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François Hollande, juges, Magistrats, révélations | livre, Un président ne devrait pas dire ça
En pointant du doigt la « lâcheté » de l’institution judiciaire dans des confessions accordées à deux journalistes du Monde, François Hollande apporte un début d’éclairage sur un corps professionnel relativement méconnu des Français. Mais pas seulement.

Vincent Tournier
François Hollande n’a pas cherché à nier. En se contentant de dire qu’il « regrette profondément ce qui a été ressenti comme une blessure par les magistrats« , il admet implicitement que ses déclarations sur la « lâcheté » des magistrats sont exactes. Certes, il a aussi indiqué que de tels propos « sont sans rapport avec la réalité de [sa] pensée« , mais cette précision est ambiguë. En tout état de cause, il ne dit pas que les propos incriminés n’ont jamais été prononcés. L’absence de démenti vaut ici aveu et indique que le président entend assumer.
Le débat n’est pas encore clos, mais on peut d’ores et déjà faire trois observations.
La deuxième observation porte sur le caractère récurrent des critiques contre la justice. Il est en effet frappant de constater que l’accusation de François Hollande rappelle furieusement les attaques que lançait naguère Nicolas Sarkozy. François Hollande admet d’ailleurs lui-même que son prédécesseur n’avait pas tort. Cette convergence interpelle. Le fait que deux présidents successifs, issus de camps différents, dénigrent ouvertement la corporation des magistrats, confirme que le problème est réel. C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi les magistrats ont réagi rapidement et vigoureusement : jusqu’à présent, ils pouvaient se contenter de balayer les critiques d’un revers de main en disant qu’ils sont mis en cause pour des raisons bassement idéologiques, ou par des gens qui sont eux-mêmes en délicatesse avec la justice. Désormais, cette ligne de défense devient plus difficile. Naturellement, dire que les juges sont des « lâches » ou des « planqués » faussement vertueux est excessif, mais il n’en reste pas moins qu’il faut prendre au sérieux l’idée d’une dérive ou d’une crise de la justice, crise qui ne résulte pas seulement d’un manque de moyens (certes bien réel), mais aussi de causes plus profondes, d’ordre culturel, peut-être même d’ordre idéologique. Au fond, qui sont les magistrats et que pensent-ils ? Quelles sont leurs valeurs, quelle idée se font-ils de leur rôle ? Notre connaissance de ce milieu est très limitée, ce qui pose problème car la justice a pris une place considérable dans nos systèmes démocratiques, sans que soit abordé frontalement le décalage entre la demande de justice et les réponses des tribunaux. Ce que laisse par exemple entendre François Hollande, c’est qu’il est aujourd’hui plus facile de poursuivre des élus ou des policiers que de résister aux facilités du politiquement correct.
On peut enfin repérer un troisième enseignement : l’impossibilité pour les responsables politiques de se faire l’écho des aspirations populaires et, par conséquent, de mener une action politique conforme à ces aspirations. Dans sa lettre envoyée aux magistrats, François Hollande se justifie en disant que son propos sur les magistrats ne correspond pas à sa « ligne de conduite et d’action » dans le domaine judiciaire. En faisant cette précision, et tout en refusant de démentir ses propos, François Hollande confesse implicitement que son action en tant que chef de l’Etat ne correspond pas au fond de sa pensée. Or, ce constat ne vaut pas que pour la justice : on le retrouve dans l’ensemble du livre puisque François Hollande semble maintes fois approuver ou partager les jugements populaires les plus décriés, ceux qui sont habituellement frappés d’illégitimité dans l’espace public. Par exemple, il dénonce les excès de l’immigration, il évoque le « problème de l’islam », il condamne le voile en tant que signe « d’asservissement », il évoque le risque d’une « partition » du territoire, il semble même souscrire à l’idée d’un peuple français blanc, etc.