François Fillon est resté stoïque devant la chroniqueuse Charline Vanhoenacker mais les téléspectateurs étaient plus gênés pour elle que pour lui parce qu’elle n’était ni drôle ni à sa place, et qu’elle trahissait la perversité du système médiatique.

Christian Combaz
Dans la Rome antique il y avait quelques fêtes annuelles où l’on avait le droit d’accabler le consul de sarcasmes, mais à la télévision française c’est tous les soirs et le niveau des intervenants est très variable pour ne pas dire carrément nul. Le problème n’est d’ailleurs même pas le niveau, il tient surtout à l’institutionnalisation du ricanement qui va avec tout le reste. Dans une société où les anarchistes veulent des médailles, où le président va passer ses après-midis au Jamel Comedy Club où les littérateurs les plus déjantés veulent entrer à l’Académie, les plaisanteries poussives d’une fille qui miaule en se dandinant avec des nattes sont devenues l’étalon auquel on mesure la prestation d’un candidat à la présidence.
Cela donne la mesure du président qu’on nous prépare, et il n’est pas certain que le peuple ne se décide à casser le moule.
François Fillon est resté très digne mais l’émission ne l’était pas.On se dira : qu’allait-il faire dans cette galère affrétée de surcroît par une chaîne publique ? Eh bien, comme les autres, il était venu pour exposer son esquif à l’artillerie adverse. Il paraît que c’est le jeu, et il a même eu droit à l’intervention en direct d’un cégétiste martiniquais vitupérant, préparée, calibrée comme la tirade de Ségolène Royal avant le débat du deuxième tour de la présidentielle, avec l’inévitable indignation devant des propos prétendument racistes, etc.
Après la polémique est venue la gaudriole. Qui décide des règles truquées de cette bataille navale où l’on essaie de ridiculiser l’adversaire en faisant pouet-pouet ? Le système médiatique. Il faut se payer la tête de l’invité c’est obligatoire. Il faut le traiter avec désinvolture quand il dit des choses graves, il faut frétiller dans une petite salopette quand il est cravaté, il faut le tutoyer quand il vous vouvoie. Il y a trente ans une chroniqueuse a demandé à d’Ormesson de lui donner l’une de ses chaussettes sur un plateau, et il l’a fait. L’humoriste de service, lors de l’émission du 8 octobre, aurait-elle pu aller jusque-là avec Alain Juppé ?
Eh bien justement non. Car le propre des émissions iconoclastes à tir programmé, c’est justement de ménager les uns pendant qu’elles canardent les autres. La perversité de la déconne institutionnelle, qui est le contraire de la démocratie, c’est qu’elle est conçue comme un filtre. Pour reprendre une expression très en faveur dans la jeunesse et qui désigne l’insupportable immaturité du système surtout en plein état d’urgence, il s’agit de casser les prétendants qu’on juge indésirables, afin de ménager celui que l’on veut voir arriver au sommet. On essaie, sournoisement, de programmer sa victoire en modérant imperceptiblement les sarcasmes qu’on lui inflige. L’émission du 8 octobre (avec Alain Juppé) a, paraît-il, si l’on en croit la presse de gauche, été une « heureuse surprise ».
Heureuse peut-être, mais surprise sûrement pas.