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En témoignent les dernières victoires militaires qu’elles avaient remportées, certes grâce aux soutiens extérieurs, face aux extrémistes de Daech. Les Etats-Unis semblent ainsi avoir abandonné tout soutien substantiel à leurs anciens protégés, réputés « modérés » de l’Armée Syrienne Libre (ASL). Bien qu’ayant condamné l’offensive turque, le régime syrien ne serait pas contre l’action d’Ankara qui l’aiderait à maintenir un Etat unitaire et affaiblir les appels à une Syrie fédérale dans laquelle les Kurdes seraient les premiers bénéficiaires, en obtenant leur entité autonome, avec le soutien des Etats-Unis. L’attaque turque qui ménagerait dans les faits l’EI, malgré les déclarations contraires des responsables gouvernementaux, ferait également les affaires de Damas, qui pourra toujours se prévaloir de combattre les « terroristes islamistes » et de se présenter comme le rempart contre l’extrémisme religieux. Le régime syrien apparaîtrait ainsi, aux yeux de l’Occident et de la communauté internationale, un « moindre mal » face à l’épouvantail de Daech.
Concrètement, l’offensive turque vise à empêcher les combattants kurdes des FDS de poursuivre leur avancée sur les territoires du nord syrien tenus jusqu’ici par l’EI et de remporter une victoire irréversible à la frontière de la Turquie, ouvrant la voie à la création d’un « pays » autonome kurde, ce qui serait un véritable cauchemar pour Ankara. Le nord de la Syrie, frontalier de la Turquie, a connu diverses fortunes depuis l’éclatement du soulèvement populaire en mars 2011. Entre 2012 et 2014, l’ASL a mené le combat contre le régime syrien et a réussi à occuper la majeure partie du nord du pays. Mais entre 2014 et 2015, l’EI a conquis de larges parties de cette région. Vers la fin 2015, grâce à l’intervention militaire russe à partir du 30 septembre, le régime syrien a pu reprendre certaines régions du nord. En même temps, le puissant soutien américain aux FDS a permis à celles-ci de reprendre des territoires à Daech, qui se trouve aujourd’hui sur la défensive et en perte de vitesse face à l’offensive d’une coalition internationale et régionale, dont font partie les Etats-Unis, les pays européens et la Russie. Bref, le nord de la Syrie est actuellement le théâtre de multiples batailles, où s’entremêlent des intérêts souvent divergents, car même si tous se disent vouloir vaincre les extrémistes de Daech, ce qui est vrai, ils poursuivent parallèlement d’autres objectifs et défendent des agendas parfois diamétralement opposés : Les Américains veulent le départ de Bachar Al-Assad et la chute de son régime, allié de Moscou, les Russes s’emploient au contraire à leur maintien. Et même s’ils sont prêts à sacrifier Assad si nécessaire, ils veulent au moins maintenir son régime politique et garantir ainsi un gouvernement ami en Syrie.
Les Turcs, pour leur part, même s’ils cherchent, comme les Américains, les Saoudiens et les Qataris, le départ d’Assad, ils ne sont pas prêts à le faire au prix du renforcement des Kurdes syriens ou, pire, de la création d’un Kurdistan syrien autonome à leurs frontières. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la dernière déclaration du premier ministre turc, Binali Yildirim, dans laquelle il a estimé pour la première fois que « Assad est l’un des acteurs de la scène syrienne », et qu’il pourrait à ce titre être maintenu au pouvoir pour une période transitoire. Cette évolution de la position d’Ankara est sans doute aussi le fruit de son récent rapprochement avec Moscou. Le président Recep Tayyip Erdogan s’est rendu dans ce but en Russie le 9 août, scellant la réconciliation avec le président Vladimir Poutine, après des mois de tension. L’importance stratégique du nord de la Syrie, où se livrent bataille plusieurs acteurs, Turcs, Russes, Américains, Européens, Iraniens, entre autres, et leurs alliés locaux, régime syrien, FDS, ASL, ainsi que Daech, est renforcée par la présence en son sein d’Alep, la ville la plus peuplée de Syrie. Capitale économique du pays, Alep est au coeur de toutes les convoitises.
Elle fait partie intégrante du « corridor » vital du régime syrien, composé des trois grandes villes du pays alignées du sud au nord, Damas-Homs-Alep, où vivent 60 % de la population. Le rétablissement du contrôle sur ce corridor, pays utile de la Syrie, par le régime de Damas renforcerait sa position aussi bien militaire que politique. Par contre, la chute d’Alep aux mains de l’opposition serait une perte terrible, qui sonnerait le glas du régime. Ainsi, les batailles du « nord » syrien, où se trouve mêlée aujourd’hui la Turquie, sont intimement liées au sort de sa capitale, Alep, disputée par tous les protagonistes du conflit. Depuis 2011, la ville échappe partiellement aux forces gouvernementales. Aujourd’hui, elle est partagée entre l’armée syrienne, l’EI, les FDS, le Front islamiste d’Al-Nosra (proche d’Al- Qaëda) et une myriade de petites formations d’opposition armée. Il n’est pas fortuit dans ces conditions de constater que l’ensemble des belligérants qui se disputent la ville considère la bataille d’Alep comme celle qui déciderait du sort de la guerre en Syrie.