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Philippe Bilger

Comme souvent dans l’espace médiatique, « Le Monde », récemment, a pris l’initiative d’un débat intellectuel propre à ce quotidien mais le dépassant par ses enjeux : comment informer sur le Front national ?

Cela a commencé par un cahier consacré au « Décryptage du Front national » à partir des thèmes principaux développés par Marine Le Pen dans son discours à Fréjus le 17 septembre 2016.

Cela s’est poursuivi par un éditorial à la fois singulier et biaisé : Le Monde informera sur le FN, comme pour tous les autres partis politiques, mais en revanche il ne publiera jamais la moindre tribune de Marine Le Pen. Une information qui sera donc laissée à la seule initiative de ce journal.

Cela s’est terminé par un texte, « Profession: « rubricard Front national«  » de trois journalistes du Monde chargés de couvrir le parti d’extrême droite et décrivant la spécificité de leur travail.

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Rien ne saurait mieux résumer l’attitude du quotidien face au FN et à l’information qu’il doit à ses lecteurs que cette phrase d’Olivier Faye l’un des trois « rubricards Front national »: « Il faut traiter le FN comme les autres partis mais ce n’est pas un parti comme les autres ». Ce qui signifie qu’il est possible d’informer normalement sur le FN mais qu’on ne doit pas le faire puisqu’on a décrété qu’il n’était pas un parti comme les autres. L’exigence d’information qui se justifie de n’être pas aussi neutre et objective que pour les autres familles politiques !

Informer normalement sur le FN n’est pas une tâche insurmontable pour un journalisme compétent et de bonne foi. Celui-ci, pour remplir sa mission, n’a pas à déroger à ses principes professionnels de vérité, de responsabilité et d’éthique. La fameuse distinction entre le fait et le commentaire, si peu respectée la plupart du temps, trouve avec le FN un terrain d’élection même s’il est patent que la pureté des démarches est altérée et que le commentaire réserve la part congrue à la description du réel, tant le journaliste, à l’égard de ce parti, est plus préoccupé de manifester ce qu’il pense plutôt que de nous dire ce que le FN est précisément.

Une fois établi ce constat – informer normalement sur le FN est possible si on est vraiment journaliste -, il convient de s’interroger sur les raisons qui ont conduit Le Monde à développer une analyse qui, en définitive, conclut « qu’on ne doit pas informer normalement sur le FN ». Est-il un parti comme les autres, oui ou non ? Est-il, oui ou non, inscrit dans l’espace démocratique ? S’il n’est pas un parti comme les autres, quels sont les motifs qui justifient cette qualification qui le distingue et le discrimine ? Ou bien faut-il considérer que par idéologie et opposition politique on s’est efforcé de le sortir de la normalité de l’information ordinaire pour faire accepter que les journalistes ne le traitent pas comme ils devraient le faire ? Avec précision, honnêteté et sans mêler à la narration des faits le procès qu’au nom de la République les journalistes aux âmes bien nées et à la fibre forcément humaniste se doivent de lui intenter.

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Je ne parviens pas à m’habituer à cette étrange conception de l’information – dont l’éditorial a fourni une version à la fois caricaturale et jésuitique – qui professe son souci de vérité et de pluralisme mais dans le même mouvement énonce tout ce qui devrait légitimement le battre en brèche et le réduire. Au fond, ce n’est pas par hasard que ce quotidien a initié cette controverse. Il convenait de démontrer avant pourquoi le FN ne méritait pas l’objectivité après, ou au moins une impartialité à ce point imparfaite que les journalistes occupés à le traiter ont éprouvé le besoin de nous expliquer pourquoi, parce qu’ils l’avaient décrété, le FN ne pouvait pas être régi par une information ordinaire, tranquille, factuelle et critique, en distinguant bien les registres.

Je songeais à ce qu’aurait été mon attitude en cour d’assises si j’avais établi et favorisé de telles distinctions. Pour la plupart des accusés, une exigence de justice mais pour tel ou tel moins chanceux, le risque d’un arbitraire, la survenue d’une partialité, l’affirmation que n’étant pas un accusé comme les autres, il ne pouvait pas prétendre bénéficier d’une justice comme celle dévolue à tous les autres.

Je sais bien que Le Monde est trop important dans notre univers intellectuel, trop influent, pour qu’on fasse un sort à cette manière de donner des leçons, à l’exposé d’une déontologie qui s’affiche relative, à la revendication d’une information parcellaire.

Puisque le FN est un parti comme les autres mais n’est pas un parti comme les autres. Comprenne qui pourra cette obscure limpidité.

On doit informer normalement sur le FN puisqu’on le peut. Et, surtout, qu’on ne vienne pas suspecter cette évidence démocratique d’être partisane.

A lire le décryptage, on appréhende le processus. Pour chacun des thèmes, le contenu est réputé scandaleux. Plus besoin de démontrer. L’information n’est faite que de la condamnation.

Il faudra continuer à lire Le Monde même s’il est un journal comme les autres et pas comme les autres !

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