
© NATALIA KOLESNIKOVA
En s’affichant aux côtés de la Russie et de l’Iran, le président turc fait une volte-face extrêmement risquée.
Le retournement est complet. Aux côtés de la Russie et de l’Iran, la Turquie aurait accepté mardi de remettre au magasin des accessoires toute idée d’un changement de régime en Syrie. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, vient de donner une nouvelle preuve de son pragmatisme à toute épreuve, lui qui, jusqu’il y a peu, avait fait du Syrien Bachar el-Assad. L’ennemi à abattre.
L’établissement, en direct, d’un nouvel axe? Réunis mardi à Moscou, les chefs des diplomaties et des armées russes, iraniennes et turques viennent de confirmer qu’ils entendent bien prendre en mains l’avenir de la Syrie, et ce, sur le dos des Syriens. Officiellement, ces pays ne sont pas du même côté de la ligne de front. La Turquie soutient l’opposition au régime syrien tandis que Russes et Iraniens viennent de leur infliger une énorme défaite en dévastant leur bastion d’Alep-Est.
L’accord de Moscou découle cependant d’une entente de plus en plus évidente entre la Turquie et la Russie. Durant le bombardement d’Alep, la première n’a pas levé le petit doigt pour venir en aide à la population d’Alep. Quant à la seconde, elle assiste sans broncher à l’offensive «Bouclier de l’Euphrate» qui a amené la Turquie à occuper un vaste corridor dans le nord de la Syrie, au point de placer ses troupes à moins de 40 kilomètres d’Alep.
Ce «marché» entre puissances régionales n’a pas seulement pour effet de marginaliser les Etats-Unis et l’Union européenne aujourd’hui réduits, au mieux, à occuper un tout petit strapontin. L’accord – qui devrait se préciser lors de discussions au Kazakhstan – dynamite aussi le rôle que tentaient de jouer jusqu’ici l’ONU et son émissaire Staffan de Mistura. Officiellement, l’ONU entend relancer les discussions de Genève le 8 février prochain. Plus que jamais, pourtant, ces négociations seront une coquille vide: sans aucun instrument de levier, ayant perdu l’un de ses seuls soutiens étrangers réels, l’opposition modérée pourra sans mal s’épargner le voyage.
La volte-face du président turc lui permet sans doute de neutraliser définitivement le rêve kurde d’établir une région pérenne dans le nord syrien. Mais le calcul est particulièrement risqué pour Erdogan. Au lendemain du meurtre de l’ambassadeur russe à Ankara, les électeurs de son AKP (Parti de la Justice et du développement) sont parmi les plus hostiles à cette alliance russo-iranienne qui vient en aide au régime de l’alaouite Bachar el-Assad.
Départ des djihadistes pour la Syrie
Ce n’est pas tout. La Turquie est l’un des pays d’où sont partis le plus grand nombre de djihadistes pour combattre dans les rangs de l’organisation de l’État islamique en Syrie, et accessoirement d’Al-Qaïda: 2200 selon les chiffres officiels de l’année dernière, soit presque autant que les volontaires partis d’Arabie saoudite (2500). L’insistance mise par Erdogan à défendre la rébellion a chauffé les ardeurs dans le pays. Et le calme sera d’autant plus difficile à rétablir que la Turquie compte actuellement plus de 2 millions et demi de réfugiés syriens. Le saccage d’Alep peut faire l’effet d’une bombe parmi ces réfugiés désormais privés de tout espoir de retour chez eux. En s’affichant pratiquement du côté des assaillants, comme il le fait maintenant, Erdogan pourrait bien avoir allumé la mèche.