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Philippe Bilger
On va encore dire que je m’occupe de choses insignifiantes alors qu’il y a les projets, les programmes, le fond mais je les laisse aux analystes sérieux, aux grands journalistes de tous bords qui savent nous démontrer, parfois avec talent, que ce qu’ils n’avaient pas prévu était nécessaire.
J’ai envie d’aggraver mon cas pour qu’on puisse vraiment m’accuser ainsi : de minimis curat Bilger !
J’assume le reproche car je suis persuadé que dans la forte avancée de François Fillon au premier tour de la primaire LR (Le Monde), la forme n’y est pas pour rien. L’attitude, le rapport aux autres, la sincérité, la gravité, une certaine manière de demeurer soi.
On a rarement vu une campagne décoller aussi nettement grâce aux interventions médiatiques : les trois débats à la télévision, « L’Emission politique » sur France 2 et sur un registre plus léger et intime, l’émission de Karine Le Marchand.
J’ai d’autant moins de scrupule à m’attacher à ces apparences que j’ai perçu chez Alain Juppé, à son détriment, le contraire : son statut de favori le gênait et je l’ai trouvé mal à l’aise dans les exercices où François Fillon a excellé. Je l’ai écrit, je l’ai dit. Mais il est paradoxal de constater à quel point les personnalités politiques se croient tellement intelligentes qu’elles négligent totalement les mille manières de l’être, la psychologie et la qualité du propos.
Le surprenant est qu’Alain Juppé, lors de ces moments capitaux pour l’information du citoyen, n’a pas été débordé par la vulgarité d’un autre mais par un concurrent, excès inverse et heureux, qui lui a damé le pion pour la tenue, la dignité, la concentration et le langage. Pour l’anticipation présidentielle en quelque sorte.
Rappelons-nous en effet le comportement de François Fillon lors de ces trois joutes médiatiques, si mal animée pour la dernière. Il n’a jamais détourné son regard de l’objectif. Il ne s’est abandonné à aucune familiarité ni au moindre copinage. Il ne s’est pas « amusé » avec ses voisins. Il n’a feint à aucun moment une complicité artificielle.
Tendu tout entier par la volonté de convaincre aussi bien à son sujet que sur son projet, il n’est jamais tombé dans une sorte de « gouaille » que j’ai reprochée à Alain Juppé parce que très rare chez lui, elle était d’autant plus remarquée et à contre-personnage. Même chez cet être de qualité, l’ostentation du faux simple pouvait frapper ! François Fillon y a totalement échappé.
Il est intéressant de relever qu’on retrouve par des voies singulières la pertinence de l’interrogation de François Fillon sur de Gaulle : « Aurait-on pu l’imaginer mis en examen ? ». Il n’aurait jamais pu être mis en examen pour défaut d’allure. Il y a trop peu de gaullistes !
L’ensemble de ces considérations nous maintiennent dans le domaine de la forme largement entendue. Mais je ne voudrais pas négliger de mettre l’accent sur deux épisodes à la fois dérisoires mais aux effets sans doute importants pour l’image du vainqueur du premier tour de la primaire LR.
Quand à la fin de « L’Emission politique », il doit subir la pitoyable prestation de Charline Vanhoenacker prétendue humoriste – on rajoute toujours « belge » comme si sa nationalité lui apportait un esprit supplémentaire ! -, au lieu de se taire comme n’importe quelle personnalité l’aurait fait, François Fillon avec tranquillité et courtoisie déclare qu’il irait volontiers à l’un de ses spectacles mais qu’il jugeait indécent de terminer une émission politique sérieuse par une telle pantalonnade. Les Français aspirent à ce courage du quotidien qui voit l’un d’eux exprimer ce qu’ils ressentent contre toutes les bienséances et lâchetés conformistes. Cette audace est rien moins qu’admirable mais il faut croire, quand on constate son retentissement, que la France est sevrée d’une assurance qui n’a pas peur de briser les codes médiatiques et qui peut-être demain sera apte à pourfendre les codes politiques. Tout cela n’a touché qu’à cause du ton réprobateur mais serein. Il s’énervait et la magie du parler-vrai disparaissait.
Quand lors du dernier débat sur France 2, il reproche avec urbanité à David Pujadas, déjà médiocre face à Nicolas Sarkozy s’emportant à cause de Takieddine, d’être seulement friand de la politique spectacle, il marque des points. Disant ce qu’il pense, il s’octroie un succès facile mais incontestable parce que la promiscuité entre le médiatique et le politique rend cette attitude plus que rare, quasiment unique.
La forme toujours.
Les projets, les programmes sont pesés, analysés, évalués. Le 24 novembre chacun passera au crible celui de l’autre. C’est bien.
Mais, au risque de surprendre, le 20 novembre c’est l’homme, la franchise, la tenue et le style qui ont été plébiscités. C’est la personnalité de François Fillon qui a pris le large.
La forme n’est pas le contraire du fond mais son révélateur.