investissement et la consommation.
Les spéculations sur l’action de la BCE vont aussi bon train (lire ci-dessous), idem pour la Banque du Japon, qui pourrait lancer un nouveau stimulus peut être avant la fin du mois. Et les perspectives d’un relèvement des taux américains par la Fed s’éloignent de plus en plus. Les traders n’estiment plus qu’à 8 % la probabilité d’un tour de vis d’ici à la fin de l’année. « Il n’y aura pas de relèvement des taux en juillet, ni en septembre et peut-être pas non plus en décembre, explique Jean Louis Mercadal chez OFI AM. On aura donc vécu l’un des plus longs cycles de reprise américains de l’histoire sans réelle hausse des taux, ce qui est inédit… » Certains commencent même à envisager une future baisse ! Une hypothèse qui pourrait se retrouver renforcée par la situation économique outre-Atlantique. S&P a revu vendredi à la baisse ses prévisions de croissance pour les Etats-Unis, à 2 % en 2016 et 2,4 % en 2017.
L’autre facteur de baisse des taux tient à l’accroissement de l’aversion au risque provoquée par le Brexit. Les investisseurs se sont jetés sur les actifs les plus sûrs possible, au premier rang desquels les emprunts d’Etat américains. Conséquence, les taux des « Treasuries » à 10 ans et 30 ans ont enregistré leurs plus bas historiques, à 1,38 % et 2,19 %.
Si cette baisse généralisée du coût de la dette fait le bonheur des emprunteurs, elle commence à peser très lourd sur les acteurs de la finance. Elle érode les revenus des banques et place les gérants d’actifs dans une situation délicate. L’une des stars de la gestion, Bill Gross, a déclaré mercredi qu’il prenait un « congé temporaire » du marché obligataire. De la part de celui qui a été surnommé « le roi des obligations », la nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Il considère notamment que même si la dette américaine offre un rendement attractif par rapport à celles d’autres Etats, son faible niveau fait courir un risque aux investisseurs.
Surtout les gérants doivent revoir leurs stratégies pour réussir à offrir à leurs clients un retour sur leur investissement. « Les taux bas sont désormais bien installés. Pour trouver du rendement, il faut privilégier des gestions plus flexibles, qui permettent d’investir par exemple sur la dette spéculative, ou la dette des économies émergentes », explique Nicolas Forest chez Candriam. « Ce sont des actifs plus risqués, mais toujours moins que les actions étant donné la volatilité actuelle sur les marchés. » En outre, pour le gérant, « même les obligations d’entreprises de bonne qualité peuvent offrir une rémunération positive, tant que la BCE continuera à les acheter ». Avec néanmoins le danger de voir les valorisations plonger lorsque les banques centrales entameront une normalisation de leur politique monétaire. « Plus les taux s’enfoncent et plus le risque de les voir se relever est grand, avertit Frederik Ducrozet chez Pictet. Avec à la clef des pertes de valeur pour les titres antérieurs qui affichent un rendement plus faible. Mais ce n’est pas pour tout de suite. » L’échéance de 2017 pour la fin de l’assouplissement quantitatif de la BCE pourrait notamment être reportée.