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Les chiffres viennent de tomber : 7 % d’illettrés, tous âges confondus. Ou peut-être 11 %. Record d’Europe. Qu’en est-il exactement ?

Les chiffres viennent de tomber, et Le Parisien les met à la une. La France compte 7 % d’illettrés – entendons : des personnes ayant bénéficié d’un enseignement et se trouvant au terme de leurs années d’études en grande difficulté avec le lire-écrire. Dans l’incapacité pratique de comprendre un texte simple de quelques lignes. L’analphabète, lui, n’a pas été en contact avec le système scolaire – il a quelques excuses. Mais l’illettré ?
La grande responsabilité de la maternelle
Et d’abord, entendons-nous sur les chiffres. 7 %, disent les plus récentes statistiques. 9,6 %, dit l’armée, qui teste tous les jeunes Français entre 17 et 18 ans – dont 4,1 % en très grande difficulté.
11 %, affirme le linguiste Alain Bentolila, l’un des experts consultés par Alain Juppé pour son livre sur l’école (dernier titre paru : Apprendre à lire pour les nuls, éditions First, 2016). « Il s’agit là, explique-t-il, de jeunes Français incapables de comprendre un texte simple de quelques lignes. » La réalité, c’est qu’il y a 2,5 % de dyslexiques sévères, auxquels on ajoutera environ 1,5 % de gosses heurtés par la vie d’une façon ou d’une autre. Nous voici aux 4,1 % de personnes en très grande difficulté détectées dans le cadre de la journée d’appel. Le reste, c’est le produit du système.
« Et il faudrait y ajouter les 4 ou 5 % qui, à l’entrée en sixième, sont incapables d’accéder aux demandes des enseignants. Sans compter que, selon les collèges et selon le ghetto, c’est parfois 30 ou 40 % d’élèves qui, à 11 ou 12 ans, ne maîtrisent pas réellement la lecture. Et la dernière réforme en cours n’y changera rien – bien au contraire. »
Ah, l’éternelle question des méthodes de lecture ! ai-je soupiré. On sait aujourd’hui que la méthode alpha-syllabique est la plus efficace. Que certains enfants, très minoritaires, préfèrent apprendre autrement, j’en conviens. Mais toutes les études prouvent, les unes après les autres, que, particulièrement dans les milieux culturellement défavorisés, c’est la b-a-ba qui permet d’entrer dans le texte. Mais les idéologues des défunts IUFM et des actuels ESPE agitent leurs petits bras en disant que « b-a-ba, cela ne veut rien dire, et qu’il faut entrer dans le sens directement », bla-bla-bla. Il en est de la lecture comme de la natation : si l’on ne veut pas désapprendre ce que l’on a mal appris, il faut consentir à apprendre les bases, la double articulation du langage, le passage du son à la syllabe, de la syllabe au mot, du mot à la phrase. La langue est un système, une mécanique, pas une toile impressionniste.
» Pas même, ou pas seulement, rectifie-t-il. C’est à la maternelle, qui fut autrefois le point fort de l’école française, que tout se joue, et se joue mal. D’abord, en rassemblant dans la même classe des populations culturellement hétérogènes et en pensant qu’on peut raisonnablement faire classe à 30 bambins de 4 ou 5 ans – alors qu’ils ne devraient jamais être plus d’une quinzaine – dont certains n’ont pas 250 mots de vocabulaire. Ensuite, il faut mettre le paquet sur l’oral – non pas l’oral ordinaire, mais l’apprentissage à l’oral de la langue dans ce qu’elle a de plus écrit. Aujourd’hui, lire un joli texte est une sucrerie que l’on offre en fin de journée, une récompense, et un moyen d’obtenir un peu de sérénité avant la sortie. Alors que la lecture doit être active, qu’à chaque lecture il faut demander ce qui a été compris, quels mots ont été repérés, appris, discutés. La lecture du maître, c’est un exercice d’éveil au beau langage. Tel qu’il était compris lorsqu’il y avait des inspectrices générales du primaire qui connaissaient leur boulot ! »
Du côté des méthodes
Sur le site que le ministère de l’Éducation a dédié à la question, on ne manque pas de faire l’apologie des jolies mesures prises par le gouvernement socialiste depuis 2012 dans le cadre de la « refondation » de l’école. Plus de ceci, plus de cela. Mais rien – pas un mot – sur les méthodes de lecture.
