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Du coup d’État avorté en Turquie, notre confrère Gabriel Robin a globalement tout et bien dit. Pour aller court, le kémalisme galonné appartient au passé ; l’actuel néo-califat aussi, sauf qu’il obéit à une tendance autrement plus lourde de la société turque, écartelée entre soif d’Europe et retour à des racines plus ancestrales. Il n’empêche que le vent de l’Histoire souffle dans ses voiles : le passé aura toujours de l’avenir.
C’est bien là tout le problème de nos médias, qu’ils soient « français » ou « occidentaux » : à force de mentir, ils finissent par croire à leurs propres mensonges. Simple exemple : on interroge un Turc à la télévision ? À tous les coups, il s’agit d’un homme d’affaires stambouliote ou d’une dame en mini-jupe, tenant une galerie d’art contemporain ayant pignon sur rue sur la bonne rive du Bosphore, rive occidentale comme il se doit.
Un peu comme si l’on réduisait la France aux Champs-Élysées ou au Marais parisien. Mais la Turquie, c’est également la Cappadoce ou l’Anatolie. Soit des contrées chargées d’une Histoire plus que millénaire et bien plus proche de l’Asie que de l’Europe.
C’est ici que réside la principale raison des succès électoraux à répétition du président Erdoğan et de son parti, l’AKP, donné pour « islamo-conservateur » : avoir remis à équilibre Istanbul occidentalisé et Turquie des invisibles.
En effet, n’en déplaise à ces mêmes médias dominants, Recep Erdoğan, malgré ses errances, ses foucades néo-califesques et son inévitable usure du pouvoir, fait encore l’unanimité en sa propre demeure, au sein de son propre peuple. Ainsi ne faut-il pas oublier que grâce à l’AKP, le plus humble des villages est désormais raccordé à l’électricité, l’eau courante et même au Wi-Fi. Mieux : le parti au pouvoir a installé dans chacun d’entre eux au moins une école, un dispensaire et une mosquée ; voire même une église dans les villages chrétiens.
D’où cette popularité persistante au-delà de ses frontières. Certes, il existe en France des contre-manifestants, opposés au régime en place. Mais comme toute voix venue de l’étranger… elle manifeste à l’étranger ; un peu comme si une Marjane Satrapi, issue d’une famille de la haute bourgeoisie communiste de Téhéran, incarnait à elle seule la rébellion face à la République islamique d’Iran.
En Turquie, pays coutumier des golpe à répétition, n’oublions pas non plus ce funeste juillet 2008, date à laquelle fut déjouée une autre tentative de coup d’État, venant de ce que l’on appelait alors les réseaux Ergenekon, un peu calqués sur le modèle gladio-fascisto-américain, fort en vogue dans les années de plomb italiennes. Là, à Istanbul comme à Ankara, quelques dizaines de généraux et de hauts magistrats furent jugés par des tribunaux d’exception avant d’être abandonnés dans on ne sait quelles prisons d’État.
On évoqua alors une manœuvre russe et/ou une manipulation américaine venue de l’OTAN. Depuis, silence radio sur la question. Mais, chat échaudé craignant l’eau froide, nul doute que le MIT, les puissants services turcs, après s’être fait la main sur les trublions d’Ergenekon, ne feront qu’une bouchée de leurs piètres successeurs. La seule chose qui puisse excuser la trahison demeure le succès. Ce dernier n’était manifestement pas au rendez-vous.
Histoire de résumer la teneur des futurs rapports franco-turcs : à Istanbul, il y a un joueur d’échecs, tandis qu’à Paris, le suprême talent du premier des Français n’excède pas celui du jokari ; sur la plage, une roupette dépassant du short à fleurs.
Nous voilà parés.
