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© AFP or licensors / ERIC PIERMONT
Pour le premier meeting parisien de son mouvement «En Marche», le ministre français de l’Economie a promis d’œuvrer à changer la France. En restant au gouvernement et sans dire s’il serait candidat en 2017. Bilan contrasté
Emmanuel Macron a la passion de l’explication. C’est ce qu’il a fait pendant une heure et demie mardi soir, devant trois mille sympathisants de son mouvement «En Marche». Talent oratoire. Volonté de s’affranchir de la division droite-gauche du «système» politique français dont il maintes fois dénoncé la «paralysie» et «l’usure». Accent mis sur la thème de la liberté et la nécessité «de sortir des corporatismes». Mais à part ça, bien peu de propositions concrètes et surtout aucune annonce de rupture personnelle. A la fin d’un (trop) long discours, le ministre français de l’Economie a promis à ses «marcheurs» d’être à leurs côtés et de «porter son mouvement jusqu’à la victoire en 2017», mais sans indiquer ce qu’il comptait faire pour l’élection présidentielle dans moins d’un an. Au soir de ce meeting provocateur convoqué deux jours avant la fête nationale du 14 juillet, ce dernier reste donc membre du gouvernement qu’il a défendu sur le fond, mais en se démarquant clairement «de l’immobilisme» et «de ceux qui ont du mal à convaincre parce qu’ils avancent à mots couverts».
On savait Emmanuel Macron habile sur scène. Il l’a confirmé, même s’il a semblé plusieurs fois impressionné, s’écoutant presque parler et scrutant les réactions de l’audience. Un vrai soutien ? Oui. De la ferveur ? Pas encore, sauf lorsque quelques «Macron président» ont fusé. Le message, il faut dire, était assez brouillé. Tout en refusant de se voir cantonné dans le «ni droite, ni gauche» et en répétant «qu’il est de gauche par son parcours personnel et familial», le ministre favori des médias français s’est présenté comme l’avocat d’une indispensable «refondation», parlant d’«En Marche» comme d’une mouvement «progressiste», après avoir fait l’éloge de l’écologiste Nicolas Hulot qui vient de renoncer à la course à l’Elysée. Discours très français. Eloquent. Truffé de promesses «d’action» et d’expressions assez vides comme : «Nous sommes un mouvement pour faire, pas pour plaire».
Hostilité des socialistes traditionnels
Quel impact pour cette «Macronnade» dénoncée, devant la salle de la mutualité, par des centaines de manifestants hostiles à la réforme du Code du travail qu’Emmanuel Macron a de nouveau défendue? Quel rôle politique pour «En Marche» lancé le 6 avril? Difficile à dire sur la base de ce premier rassemblement. L’ambiance tendue à l’entrée de la salle, gardée par un cordon policier, montre en tout cas que le professeur Macron devra beaucoup travailler pour convaincre et que l’électorat socialiste traditionnel lui reste largement hostile. Une réalité qu’il devra affronter s’il persiste à se lancer dans l’arène pour, un jour, viser l’Elysée. Séduisant par son appétit pour la modernité et la disruption si réconfortante face à la mollesse de François Hollande, à l’esprit de revanche de Nicolas Sarkozy et à la distance froide d’un Alain Juppé, Emmanuel Macron est encore loin de disposer d’une machinerie politique et de l’espace pour exister auprès des électeurs. Une charpente programmatique solide – ce «projet progressiste» qu’il a d’ailleurs appelé de ses vœux – lui fait clairement défaut.
#TousEnMarche semble quand meme laisser pas mal de mecontents sur la route dvt mutualite
Reste à savoir si la guillotine politique ne l’aura pas bientôt privé de ses fonctions de «dissident en chef» au sein du gouvernement. Preuve de l’énervement ambiant, le premier ministre français Manuel Valls a de nouveau dit «il faut que cela cesse» à propos des agissements de son jeune ministre-vedette. L’idée d’une décapitation publique d’Emmanuel Macron par François Hollande lors de sa traditionnelle intervention télévisée du 14 juillet est même évoquée, histoire de faire comprendre à son ancien collaborateur (il fut secrétaire général adjoint de l’Elysée entre 2012 et 2014) qu’il y a des limites.
Problème de taille: un Macron-victime serait presque pire pour le pouvoir qu’un Macron-dissident, car l’intéressé s’est bien gardé jusque-là de défier directement le chef de l’Etat, même si son assurance est confirmée par «Le Monde» dans son édition datée de mercredi. «Je construis une offre politique nouvelle, qui n’est pas celle de François Hollande. J’ai fait le choix irréversible de proposer autre chose».
Proposer quoi ? La question reste ce soir ouverte tant le projet demeure flou, même si l’intention est claire: refuser le clivage droite-gauche pour «regarder la France telle qu’elle est». Une seule chose paraît certaine à ce stade: le leader «d’En Marche» ne se présentera pas à la primaire du PS ouverte à la «gauche de gouvernement», qui se tiendra les 22 et 29 janvier 2017…
Plus Mitterrand que Rocard
A la Mutualité, sa prestation a surtout confirmé que son sourire, sa décontraction, son pouvoir de séduction auprès d’un public jeune, urbain et mondialisé (mais très peu métissé) restent ses meilleurs arguments. Mais jusqu’à quand? Et que se passera-t-il lorsque ce talentueux ministre médiatique, habile sur les plateaux et les estrades se trouvera confronté à cette France «immobile» qu’il a promis de visiter et qu’il a dit «comprendre»? Mardi soir, son hommage à Michel Rocard, récemment décédé, était touchant mais laissait perplexe. Alors que Rocard, père de la «deuxième gauche française», était vilipendé par François Mitterrand et sa cour parce que trop marqué par son goût pour l’économie et ses racines proches du christianisme social, Emmanuel Macron ressemblait paradoxalement beaucoup, mardi soir, à un Mitterrand jeune. Prometteur. Bon dans le diagnostic. Charmeur. Mais ultra calculateur. Un «prince» typique de cette monarchie républicaine qui, de son propre aveu, est l’une des causes majeures des dysfonctionnements français.
