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Sur TF1, commentant la tragédie de Nice, Nicolas Sarkozy a montré que ses qualités de communicant politique étaient intactes, dépassant Juppé sur sa droite et cognant Hollande. En revanche, certains de ses propos ne sont pas à la hauteur de l’homme d’Etat qu’il prétend être.

Par Bruno Roger-Petit

https://i0.wp.com/referentiel.nouvelobs.com/file/15351352.jpgNicolas Sarkozy (c) AFP

Vu Nicolas Sarkozy dimanche à la télévision, retour de l’artiste au sommet de son art. Appelé à commenter les tragiques événements de Nice, et leurs conséquences, l’ancien président a renoué avec le meilleur de lui-même, c’est-à-dire un certaine forme de pire. Rien n’a manqué au déploiement de force médiatique dont il paraît avoir retrouvé le secret, après deux ans d’une communication devenue bien pâle en comparaison des années 2000.

Oui, il faut bien en convenir, ce fut un moment de télévision authentiquement Sarkozy, qui est même parvenu glisser une formule, « Ce sera eux ou nous », lourde de sens et de portée. Nous y reviendrons.

Donc, jusqu’à ce dimanche avant 20h de TF1, Alain Juppé était devenu le méchant, et Nicolas Sarkozy, le gentil. Juppé le provocateur, Sarkozy le digne. Cela ne pouvait durer. Pour une raison simple: la Primaire Les Républicains, qui contraint tous les candidats déclarés ou potentiels à se mettre en phase avec un électorat de droite de plus en plus radicalisé.

Nicolas Sarkozy ne pouvait céder à Alain Juppé le rôle d’opposant le plus farouche à François Hollande. Faut-il l’en blâmer? François Mitterrand disait bien qu’il « n’y a d’opposition qu’inconditionnelle ». Cela vaut-il en toutes circonstances? Aux yeux de Nicolas Sarkozy, la réponse ne fait pas de doute.

D’où cette opération de communication politique menée de main de maître. Nicolas Sarkozy a sagement attendu que les uns et les autres s’époumonent dans le bruit médiatique. Il a laissé faire. Laissé dire. Laissé Alain Juppé tirer le premier… Toutes choses qui lui ont offert l’opportunité d’adapter son discours. A la fin, il faut bien dire les choses telles qu’elles apparaissent, il fallait que Nicolas Sarkozy se montrât un cran au-dessus de la réaction d’Alain Juppé. Ce dernier ayant mis la barre très haut, Nicolas Sarkozy l’a placée un cran au-dessus. Un petit cran qui dit que l’ancien président n’en manque pas.

Combattre Juppé pied à pied

Parlant le dernier, ayant éprouvé la communication des uns et des autres, Nicolas Sarkozy ne pouvait que viser juste, en fonction de son seul profit politique, dépendant du sort de la Primaire LR. Au fond, le débat sur le terrorisme n’a d’intérêt pour lui que dans la mesure où il lui permet de combattre Alain Juppé pied à pied, et de persister à déséquilibrer encore un peu plus François Hollande.

D’où le choix du vocabulaire. «Détermination », encore « détermination » et toujours « détermination », mot rabâché tout au long de la prestation sur TF1. Et cette formule, « Ne pas avoir la main qui tremble », jetée au terme d’une longue incantation au combat, formule visant François Hollande tout autant qu’Alain Juppé.

A défaut d’être en capacité d’agir, Nicolas Sarkozy entendait démontrer qu’il est habité de la volonté d’agir. Que les autres sont, au mieux des mous, au pire des inconscients. Qu’il est au rendez-vous de l’histoire quand les autres en sont absents. Qu’il a compris, lui, le tragique de l’histoire, qui appelle des solutions d’exceptions. Et qu’il est la solution.

C’était là le seul but de l’exercice: doubler Juppé sur sa droite, enfoncer Hollande sur sa gauche, inquiéter, affoler. Se hisser au-dessus du bruit médiatique ambiant. Organiser le débat autour de soi. Objectif atteint.

