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Par Alexandre Devecchio

Dans «L’Émission politique», François Fillon a déclaré qu’il était souverainiste. Pour David Desgouilles, si le candidat du «choc» s’élève contre l’hégémonie américaine, il hésite à critiquer la primauté de Bruxelles et de Berlin.
Lors de l’émission politique présentée par David Pujadas et Léa Salamé, François Fillon a déclaré qu’il était souverainiste. Que cela vous inspire-t-il? Est-ce vraiment le cas?
François Fillon a fait campagne pour le Non au traité de Maastricht alors qu’il était le lieutenant de Philippe Séguin il y a près de vingt-cinq ans. Cette campagne était complètement axée sur le postulat que la démocratie est inséparable de la souveraineté nationale. On peut donc déjà acter qu’il a été souverainiste. Mais ces dernières années, ce n’était plus au programme de ses discours. En mars dernier, j’assistais à l’une de ses réunions publiques dans la ville de Dole. Il expliquait alors que le tort de Maastricht avait été de faire la monnaie unique avant l’harmonisation fiscale ; rien à voir avec la campagne séguiniste de 1992. De plus, son discours était marqué par une fascination du «modèle allemand». La semaine dernière, François Fillon tenait meeting dans la même ville et le voilà qui assume le terme de souverainiste, comme dans l’émission d’hier soir. En revanche, il ne va pas jusqu’à remettre en cause les transferts de souveraineté aux institutions européennes. Là-dessus, silence radio.
Cela dénote, malgré tout, un changement de stratégie. Comment l’expliquez-vous?
Je m’interroge. Avait-il cessé d’être souverainiste ou le cachait-il pour des raisons de carrière? Impossible de sonder les reins et les cœurs. Toujours est-il que le Brexit et la crise des migrants sont passés par là. D’autre part, mis à part Jean-Frédéric Poisson, aucun de ses concurrents à la primaire ne porte l’idée souverainiste. Cela dit, s’il ne développe pas le concept, cela pourrait très vite apparaître comme de l’affichage, voire du marketing. Pour l’instant, il ne le fait pas par rapport à Bruxelles. Tout juste dénonce-t-il, comme Henri Guaino, Jean-Pierre Chevènement et Arnaud Montebourg, l’attitude des autorités US, dont les juridictions s’affirment compétentes pour tout mouvement international effectué en dollar, par exemple. Il s’agit en effet d’une atteinte insupportable à la souveraineté des États européens. Nous avons pu le vérifier à l’occasion de l’amende scandaleuse infligée à la BNP.
Il y a quelques mois, François Fillon se réclamait de l’héritage de Margaret Thatcher. Aujourd’hui, il affirme ne plus être libéral, mais pragmatique et revendique son «bon sens paysan». Que pensez-vous de son programme économique?
Mais Margaret Thatcher était à la fois libérale et souverainiste. Il ne s’agit pas du même souverainisme porté en France par Philippe Séguin et Charles Pasqua, beaucoup plus interventionnistes car pétris de gaullisme et de colbertisme. Néanmoins, la Dame de fer était opposée au traité de Maastricht et c’est en partie pour cela qu’elle a été remplacée par John Major. J’ai une anecdote à ce sujet. La veille du référendum danois en juin 1992, Philippe Séguin participait au même dîner que Margaret Thatcher. Il semblait pessimiste sur l’issue de ce scrutin. En partant, elle lui a glissé: «Faites confiance aux Vikings!». Elle a eu raison, et cette victoire du non danois a contraint François Mitterrand à convoquer un référendum en France. Sur ce sujet, il y avait une communauté d’esprit entre souverainistes des deux côtés de la Manche. Son projet semble donc bien davantage thatchérien aujourd’hui que l’an dernier, où il regardait davantage de l’autre côté du Rhin que de l’autre côté de la Manche. Cela dit, cela n’a rien à voir avec le souverainisme hérité de Séguin et Pasqua, que je retrouve davantage chez Nicolas Dupont-Aignan et Henri Guaino. Il suffit d’écouter ce dernier critiquer le programme économique filloniste: «Fillon croit que les Français n’ont pas assez souffert depuis quarante ans, et qu’il faut désormais souffrir. Il croit à la rédemption par la souffrance. Je pense tout le contraire». Entre ces deux enfants du séguinisme, il y a un gouffre sur l’économie et le social.
En matière de politique étrangère, il semble néanmoins avoir une approche très différente de celle de ces concurrents…
C’est incontestable. Si on met encore à part JF Poisson, Fillon est vraiment le seul à critiquer l’alignement sur les États-Unis et un rééquilibrage des relations avec la Russie. Il critique ainsi, de fait, non seulement la politique menée par François Hollande mais aussi celle de Nicolas Sarkozy dont il fut le Premier ministre. Le fait d’avoir occupé Matignon l’amène à marcher sur des œufs à propos de l’intervention qui a mis fin au règne de Kadhafi. Mais lorsqu’on l’écoute, on a vraiment le sentiment qu’il pense aujourd’hui que ce fut une faute géopolitique. Je pense qu’élu, il pourrait rompre avec l’orientation «néoconservatrice» prise par le Quai d’Orsay ces dix dernières années, et dont Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, qui le précèdent dans les sondages, ont été des éléments moteurs.
Est-il, sur ce plan au moins, le candidat le plus gaulliste de la primaire?
Le Général de Gaulle, alors qu’on était en pleine guerre froide, avait demandé aux États-Unis de quitter leurs bases françaises et entretenait avec la Russie – dont il pensait qu’elle boirait le communisme comme un buvard – des relations courtoises. Il appelait à une «Europe de l’Atlantique à l’Oural». Avec la chute du mur de Berlin, c’est cette politique qui aurait dû advenir. C’est tout le contraire qui a été fait, sous l’égide des États-Unis. François Fillon, en dénonçant cela, est donc à ce titre beaucoup plus gaulliste que ses principaux concurrents, même si on ne doit pas oublier qu’il a été le Premier ministre du président qui a réintégré le commandement intégré de l’OTAN.