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Plusieurs mois après la fin de la Cop 21 qui s’est tenue à Paris en décembre dernier, très peu de pays ont ratifié l’accord auxquels sont parvenus les 175 Etats participants à l’issue de cette conférence. Parmi eux, on ne retrouve aucun des principaux pays émetteurs de CO2, ce que dénonce Laurent Fabius dans une tribune parue ce mardi dans « Le Monde ». Un constat qui n’est pas vraiment surprenant.

Henri Landes , maître de conférences à Sciences Po Paris en développement durable et cofondateur de CliMates, un think et do tank étudiant sur le climat.
Ce mardi, Le Monde a publié une tribune dans laquelle Laurent Fabius exprime ses « inquiétudes » quant au retard pris dans l’application de l’accord de Paris pour lutter contre le réchauffement climatique. Celles-ci concernent tout particulièrement la ratification de l’accord, encore très loin de ce qui est nécessaire car comme le précise l’ancien ministre des Affaires étrangères, « il faut au moins 55% d’Etats représentant plus de 55% des émissions de gaz à effet de serre ; (or) nous en sommes à moins de 2% ». Comment expliquer cette situation ?
Malheureusement, l’Histoire nous apprend que lutter contre le changement climatique est seulement une priorité lorsqu’une grande conférence sur le climat se tient le lendemain. L’après COP21 est marquée par une démobilisation inacceptable des responsables politiques et des médias sur le climat. Les mêmes erreurs sont répétées de l’après COP15 à Copenhague en 2009, bien que dans une moindre mesure.
La COP21 fut seulement un point de départ, et non pas le point d’arrivée. Les négociations à Paris ont été très fructueuses. Maintenant les actes sont nécessaires pour mettre en œuvre l’accord. Ce n’est pas parce que nous avons signé une feuille de papier que les émissions de gaz à effet de serre s’arrêtent.
L’urgence climatique n’a jamais été aussi claire. L’année 2015 était la plus chaude de l’histoire. Juillet 2016 fut le mois le plus chaud de tous les temps. Nous voyons des populations qui sont obligées de se déplacer constamment à cause de la dégradation de l’environnement ou de la montée des mers. Dernier exemple en date, le village de Shishmaref en Alaska a voté son déménagement, une grande première aux Etats-Unis.
En pointant du doigt le fait que les cinq premiers émetteurs de CO2 (Etats-Unis, Chine, UE, Inde et Russie) n’aient pas « franchi le pas » en dépit de leurs promesses, Laurent Fabius espère-t-il faire pression sur ces derniers pour accélérer la ratification ? Quelles pourraient être les chances de réussite de cette tentative ?
Dans cette tribune, Laurent Fabius espère vraisemblablement faire pression sur les leaders de ces pays, que ce soit directement ou indirectement. Les responsables politiques français doivent aussi être attentifs à son appel qui présente un argument insuffisamment pris en compte : le changement climatique a un impact sur la santé publique, la sécurité nationale et l’économie. Ce n’est pas une question politique marginale qui concerne la protection de la planète. C’est une question centrale qui doit régir l’ensemble des choix politiques de notre société.
Ces difficultés concernant la ratification et la mise en oeuvre des mesures adoptées dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat n’étaient-elles pas prévisibles ?
Certaines difficultés de ratification étaient prévisibles. L’Union européenne est une structure avec plusieurs acteurs et une procédure complexe de ratification. Elle consiste en un aller retour entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil des ministres qui doivent chacun s’exprimer en faveur de la ratification, et pourvu que la présidence slovaque du Conseil mette le sujet à l’ordre du jour rapidement. Il y a une volonté que l’Union européenne et tous ses pays membres présentent leur ratification en même temps, afin de démontrer une véritable cohésion. Par définition, ce scénario prend plus de temps à 28 pays.
Les difficultés pour les autres pays clés des négociations ne sont pas une surprise mais sont regrettables pour autant. Les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde doivent prendre leurs responsabilités. Historiquement, les Etats-Unis n’ont pas joué le jeu dans la ratification de traités sur le climat, à l’image de leur non ratification du Protocole de Kyoto. Barack Obama fera probablement tout pour ratifier l’accord de Paris avant la fin de son mandat. Il devrait pouvoir le faire par décret. Son congrès a majorité républicaine est hostile à une telle mesure.
Ne parlons même pas du candidat républicain à la présidentielle qui appelle le changement climatique « un faux problème inventé par les chinois pour affaiblir l’économie américaine ».
La Russie se montre aussi fidèle à elle-même. Elle n’a jamais été motrice des négociations et elle a souvent été ambiguë dans sa conviction que le changement climatique était un problème majeur et du à l’activité humaine. Pour la Chine et l’Inde, ce sera la première fois qu’ils ratifient un accord contraignant sur le changement climatique.
Dans l’inertie actuelle, nous pouvons observer une petite part de dilemme de prisonnier. Mais c’est surtout que nous avons besoin d’une volonté politique sans précédent pour franchir ce pas. C’est primordial que les chefs d’Etat de ces pays et de l’Union européenne se réveillent et fassent le nécessaire d’ici la COP22.
A la mi-février, la direction de la Cop 21 a changé de main, passant de Laurent Fabius à l’actuelle ministre de l’Environnement, Ségolène Royal. Ce changement a-t-il pu jouer dans les difficultés rencontrées actuellement dans la ratification et la mise en oeuvre de l’accord de Paris sur le climat ?
En amont et pendant la COP21, Laurent Fabius avait réussi à créer une confiance remarquable entre les négociateurs, les ministres et les chefs d’Etat sur la question climatique. Avec son équipe, il était devenu un point de repère dans les discussions. Il est indéniable qu’il y eu une déception dans la communauté internationale lorsqu’il n’a pas continué sa mission présidence de la COP21 jusqu’à la COP22, à Marrakech.
Compte-tenu de la situation actuelle, à quoi peut bien faire référence Laurent Fabius lorsqu’il parle de « l’immense satisfaction d’avoir réussi (…) la conférence mondiale de Paris sur le climat » ? A quel moment, et par quels modalités, ce soi-disant « succès » s’est-il manifesté ?
A la COP21, les leaders politiques et les négociateurs ont réussi à dépasser quelques blocages historiques. Premièrement, ils ont tous décidé d’être réellement sur la même longueur d’onde en ce qui concerne l’objectif global de 2 degrés, voire de 1,5 degrés. Ils ont enfin décrété que la science devait être écoutée. Ils ont annoncé que le monde devait sortir des énergies fossiles.
C’est une approche qui permet de représenter et de fédérer toute la communauté internationale et l’humanité.
Maintenant, c’est à chaque pays de contribuer à l’effort collectif car tout le monde voit qui sont les bons et les mauvais élèves. Pour l’instant, chaque pays, surtout les pays industrialisés, doit augmenter son ambition car les objectifs, même s’ils sont atteints, n’évitent pas le dépassement des 2 degrés.
Laurent Fabius a raison de parler de succès de la COP21. Nous verrons rapidement si ce succès était éphémère. Cependant, ne nous trompons pas, nous n’avons plus le luxe des atermoiements incessants sur le climat.