Si l’on juge l’opération de communication politique en fonction de ses ambitions, l’affaire a été menée de main de maître. Preuve en est que dans les heures qui ont suivies, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur, se sont empressés de monter ensemble au front contre Nicolas Sarkozy, validant de fait son opération médiatique. Indiquant à l’électorat de droite radicalisé que décidément, Nicolas Sarkozy a bien raison. Désignant le véritable adversaire qui, tout bien considéré, n’est pas Alain Juppé. Et installant Sarkozy bien au cœur de la droite. Et tout cela alors même qu’il apparaît, jour après jour, comme un adversaire bien plus dangereux en vue de l’élection présidentielle de 2017, pour un candidat nommé Hollande, qu’Alain Juppé.

Seuls le rapport de force compte

Ce Nicolas Sarkozy de combat peut encore remporter la Primaire LR. Quoi qu’en pensent les bien-pensants qui dénoncent sa démagogie, ses approximations et ses transgressions. Ceux-là n’ont toujours pas compris que la vérité n’est pas le sujet de Nicolas Sarkozy, seul compte à ses yeux les rapports de force du moment, qui dictent sa stratégie. Et la communication qui en découle.

Reste que ce Sarkozy de combat demeure porteur de bien des motifs d’inquiétude. Témoin cette autre formule, lancée sur TF1, évoquant le combat contre le terrorisme. « Ce sera eux ou nous » a déclaré le président de LR, l’œil vengeur et le rictus crispé. La sentence ne fait pas beaucoup l’objet de commentaires, et c’est bien regrettable.

D’une part, pour ce qu’elle révèle de l’homme d’Etat Sarkozy, qui parle comme dans un western à la John Wayne. Comme s’il s’agissait d’un combat manichéen, dont les enjeux sont des plus simples. Comme si, par exemple, ce qui se joue en Turquie depuis quelques jours, autour de l’islamiste conservateur Erdogan, ce bien ambigu, étrange et inquiétant « partenaire » de la France et de l’Europe, ne comptait pas.

« Eux » contre « nous »

D’autre part, parce que ce « eux » et ce « nous » n’ont pas été définis par Nicolas Sarkozy. Quels sont les frontières du « nous » et où commence le « eux »? L’ancien président ne l’a pas précisé, jouant de sa formule de cow-boy au saloon cherchant à rassurer les bons contre la prochaine venue des méchants pour se mettre tout le monde dans la poche.

N’en déplaise aux inconditionnels de l’ex-chef de l’Etat, on est aussi en droit de considérer ce flou comme inquiétant. Quand, entre mille exemples possibles, Nicolas Sarkozy s’indigne qu’une mosquée puisse être ouverte à Nice (sur décision du préfet, suite à un jugement de Tribunal administratif) il semble indiquer qu’un foyer de « eux » peut être éventuellement en germe dans cette mosquée. Ce procédé suggestif, un grand classique du sarkozysme communicationnel, est des plus inquiétants, qui ouvre la boite de Pandore de la somme de toutes les haines. Surtout si l’on rapporte le propos de Sarkozy à ce que l’on sait de l’auteur du crime de Nice, qui n’a jamais mis les pieds dans une mosquée avant de rejoindre le camp des « eux ». Avec une telle formule, de nature à alimenter tous les amalgames possibles contre la vérité, Nicolas Sarkozy joue avec le feu des passions françaises en mode Dupont Lajoie, et l’on revendique ici le droit de s’en préoccuper.

Au bilan, ce passage de Nicolas Sarkozy à TF1 est riche d’enseignements. Il est et demeure un formidable communicant politique, il est juste de le reconnaître. Cette qualité éblouissante, en adéquation avec un électorat de droite en attente de pouvoir satisfaire sa colère, peut lui permettre d’enlever la Primaire LR face à un Alain Juppé, englué dans une communication à la Raymond Barre années 80. Mais cette qualité, hélas, ne s’accompagne pas du sens de la justesse politique et de la mesure dans l’appréhension des affaires d’Etat. Pire encore, ses propos, jouant de toutes les haines potentielles, sont encore et toujours les vecteurs susceptibles d’alimenter des tensions entre Français.

Oui, Nicolas Sarkozy est une bête de télévision, mais ce n’est toujours pas un homme d’Etat.

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