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Le langage simpliste du président américain ne facilite pas pour autant la compréhension.
La pensée est possible sans langage. Mais grâce aux langages, nous pouvons fixer nos idées, les discuter et les comparer sur des bases communs. Le langage nous permet de savoir ce que nous pensons, et de le partager. Pourtant, on sait que ces mots communs peuvent prêter à confusion. Des grands philosophes, comme Hilary Putnam par exemple, nous montraient avec des expériences de réflexion que le sens d’un mot n’est pas seulement une question de l’intention mais également affecté par des facteurs «exogènes» qui peuvent déterminer ce que nous pensons et ce que nous pensons savoir.
L’importance relative de ce qui est interne ou individuel et de ce qui est externe et généré par l’environnement est une grande question en philosophie. Ceux qui pensent que l’environnement influence notre perception des choses appellent cela «externalisme épistémologique». Des mots comme exogène (courant en économie) ainsi que les derniers cités permettent une compréhension plus aigu parmi les experts, mais peuvent aliéner les non-experts.
Pourtant, a-t-on réellement besoin de tout comprendre d’un mot pour pouvoir l’utiliser? Ne peut-on pas aussi faire confiance à l’usage? En tant que non-biologue, ma compréhension de la différence entre l’arbre «boulot» et l’arbre «chêne» est très sommaire, mais j’accepte le fait que les experts ont des raisons bien spécifiques de les nommer ainsi. La question de ce que l’on comprend d’un mot est donc en tout cas influencé par notre réflexion propre, par l’environnement, et par l’usage.
Des chercheurs à Carnegie Mellon University dans leur Institut de Langage Technique ont trouvé que la plupart des présidents américains s’expriment en utilisant un niveau de langage typique des enfants de 6e au 8e année scolaire. Donald Trump serait au-dessous de tous en termes de vocabulaire, mais un peu meilleur que G. W. Bush en termes de grammaire. Les présidents Lincoln et Reagan seraient ceux qui utilisaient un langage plus proche du niveau du collège (lycée en France), et Sanders avait également une riche vocabulaire.
Le discours de Gettysburg du président Lincoln utilisait un grammaire bien au-dessus du niveau de la 10e année scolaire.
Mais quels sont les discours les plus compréhensibles?
Si nous prenons une phrase de Monsieur Trump comme celle entendue lors dans sa dernière conférence de presse par exemple, «Nous avons besoin de cela et d’autres choses», quelle est notre compréhension? Chaque mot en soit est simple et facile à comprendre. Pourtant, mis ensemble, nous ne savons pas ce que cela peut bien vouloir dire.
Une phrase du président Lincoln, bien plus longue, est celle-ci – ma traduction est libre –: Il y a maintes années que nos pères sont arrivés sur ce continent, et fondèrent une nouvelle nation basée sur la Liberté, vouée à la proposition que tous les hommes sont créés égaux.
Eviter du jargon qui serait mieux utilisé par les experts entre eux est très certainement une bonne idée et une importante leçon des campagnes électorales de 2016. Mais il est tout aussi important de résister à la tentation d’adopter une langage excessivement simpliste.
La campagne anglaise entendait Monsieur Gove dire que l’Angleterre en avait assez des experts. Peut-être ce sentiment est lié au langage que peuvent utiliser les experts – souvent complexe pour le plaisir d’être complexe – sans arriver à améliorer ni la précision ni la compréhension de la chose discutée (et donc très loin de la limpidité du président Lincoln par exemple).
En tout cas, il s’agit là bien d’un sentiment; un sentiment que les faits sont complexes et que l’on préfère se fier à ses propres sentiments. Philosophiquement, on peut bien sûr discuter ce qu’est la réalité. Y-a-t’il une réalité absolu et quel est le rôle de la réalité perçue dans tout cela (pensons au film «The Matrix»)?
Malheureusement, le questionnement était surement moins philosophique de la part de Monsieur Gove et d’avantage une question de surdose du politiquement correcte.
On peut comprendre. C’est un peu comme aller manger au MacDo – on a parfois très envie mais on a tendance à regretter après. Nous avons tous envie de dire des âneries parfois, d’insulter ceux qui nous énervent, d’avoir des propos sexistes ou racistes.
Mais, pour utiliser des synonymes au politiquement correct, par respect, sensibilité, et considération, entre autres, nous arrivons avec un peu d’effort normalement de nous retenir. Car le contraire serait répréhensible et odieux, pour ne pas dire politiquement incorrect.
En ce moment, à quelques jours de l’investiture de Donald Trump comme président des Etats-Unis, le langage est un outil de campagne politique.
Retroussons donc nos manches, et faisons tous un effort d’utiliser un langage clair et simple mais pourtant pas simpliste. Soyons politiquement correct mais stimulons des débats sans réserves ou retenus. Et encourageons nos enfants – ainsi que nos dirigeants – de s’exprimer en plus que 140 caractères. Ce serait preuve de notre réflexion propre, influencée par l’environnement, tout en contribuant au bon usage de la langue.
Chief Economist Indosuez Wealth Management