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Par Antoine Colonna

Liban. Tous les ennemis d’hier ont fini par se mettre d’accord, permettant à Michel Aoun de devenir le treizième président du Liban, avec une mission, donner le la à un pays au bord du gouffre économique.

C’est après une longue route semée de combats, d’exil et de luttes politiques non moins douloureuses que le général Aoun a couronné sa carrière en étant élu, le 31 octobre dernier, président de la République libanaise. Il a emporté le scrutin avec les voix de 83 des 127 députés présents au Parlement après avoir reçu le soutien des ennemis d’hier, les chiites du Hezbollah et les chrétiens des Forces libanaises de Samir Geagea. Les sunnites de Saad Hariri ont suivi la consigne de l’abstention bienveillante. Après deux ans de vide, le palais de Baabda a enfin retrouvé un hôte, un maronite, comme le prévoient les accords de Taïf, qui avaient mis fin à la guerre civile, en 1989. Une vie politique normale va pouvoir se remettre en route.

Le “grand peuple du Liban” doit trouver des solutions à ses nombreuses crises

Avec une dette supérieure à 140 % du PIB, une crise de la gestion des ordures ménagères qui empoisonne le quotidien des Libanais et, par-dessus tout, 1,5 million de réfugiés, essentiellement syriens, dans un pays d’à peine 3,5 millions d’habitants, le « grand peuple du Liban », selon l’une des expressions favorites du général Aoun, doit trouver des solutions. Le Parlement qui vient de l’élire à la fonction suprême s’étant autoreconduit plusieurs fois, il est devenu lui-même symbole des blocages. Un point qui n’avait pas échappé à Aoun. Il avait demandé une présidentielle au suffrage universel direct dans ce pays aux institutions qui ressemblent à celles de notre IVe République. Tout juste élu, il vient de nommer logiquement le sunnite Saad Hariri Premier ministre, en attendant, en juin prochain, la tenue de nouvelles élections législatives.

Pour le général, il s’agit de lutter contre la corruption et de rendre son prestige à l’État libanais. Un programme qui devra aussi être porté par un nouveau gouvernement dirigé par un Premier ministre “né” des accords de Taëf, en Arabie saoudite, alors qu’Aoun s’était battu contre eux, sans parler de l’écart de générations qui sépare aussi les deux hommes, comme nous l’explique le journaliste libanais André Mohawej. Cela n’est pas impossible, tant la volonté d’un compromis intelligent semble l’avoir emporté. Le week-end précédant le vote, Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, avait tenu un nouveau discours virulent contre l’Arabie saoudite, chose que Hariri ne laisse jamais passer sans répondre, mais pas cette fois.

Le général Aoun était sans doute le seul à pouvoir incarner le Liban, du fait de son expérience et de son histoire personnelle, qui ne le limite pas à son identité de maronite, mais qui fait de lui un produit de l’histoire. Né en 1935, quelques années seulement avant la fin du mandat français sur le Liban et la Syrie, Michel Aoun n’est pas issu des grandes familles aristocratiques du pays. Il passe son enfance dans un quartier alors chrétien de la banlieue de Beyrouth, Haret Hreik, devenu, depuis, un bastion du Hezbollah. Il doit sa carrière à l’excellente éducation prodiguée par les écoles chrétiennes et le reste à l’armée et aux événements tragiques de la fin du siècle dernier. Il ne choisira pas l’infanterie, comme de Gaulle à qui il est parfois comparé, mais l’artillerie, comme Bonaparte.

En 1975, au début de la guerre civile, l’armée est, à l’image de la société libanaise, profondément divisée. À l’époque colonel, Aoun est à la tête de la 8e brigade, la seule où se battent côte à côte chrétiens et musulmans. Il se fait remarquer lors de la bataille du Chouf où il tient tête victorieusement aux Druzes de Walid Joumblatt, soutenus par l’armée syrienne et les Palestiniens. Ce fait d’armes le fait nommer à la tête de l’armée, en 1984. Son entrée en politique se fera presque par hasard, lors de la crise institutionnelle de 1988, où il est nommé Premier ministre par le président Amine Gemayel. En mars 1989, il prend la tête de la résistance contre l’occupant syrien. Les accords de Taëf sont signés, mettant fin à la prédominance politique des chrétiens. Deux ans plus tard, le héros du Liban sera contraint à s’exiler pendant quatorze ans à Paris et lancera sa formation politique, le Courant patriotique libre. En 2005, il revient en triomphe et signe, au nom de son parti, une paix surprise avec l’ennemi d’hier, le Hezbollah, accord qui a été le jalon essentiel sur la route qui l’amène aujourd’hui à la présidence.

L’expression “paix à la libanaise” remplacera peut-être celle de “libanisation”

Si cette fonction est symbolique, Aoun, élu pour six ans, n’est pas du genre à “inaugurer les chrysanthèmes”. À l’heure de choix majeurs dans la région, il continuera sans doute sa politique d’alliance avec le Hezbollah, d’autant plus sûrement que les chiites voient d’un mauvais oeil l’arrivée des réfugiés syriens — ils ont de nombreux liens familiaux dans le pays, dans la Bekaa et ailleurs. L’entente entre Aoun et Nasrallah devient donc de plus en plus objective et nécessaire. Par ailleurs, l’absence fl agrante des Français et surtout des Américains au Liban a fi ni d’ouvrir les portes de Beyrouth aux Russes, qui sont les seuls à oser investir dans ce pays “instable”. Chose impossible au temps du communisme pour les chrétiens, rendue réelle aujourd’hui par un président russe ouvertement orthodoxe, qui a aussi la sympathie des chiites du fait de son intervention en Syrie. La question est de savoir si cette stabilité retrouvée sera la cible de désordres ou si, au contraire, cette “paix à la libanaise” pourra remplacer la triste expression jusqu’alors trop utilisée de “libanisation”.

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