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Le Brexit est une déclaration d’indépendance de la Grande-Bretagne par rapport à Washington. Londres était le plus ancien, naturel, solide et fidèle allié de Washington en Europe. Washington se l’est aliéné. Conséquences ? Washington, on le sait, a les moyens militaires de tout faire tout seul, mais n’a pas une liberté d’action politique complète. Il ne peut rien entreprendre sans l’appui diplomatique et militaire de Londres, et secondairement de Paris. Même si les accords militaires ne changeront probablement pas, le Brexit signifie l’affaiblissement de l’OTAN en Europe, en tout cas sa moindre capacité à organiser et à engager des actions au Moyen-Orient et contre la Russie.
Tout cela s’est produit à cause de la démesure napoléonienne de la politique de Washington, qui a maltraité son meilleur allié en Europe et se l’est durablement aliéné. Le Brexit n’est pas seulement le commencement de la fin du libéralisme, c’est aussi le commencement de la fin d’un monde dominé par l’Empire américain. Paradoxalement, c’est peut-être le salut de l’influence anglo-saxonne dans le monde.
Sous les vagues d’une campagne électorale assez pitoyable, et au-delà des débats faibles sur l’immigration qui ont occupé le devant de la scène, le Brexit pourrait aussi marquer la sortie de la place financière londonienne hors de la sphère d’influence américaine. Cela signifierait le retour de l’Angleterre au premier rang des puissances mondiales.
Il s’agit, là, d’une conjecture, et en aucun cas d’une certitude. Pour bien comprendre, il faudrait savoir quel fut le degré de collusion entre Wall Street et Francfort dans les récentes tentatives de prise d’autorité de la BCE sur la City. Ni le sentiment du riche Londonien ni les prises de position des grandes banques américaines, françaises ou allemandes ne nous disent quelle fut, sur le Brexit, l’appréciation profonde et discrète des Britanniques les plus influents de la City. Londres acceptait la relation privilégiée avec Washington tant qu’elle favorisait son industrie majeure.
Il est possible que le trop fort rapprochement entre Washington et Berlin ait poussé Londres à un acte d’autodéfense au moins aussi prévisible que ne l’était, par ailleurs, la réaction populaire au libéralisme sauvage. Ainsi, dans un monde où les régimes non démocratiques inquiètent leurs citoyens fortunés, mais aussi où Washington se permet d’infliger des sanctions financières (Russie) ou d’immenses amendes aux entreprises (Volkswagen) et banques (BNP) des pays qui hésitent à suivre ses consignes, Londres est en train de devenir l’endroit du monde le plus sûr pour y déposer son argent.
Le Brexit pourrait ainsi marquer un choix de la City voulant devenir la place de marché pour les monnaies des pays en froid avec les États-Unis, à commencer par la Chine, dont le yuan aspire à devenir la future monnaie mondiale. Un tel positionnement hostile au dollar est impossible pour un satellite des États-Unis. D’où le Brexit, vu du point de vue de l’élite britannique – les débats sur l’immigration servant à mettre la rupture sur le compte des « populistes ».