Étiquettes
Philippe Bilger
La femme voilée d’aujourd’hui sera la Marianne de demain.
Cette phrase, le président de la République, François Hollande, l’a bien dite dans un livre qui lui est à nouveau consacré et qui résulte de soixante et un entretiens, durant cinq ans, avec lui. J’ai lu cet ouvrage – « Un président ne devrait pas dire ça…« – parce que je ne sais pas résister aux essais politiques quand je les présume de qualité et avec les duettistes Fabrice Lhomme et Gérard Davet, je n’avais pas de doute à ce sujet.
Cette phrase, dans des développements ayant trait à l’islam, le président de la République l’a en effet formulée et, je pèse mes mots, elle est troublante, déprimante. Sa tonalité est telle que d’abord on n’ose penser qu’elle ait pu véritablement surgir de la bouche d’un président en cette période et dans ce pays. Il n’est pas nécessaire, pour être choqué, de tomber dans le combat partisan initié par Laurent Wauquiez qui est souvent chargé de jouer les éclaireurs ayant le droit d’être étrangers à la nuance (Le Point).
Cette phrase, François Hollande a osé la proférer, et à cause d’elle, il a désespéré la communauté nationale qui était tout entière préoccupée par le souci de répondre à la menace terroriste et de résister à la pression progressive et qui pour certains semble irrésistible d’une islamisation de notre quotidienneté.
Comme cela, sans menace apparente, mais par le nombre, le voile, le burkini, l’arrogance tranquille, à cause de notre peur panique de rappeler nos valeurs et de les faire respecter. Pour le Conseil d’Etat, il conviendra que notre société soit à l’article de la mort pour que lui soit alors reconnu le droit de se défendre vigoureusement mais son dernier soupir la prendra de vitesse !
Cette phrase, le président de la République n’a pas hésité à la délivrer et il n’est pas indifférent au langage ni à l’impact d’un verbe dérangeant.
Par une totale naïveté ou par cette provocation élitiste qui jugerait malséante une angoisse pour l’avenir et prétend au contraire appuyer là où le peuple a mal ? Ou, plutôt, parce que, dépassé par l’Islam, ses manifestations criminelles, les incidents ciblés qu’il multiplie, la sereine assurance de son expansion face à l’impuissance de l’Etat qui n’a pour arme que sa bonne volonté, François Hollande a pris le parti de les constater, de s’en accommoder et de nous prédire le pire en feignant de le déguiser en meilleur ? Parce qu’il croit que sa conception de la République ferait des femmes voilées d’aujourd’hui les Marianne de demain ?
Cette phrase, François Hollande l’a jetée aux auteurs du livre mais surtout elle touche, blesse le citoyen en plein coeur. Alors que le combat n’était pas encore perdu, il en annonce, avec une lucidité pas du tout amère, l’issue catastrophique pour nous tous parce que son fantasme d’intégration réussie est évidemment une chimère. Certes il ne sera plus présent pour en assumer la responsabilité mais le cauchemar d’une Marianne voilée surgit tout droit de son rêve éveillé.
A quoi cela sert-il, pour les citoyens attentifs, inquiets mais de bonne foi, de ne pas seulement plonger dans les ombres mais aussi de s’accrocher aux lumières ?
A quoi cela sert-il de concéder que le FN n’a qu’un peu raison mais beaucoup tort ?
A quoi cela sert-il de refuser l’hystérisation sur ces thèmes brûlants si elle est nourrie par de désastreuses anticipations ?
A quoi cela sert-il de se battre à la fois pour la rigueur, la vigueur de la lutte contre l’islamisme criminel et l’islam conquérant paisible de notre mode de vie, de nos croyances et de notre identité mais aussi de veiller à l’exigence de rassemblement en récusant l’assertion d’Eric Zemmour d’un arbitrage obligatoire à faire entre l’islam et la France ?
A quoi sert tout cela, ces nuances de la pensée, ces précautions de langage, ces analyses s’efforçant d’être complexes et équilibrées, si on nous assène froidement, cyniquement que « la femme voilée d’aujourd’hui sera la Marianne de demain » ?
Il faudrait replacer la phrase dans son contexte, paraît-il (Le Figaro). Comme pour le « sans dents » pourtant dorénavant attesté. La justification usuelle de ceux qui usent de la liberté d’expression sans avoir le courage d’en assumer la rançon.
Notre président de la République parle trop. Cette phrase est la sienne. Elle révèle, à le lire, son espoir de voir la femme voilée d’aujourd’hui retirer son voile demain et Marianne se substituer au communautarisme.
On peut aussi l’interpréter comme je le fais. Pour l’acceptation molle d’un avenir qui laisserait à la femme voilée de maintenant son voile dans le futur, pour une sorte de désabusement qui, s’engluant dans un rêve impossible, détournerait de la lutte à mener contre les dérives et les menaces trop réelles. Aujourd’hui, les voiles se multiplient et Marianne se délite, se tait.
Sa phrase est pour le moins ambigüe et relève de cette catégorie de sujets sur lesquels le président de la République, entre affirmations médiatiques et pratique officielle, abuse du double jeu comme pour la déchéance de nationalité et les migrants. L’équivoque brise les résistances et laisse le pays incertain mais sûr de ce qui suit.
Le président d’aujourd’hui ne sera pas la République de demain car celle-ci appellera à sa tête un président qui ne consentira pas à sa perte.