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Décryptage
Scarlett HADDAD

Comme dans la fameuse émission française « L’École des fans », tout le monde a gagné dans le compromis trouvé lors du dernier Conseil des ministres. Sauf bien sûr les citoyens. Mais cela reste secondaire aux yeux de la classe dirigeante. Harcelé par les faucons du courant du Futur, le Premier ministre a donc sauvé la face en maintenant le rendez-vous en dépit de la demande de report formulée par le Courant patriotique libre. Ce dernier a réussi à empêcher le gouvernement de prendre des décisions sur des dossiers importants, puisque la réunion a été de pure forme et qu’elle s’est tenue pour le principe. Le chef des Marada Sleiman Frangié a trouvé un prétexte pour pousser son ministre Rony Araïji à s’absenter, sans avoir l’air de céder au CPL, avec lequel il est en pleine polémique, dans le but de se solidariser avec le Hezbollah, dont les ministres ont fait front aux côtés de ceux du CPL. En même temps, Frangié a montré qu’en dépit de ses critiques virulentes contre le ministre des Affaires étrangères et chef du CPL, lorsque les ministres chrétiens sont ostracisés par leurs collègues des autres formations politico-confessionnelles, il se tient à leurs côtés. Ce qui lui permet de réduire quelque peu la tension entre lui et le général Michel Aoun, sachant que tel est le souhait du Hezbollah.

En fait, c’est ce dernier parti qui a trouvé cette formule, après avoir vainement tenté de rapprocher les points de vue entre ses alliés et ses partenaires. Tout en étant convaincu de la nécessité de maintenir l’actuel gouvernement dans des circonstances locales et régionales aussi délicates et particulières, le Hezbollah a estimé qu’il y avait une véritable campagne pour briser le général Aoun, en lui refusant de marquer le moindre point et en le poussant dans ses derniers retranchements. Certains milieux du courant du Futur avaient même laissé entendre qu’ils ne voyaient pas d’inconvénient à ce que les ministres du général Aoun démissionnent, même si cela devait pousser ce dernier à organiser des manifestations. Selon eux, ce serait enfin l’occasion de mesurer sa popularité et peut-être de mettre un terme à son image de leader charismatique. C’est d’ailleurs dans ce sens que le président de la Chambre avait déclaré devant ses visiteurs qu’il souhaite protéger le général Aoun de lui-même et l’empêcher de se suicider…
Or, pour le Hezbollah, Michel Aoun reste une ligne rouge et une priorité, en dépit des tentatives du chef des Forces libanaises de semer le doute chez les partisans du « général » au sujet du sérieux de l’appui de la formation chiite. Tant qu’il en aura la possibilité, il ne permettra pas qu’il soit isolé ou défait, d’autant qu’il considère que si le chef du bloc du Changement et de la Réforme est si violemment attaqué, c’est en partie en raison de son alliance avec le Hezbollah. Il en a donc donné une nouvelle preuve, jeudi, en demandant à ses deux ministres de boycotter la séance.
Cette réunion qui aurait pu sonner le glas du gouvernement s’est donc tenue sans remous et comme il se doit, aucun problème n’a été réglé, ils ont tout simplement été reportés, dans l’espoir qu’un miracle (extérieur) se produise et entraîne un déblocage. En attendant, le Premier ministre devrait se rendre à New York pour participer à la session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies et aux deux conférences sur les réfugiés syriens qui doivent se tenir les 19 et 20 septembre au siège de l’Onu. Ce qui laisse du temps à chaque partie pour qu’elle se ressaisisse et se prépare à la période suivante. Des sources proches de Rabieh continuent à miser sur un changement d’attitude du chef du courant du Futur Saad Hariri au sujet de l’élection présidentielle.
Ces mêmes sources sont convaincues que depuis le refus des autorités saoudiennes de le rencontrer à Tanger, où il s’est rendu spécialement dans ce but, et depuis le refus de ces mêmes autorités d’aider sa société Saudi Oger à surmonter ses graves problèmes financiers, Saad Hariri n’a plus d’autre choix pour se remettre en selle que d’accepter d’élire Aoun à Baabda s’il veut revenir au Sérail. Selon ces sources, l’équation est claire et le « deal » équitable pour toutes les parties. Il n’attend plus, pour se conclure, que la décision de Saad Hariri, qui doit toutefois tenir compte d’une forte opposition au sein de son propre courant, menée, selon des sources concordantes, par l’ancien chef du gouvernement Fouad Siniora. Ce dernier serait hostile à tout compromis présidentiel avec le Hezbollah au sujet de la candidature de Michel Aoun.
Selon des sources proches du 8 Mars, le vrai problème réside dans les tiraillements au sein du courant du Futur et c’est à Saad Hariri de le régler, selon ce qu’il juge bon pour ses propres intérêts. Les mêmes sources révèlent que le chef du courant du Futur avait laissé entendre qu’il reviendrait au Liban avec, cette fois, une réponse définitive, mais les milieux politiques restent sceptiques, estimant qu’il n’est pas en position de force, ni sur le plan interne ni au niveau régional, pour pouvoir prendre une décision au niveau national qui n’aurait pas l’aval des ténors de son courant. Ce qui signifie que la situation interne devrait se diriger vers plus d’éparpillement et de pourrissement.
Il ne fait plus aucun doute que le nouveau report du passage à la retraite du commandant en chef de l’armée est acquis. C’est d’ailleurs pour éviter de rester centré sur cette question que le chef du CPL, Gebran Bassil, a lancé le slogan du « partenariat et de la conformité au pacte national » qui fait désormais l’objet d’une nouvelle polémique politique. Sous ce titre, qui porte davantage sur une approche du pouvoir que sur des dossiers précis, le CPL mène désormais une bataille qui risque de s’envenimer en octobre si l’autre camp continue de faire la sourde oreille.

Le Liban, qui a la chance de bénéficier d’un minimum de stabilité dans une région en pleine tourmente, aurait pu être une véritable oasis de paix pendant cette période agitée. La classe dirigeante a préféré le transformer en dépotoir, au propre comme au figuré, par inconscience, incompétence et manque de vision, avec un gouvernement en sursis dans un État en décomposition.

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