Étiquettes
Bruno Colmant, l'Occident, la Nation, La paix, la religion, Le Général de Gaulle, Le Moyen-Orient
Bruno Colmant
Depuis la confrontation aux réalités terroristes, certains s’évertuent à dissocier les événements. Ils les singularisent et les isolent dans une analyse circonstancielle pour s’épargner de prendre une mesure correcte des phénomènes. Mais la plupart des hommes ne comprennent qu’à posteriori la signification de l’évolution historique qui les porte. Ils n’ont aucun repère de l’historicité des faits. A juste titre, de Gaulle écrivait que pour assurer la direction de la guerre, il fallait des esprits d’une capacité synthétique absolument exceptionnelle. C’est cela : nous sommes incapables d’opposer aux événements une réponse cohérente parce que la synthèse des menaces n’est pas clairement formulée. D’ailleurs, faute de prendre le recul intellectuel nécessaire, nos communautés démontrent une très faible capacité à se projeter dans le futur.
L’évidence est devant nous, ainsi que d’éminentes personnalités l’ont clairement affirmé : nous sommes en guerre. Aux sociétés occidentales sécularisées, le Pape François a établi la séquence : après les guerres de 14-18 et de 39-45, il y a celle qui commence. Il parle de guerre qui n’est pas organique, mais organisée. Le Vatican possède les plus fins diplomates du monde au sein d’une institution qui a traversé deux millénaires : chaque mot du Pape a dû être mûrement réfléchi. Ce Pape désigne une troisième guerre, non pas mondiale mais fragmentaire. L’Europe occidentale, imprégnée d’une supériorité identitaire, se croyait à tort isolée par Gibraltar et le Bosphore. Le temps de l’insouciance est donc révolu. La mèche d’une machine infernale serait-elle allumée ? Si c’est le cas, il faut l’éteindre et ramener la paix.
Là aussi, de Gaulle, dans le Fil de L’épée, avait, en 1932, parfaitement résumé les choses : L’action de guerre revêt essentiellement le caractère de la contingence. L’ennemi peut se présenter d’une infinité de manières. Il dispose de moyens dont on ignore la force exacte. Ceux qui combattent se trouvent donc perpétuellement en face d’une situation nouvelle.
La situation est nouvelle. Des forces titanesques sont-elles engagées ? Oui. Sont-ce les premières escarmouches d’une confrontation de modèle de société ? Peut-être encore que je crois toute idéologie subordonnée à des intérêts dictatoriaux. Est-ce un rejet d’un prétendu impérialisme occidental ou de l’économie de marché ? Oui, mais c’est une explication parcellaire et gauchisante. Dans nos pays, est-ce une guerre de religion ? Non : elle est de formulation nihiliste et les symboles régaliens et d’épanouissement individuels sont visés par l’usurpation d’une rhétorique. Est-ce une guerre civile ? Non plus, sous la réserve que le renforcement sécuritaire et autoritaire de nos pouvoirs étatiques compense l’affaissement moral des populations. Le danger mute, de manière virale, dans une escalade de l’horreur et du symbole qui culminera à un point non pas de découragement, mais d’exaspération. Ce jour-là, les bons sentiments ne suffiront plus. Les pacifistes seront écartés. Et un combat rampant, de nature subversive, commencera. Seul prévaudra, ce jour, la vengeance, en substitut de justice. Alors, la pensée sera perdue. C’est cela qu’il faut éviter à tout prix.
Allons-nous laisser la paix à la séquence du hasard ? Non. Car, prenons garde : derrière une capitulation morale, c’est l’Humanisme, la Réforme, les Lumières et la Révolution française qui s’affaissent. C’est un combat d’un demi-millénaire qui serait anéanti. Ce combat, c’est celui de la reconnaissance de la conscience humaine, au-delà de la peur et de la tutelle qui est associée aux religions. Il faut refuser la tétanie face au néant et à l’anéantissement. S’il y a un paradoxe dans l’évolution de nos sociétés : leur épanouissement s’est accompagné d’une sécularisation et d’une libération par rapport à une tutelle ecclésiastique exténuante. Mais si nous pénétrons dans une guerre aux prétextes religieux, serait-ce à l’Eglise catholique de jouer un rôle, ce que les propos du Pape François laissent présumer. L’accepterait-t-elle ? Et ne serait-ce pas l’illustration que nous choisissons d’opposer les cultes, ce qui est évidemment une catastrophe ? Et l’accepterons-nous alors que la chrétienté est plutôt devenue une empreinte culturelle qu’une ascèse morale. Je ne sais pas, car certains, dont je suis, voient dans la laïcité de l’Etat la seule discipline propice à apaiser nos communautés. A mes yeux, la religion est soluble dans la nation, et pas l’inverse.