Qu’une proportion non négligeable de professeurs des écoles (en vérité, je vous le dis : chaque fois qu’un instituteur – un beau mot qui veut dire « celui qui vous fait tenir droit » – se fait appeler « professeur des écoles », vous êtes sûr de la qualité pédagogico-conforme de votre interlocuteur) persiste à enseigner le lire-écrire en méthode Foucambert, ou « idéo-visuelle » – non pas globale, mais à départ iconique : une image, un mot.
Parents, méfiez-vous. Surveillez les manuels de vos enfants. Veillez surtout à ce que, dès la maternelle, moyenne ou grande section, ils apprennent les gestes graphi-moteurs qui leur permettront d’entrer dans l’écrit, parce que, contrairement à ce que l’on croit trop souvent, c’est par l’écrit que l’on entre dans la lecture. Surveillez-les d’autant plus qu’il existe d’excellents manuels, ceux du Grip, dont j’ai déjà parlé (contactez donc Muriel Strupiechonski de ma part sur legrip@hotmail.fr), ou Lire avec Léo et Léa – parmi d’autres. Mais quelle surprise ! Ce ne sont pas ceux que promeut le ministère…
Donner plus à ceux qui ont moins
C’est particulièrement dans les couches défavorisées de la population que les difficultés s’accumulent, et se perpétuent et s’accroissent au fil du temps. « De 1997 à 2007, dit une étude officielle, la proportion d’élèves en difficulté de lecture à l’entrée en sixième est passée de 14,9 à 19 %. La dégradation ne concerne pas les mécanismes de base de la lecture, mais les compétences langagières, en particulier le vocabulaire et l’orthographe. Cette baisse est générale et importante dans le secteur de l’éducation prioritaire. »
Il faut consentir à différencier les apprentissages en fonction de la culture et du bain linguistique familial. Donner plus à ceux qui ont moins. Ne pas les noyer dans une classe dont ils ne retireront pas grand-chose – et ne pas brouiller les apprentissages des savoirs de base avec des considérations oiseuses sur les « compétences ». Ne pas mettre l’accent, comme on le fait aujourd’hui, sur l’oral sous prétexte de décrisper les mécanismes intellectuels – alors qu’on les grippe. La langue française, même à l’oral, est une langue écrite, terriblement écrite.
Il ne faut pas non plus brouiller les enseignements des fondamentaux – lire, écrire, compter – avec un saupoudrage de disciplines annexes – à commencer par les « langues et cultures d’origine », dont je parlais récemment et que Mme Vallaud-Belkacem prétend mettre à la disposition de tous les enfants, alors même qu’ils ne parlent pas français ! Au moins 50 % du temps scolaire, en primaire, doit être consacré à la maîtrise de la langue française – tout comme il faut rétablir, au collège, ces centaines d’heures de français supprimées depuis vingt ans sous prétexte que les maths ou l’histoire, c’est aussi du français, et que la grammaire, c’est ringard. Il faut en revenir très vite à des apprentissages méthodiques, au par cœur qui s’incruste à 6 ans et pour toute la vie : combien d’entre nous se rappellent encore les récitations apprises à l’école – mais nos enfants et nos petits-enfants ne risquent pas de se souvenir de ce que l’on ne leur aura pas appris. Si tant de gosses, en grandissant, oublient les mécanismes du lire-écrire, c’est parce qu’ils n’ont pas été gravés assez profondément.
Et cela touche tout le monde, même les journalistes : sur le site du Parisien qui titre sur l’illettrisme, le mot, dans le bandeau, est orthographié « illétrisme »…