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Les bombardements russes sur Alep suscitent des indignations mais le maître du Kremlin sait qu’il n’y a pas de véritable obstacle à sa realpolitik brutale

Pour Vladimir Poutine, la campagne électorale américaine est une vraie opportunité, car les Etats-Unis d’Obama ne vont pas prendre le risque d’une escalade avec Moscou.

Pour Vladimir Poutine, la campagne électorale américaine est une vraie opportunité, car les Etats-Unis d’Obama ne vont pas prendre le risque d’une escalade avec Moscou. Image: AFP

La politique «du fait accompli»

Comment expliquer la timidité – ou la faiblesse – des Occidentaux? D’abord, bien sûr, il y a une réalité de terrain: il est bien plus aisé pour Poutine d’enterrer toute contestation en Syrie sous un tapis de bombes et remettre Assad aux commandes que pour les Occidentaux de concevoir une périlleuse transition vers la démocratie, sans véritable appui depuis que l’opposition modérée a quitté le pays. Mais par-delà le cas syrien, le moment est particulièrement favorable à Poutine. En Occident, les puissances sont entravées. En pleine campagne présidentielle, les Etats-Unis de Barack Obama ne vont pas prendre le risque d’une escalade face à Moscou. «C’est une vraie opportunité pour Poutine, qui a quelques mois pour imposer le fait accompli en Syrie à la prochaine administration américaine», commente Michel Eltchaninoff, auteur de Dans la tête de Poutine. En France, la situation n’est pas très différente. Quant au Royaume-Uni, empêtré dans son Brexit, il a d’autres chats à fouetter. De manière générale, l’Europe a du mal à supporter l’arrivée de réfugiés. Poutine l’a bien compris: il peut se permettre d’aller trop loin.

Un François Hollande hésitant s’est, il est vrai, débrouillé pour que son homologue russe reporte l’inauguration d’une cathédrale orthodoxe à Paris. «Il ne vou lait pas donner l’opportunité au président russe d’une visite exaltant les valeurs chrétiennes dont il se veut le gardien dans la France laïque, alors que Paris accuse Moscou de crimes de guerre», commente encore Michel Eltchaninoff, rédacteur en chef de Philosophie Magazine et fin connaisseur de la Russie. Au contraire, pour Fabrice Balanche, spécia liste de la Syrie et chercheur au Washington Institute, l’attitude française est «pathétique».

Turquie et Jordanie en retrait

«Contrairement aux Russes, les Européens n’ont pas d’intérêts à défendre en Syrie. Et ils se retrouvent bien seuls, note Fabrice Balanche. Les Américains sont sur le reculoir. La Turquie, alliée au sein de l’OTAN, qui a poussé à la guerre contre Assad, a passé un marché avec les Russes et mis fin à son soutien aux rebelles à Alep. En échange, ils ont obtenu la création d’une zone sûre au nord de la Syrie, en protection des villages turkmènes et des réfugiés syriens. La Jordanie, l’autre allié régional des Occidentaux, a fait de même en se garantissant de l’arrêt des bombardements au sud, pour stopper l’afflux de réfugiés qui menace la stabilité du royaume. Ces deux pays ne soutiendraient plus une intervention américaine.»

Si chacun décrit la situation syrienne comme un «schéma de guerre froide» – une confrontation par alliés interposés sur un même terrain – entre Russes et Américains, qui discutent en direct, sans en informer leurs alliés, le risque de guerre a été bien pris en compte par Washington. «Dès 2013 et l’utilisation d’armes chimiques, Barack Obama, qui avait promis une rupture avec la politique interventionniste des néoconservateurs, connaissait les risques militaires», souligne Fabrice Balanche. «Avec ses S300 et S400, et les missiles antimissiles Gladiator, la Russie avait les moyens d’abattre des avions et les missiles Tomahawk. Et le Pentagone le savait», ajoute-t-il.

«Prêt à mourir pour la patrie»

«Si la Russie intervient en Syrie, c’est qu’elle considère que ce pays, comme l’Ukraine, fait partie de sa zone d’influence. Elle défend sa base militaire de Tartous, mais cela lui permet aussi, avec son allié iranien, de faire pression sur les Saoudiens, régulateurs des cours du pétrole, pour faire remonter le prix du baril, essentiel à son économie», estime Fabrice Balanche. «Vladimir Poutine a besoin de ce combustible nationaliste, de prolonger l’exaltation du retour de la Crimée dans le giron russe, et surtout du retour d’une Russie parmi les grands, explique Michel Eltchaninoff, qui a vécu en Russie. Poutine ne cesse de répéter que l’homme russe est prêt à mourir pour sa patrie, contrairement à l’homme occidental, qui rechigne au sacrifice.»

Aujourd’hui, au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, on voit bien que les trois Etats occidentaux parmi les cinq membres permanents sont à la peine, tandis que la Russie et la Chine s’efforcent de rétablir et consolider leurs zones d’influence. Moscou, après avoir stoppé en Géorgie et en Ukraine la progression de l’OTAN, s’est rendu incontournable au Moyen-Orient. (TDG)

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