Au niveau mondial, les configurations politiques changent également. Le niveau de dangerosité du monde est porté à incandescence. Dans tous les continents, des foyers belliqueux s’embrasent. Bien sûr, ils ont tous des généalogies singulières que des historiens perceront à jour, peut-être, dans le futur. Il n’empêche : les brasiers sont nombreux. La Chine revendique de nouveaux rapports navals, les deux Corées ont incontestablement augmenté le niveau de risque de conflit, la Russie veut progressivement regagner son champ de dominance, notamment au sein des trois Etats baltes et en Ukraine, alors que des forces de l’OTAN, certes modestes, sont déplacées à l’Est. Le rapprochement de la Turquie et de la Russie, combiné à un désengagement structurel américain en Europe, nous rappelle que le désarmement de l’Allemagne, qui est la conséquence du nazisme, laisse un trou béant dans notre défense géographique (qui avait été compensé, dans les années quatre-vingt, par l’installation de missiles américains en Allemagne). Le Moyen-Orient et de nombreux pays d’Afrique du Nord sont en guerre tandis que les Etats-Unis vont progressivement accélérer leur désengagement militaire étranger, tirant définitivement un trait sur la doctrine de Théodore Roosevelt. Des régimes européens se raidissent alors que des vagues migratoires, notamment de nature climatique, vont s’amplifier. Et puis, les cyber-attaques seront aux prochaines décennies ce que les chars et l’aviation furent à la guerre de 1940. Tout est bouleversé.
La loi du genre humain n’est pas l’union. C’est la désunion et la dictature. C’est ainsi que les empires et les royaumes se sabordent et sont engloutis dans le néant de l’histoire. Au vingtième siècle, des compositions ancestrales ou éphémères européennes se sont effondrées : Empire austro-hongrois, Reich, Union Soviétique avec l’éclatement subséquent de ses affiliées, Chine maoïste, etc. Rien ne dure, rien, n’existe, disait Mauriac. Tout sera bouleversé par mes mains hasardeuses du temps, renchérissait Montherlant. L’union au sein et entre les peuples est un combat permanent contre l’entropie. Mais l’union exige des valeurs morales, c’est-à-dire un projet qui porte les hommes plus haut et plus loin. Ce projet ne peut pas être la prospérité immédiate, mais plutôt l’ascèse de garantir un avenir prospère et pacifié dans la solidarité sociale et le respect identitaire aux futures générations. Et malheureusement, c’est cela que l’Europe, dont la classe moyenne est exténuée par la crise, n’incarne plus.
Notre propre pays est aussi en guerre au Levant. Il était un peu naïf de croire que ce serait une guerre courte, fraîche et joyeuse réservée aux forces armées professionnelles. Si nous sommes en guerre au Moyen-Orient dans une politique étrangère et une stratégie militaire qui n’est pas suffisamment élucidée (personne n’est capable de m’expliquer intelligiblement où, comment, sous quel commandement et contre qui nos forces aériennes sont engagées), il fait aussi s’interroger sur les racines de cet engagement. Si le Moyen-Orient est une poudrière, c’est aussi parce que l’Occident a lancé ses troupes en Irak et en Libye à des motifs qui s’avèrent aujourd’hui fragiles ou dont les fondations morales, tels le devoir d’ingérence, apparaissent légers. Là, on a replacé les États par le chaos. Là aussi, des milliers de personnes se font assassiner. Nous ne pouvons donc pas dissocier le Levant du terrorisme en déposant un voile pudique sur des réalités plus lointaines.
Ceci étant, si nous risquons la guerre, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de nos frontières, il faut s’y préparer d’autant qu’aucune évolution géopolitique ou politique ne nous est favorable. Il faut en accepter les conséquences plutôt que d’espérer que les forces militaires et de police nous préservent d’une prise de conscience. Ces conséquences, seront, entre autres, un rétablissement d’un service citoyen, de nature militaire, sur une base volontaire. Chacun devra décider, selon sa conscience et son attachement aux valeurs que nos collectivités défendent, quelle sera son implication. Au reste, notre voisin français reconstitue ses contingents de réservistes et crée une Garde Nationale.
Une guerre exige aussi des formulations juridiques et pénitentiaires particulières. Nous ne pouvons pas persister dans la précarisation financière et logistique de la Justice, des forces policières et militaires, etc. Croit-on réellement qu’on va pouvoir, pendant des années, demander à des militaires et forces de polices exténués de garder nos rues en espérant qu’ils seront assistés de vigiles privés devant les magasins sans, qu’à un moment, on ne pose la question de mode de société ?
C’est aujourd’hui que les hommes qui nous dirigent doivent être audacieux et clairvoyants. Le monde vieillit, « Mundus senescit », disait saint Augustin. Il perd la paix, dit le Pape François. Je fais partie de cette génération qui a connu l’appel sous les drapeaux et a trop écouté l’écho des morts de la dernière guerre pour manquer aujourd‘hui de lucidité et d’intuition. Bien conscientisés et préparés, nous serons légitimes pour pacifier nos communautés. Mais nous devrons aussi nous engager individuellement à défendre des valeurs bienveillantes et solidaires sous un vocable qui paraît, à tort, désuet : le patriotisme, dissocié des religions et de l’économie. Si le Pape François a raison, il faut restaurer des valeurs collectives et rebâtir la place de nos États, car ils se sont affaiblis depuis 40 ans. Et il faut retrouver la tempérance économique et la solidarité sociale.
La synthèse est peut-être dans ces constats.
En tout cas, c’est la mienne.