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Unir les efforts de prévention, de protection et de répression de l’Etat à ceux d’alerte et de mobilisation de la société civile. Poursuivre et frapper Daech avec la force et la détermination la plus grande. Telle doit être notre réponse après Nice.
Après les attentats du 13 novembre à Paris la sidération, la douleur et la résilience prédominaient. La ville des Lumières venait d’être victime d’une attaque préparée avec minutie par un commando de terroristes. A Nice, les victimes sont presque les mêmes, des civils innocents parmi lesquels cette fois-ci un nombre élevé d’enfants, mais le procédé dans sa brutale rusticité et efficacité fait plus peur encore. Et deux sentiments l’emportent : l’impuissance et la colère.
Comment dépasser l’une et répondre à l’autre, dans le respect de l’Etat de droit, en assurant le maximum de sécurité à une population qui n’est pas très loin de la crise de nerfs ?
Dès janvier 2015, évoquant la nécessité de nous préparer à vivre à l’ombre de la menace terroriste, j’utilisais le néologisme « d’israélisation » de la société française. Après Nice, cette réflexion et cette comparaison me semblent toujours plus d’actualité. Des véhicules (voitures, camionnettes) ont déjà été utilisés systématiquement comme des armes de guerre contre des civils dans les rues de Jérusalem, au début de ce que l’on a appelé « l’Intifada des couteaux ». Certes on n’apprend pas à vivre avec la terreur.
La peur est naturelle, nécessaire même, pour survivre. Mais on peut développer comme un sixième sens sécuritaire, sans sombrer dans la paranoïa, sans basculer dans le racisme. La société civile – comme c’est le cas depuis très longtemps dans la société israélienne – doit contribuer à sa propre sécurité et servir de relais à l’action de l’Etat, « seul détenteur de l’usage légitime de la force », pour reprendre la formule de Max Weber.
Signaler la radicalisation
Le terroriste de Nice était un homme souffrant depuis longtemps de déséquilibres psychiques profonds et qui, selon les premiers éléments de l’enquête, s’était radicalisé récemment. Ces radicalisations devraient être de manière systématique signalées par les proches (familles ou amis) aux autorités de l’Etat. Il ne s’agit pas d’encourager la délation, mais de préserver le vivre-ensemble. Comment justifier qu’un homme aux commandes d’un dix-neuf tonnes s’acharne à faire voler des enfants en l’air, comme dans un jeu de quilles mortel ? Quelle noblesse y a-t-il à cela ?
L’éveil de tous à la menace et la contribution plus directe de certains, proches de terroristes potentiels, ne suffiront pas, bien sûr, à faire disparaître la menace. Ils n’en sont pas moins indispensables si l’on veut prévenir des dérives autrement plus graves, qui verraient des éléments de la société civile inspirés par des mouvements populistes et racistes prendre en main leur propre sécurité. La France n’est pas le Far West d’hier, caractérisé par l’absence quasi totale de l’Etat. Tomber dans ce piège, ce serait fournir à Daech la victoire qu’il attend et espère.
Unir les efforts
Or contrairement à un discours pernicieux, défaitiste et plus encore, sans doute, faux, Daech n’a pas gagné. Il s’est vu contraint à étendre son champ d’activité, à se rapprocher de facto de la stratégie menée par Al Qaida, parce que son projet de califat, sa volonté, pour reprendre ses propos, d’effacer les frontières Sykes-Picot de 1916, se réduit comme une peau de chagrin sur le terrain. Certes, la perte de villes ou de territoires ne suffira pas à sceller le sort de la guerre d’un type nouveau qui se mène sous nos yeux. De Bagdad à Orlando, d’Istanbul à Nice, en passant par Dacca au Bangladesh, Daech peut remporter des batailles sanglantes, démontrant qu’il continue à séduire et à attirer des hommes prêts à sacrifier leur vie pour sa cause.
Mais Daech, pour peu que nous restions unis, mobilisés et que nous agissions collectivement sur les fronts externes comme internes, ne peut que perdre la guerre. Il arrive un moment où l’instinct de vie l’emporte naturellement, en quelque sorte, sur celui de mort. Unir les efforts de prévention, de protection et de répression de l’Etat avec ceux d’alerte et de mobilisation de la société civile, et poursuivre et frapper Daech dans ses sanctuaires avec la force et la détermination les plus grandes, telle doit être notre réponse après Nice.
Cela suppose bien sûr que l’Etat tire toutes les leçons des failles de sa sécurité après chaque nouvel attentat. Cela implique également de la part de tous les acteurs politiques un sens de responsabilité collective qui dépasse les querelles politiciennes. Les citoyens ne comprendraient pas que l’on puisse se servir des victimes innocentes de Nice pour bâtir des stratégies de conquête ou de reconquête du pouvoir. Entre la double menace des djihadismes et des populismes la voie est étroite. Les uns s’attaquent à nos vies ; les autres à nos âmes. Pour sauver les unes et protéger les autres, des sacrifices s’imposent, des efforts d’adaptation sont nécessaires. Vivre à l’ombre du terrorisme signifie développer des mécanismes d’alerte qui existent déjà en nous mais qu’il nous faut développer, quelle que puisse être notre réticence à le faire. On ne peut pas vivre comme avant, ignorer avec superbe la menace, mais on peut sauver l’essentiel.