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Le journaliste français Régis Le Sommier a séjourné à Alep du 15 au 20 décembre 2016, période marquée par la libération des quartiers orientaux de la ville, et a pu assister à l’évacuation des combattants. Dans son reportage pour Paris Match, il constate que la réalité du terrain ne rime pas toujours avec les déclarations occidentales.

Les troupes gouvernementales syriennes ont libéré fin décembre la ville d’Alep, mettant un terme à plus de quatre ans et demi de division de la ville. Du 15 au 20 décembre, un envoyé spécial de Paris Match a pu se rendre dans la ville pour témoigner de l’évacuation des combattants et visiter les quartiers d’où ces derniers ont été expulsés.

Dans une vidéo qu’il a lui-même tournée, Régis Le Sommier, le premier Français à entrer dans la ville, présente l’embellir la situation dans les quartiers qu’il a pu visiter, prête le micro à quelques habitants locaux et constate que la situation sur le terrain s’avère être différente de celle que l’on présente dans les pays occidentaux. « La chute d’Alep a été d’un point de vue journalistique une leçon pour moi », écrit-il dans son reportage.

Notre envoyé spécial était à Alep lors de l’évacuation des rebelles d’Alep-Est. Témoin direct des opérations pendant cinq jours, il raconte.

« Présent à Alep (Syrie), entre le jeudi 15 et le lundi 20 décembre 2016, j’ai assisté en presque totalité à l’évacuation des derniers rebelles d’Alep-Est. Voici ce que j’ai vu sur place. Je précise qu’en dehors des check-points, toujours compliqués à filmer ou photographier et ce, quelles que soient les circonstances et les armées, j’ai été libre d’utiliser mon iPhone pour faire ces images où et quand je le voulais. Personne ne m’a empêché de filmer quoi que ce soit. Les personnes interviewées dans ce film ne m’ont pas été présentées par je ne sais quel “agent du régime”. La plupart du temps, c’est même moi qui suis allé vers elles, demandant parfois à mon chauffeur de s’arrêter à un carrefour parce que j’avais remarqué un attroupement et me présentant seul à ces personnes.

J’ai pu leur poser toutes les questions que je voulais. Elles m’ont répondu à leur manière, utilisant ces stratégies de survie que mettent en place les hommes quand le camp auquel ils ont appartenu a été vaincu : Les rebelles étaient des “étrangers”. Ils les volaient. Ils les empêchaient de sortir… Même si, je le crois, ce fut parfois le cas, je pense aussi que certaines de ces personnes ont adhéré à la cause des rebelles. Elles n’allaient pas me le dire mais je l’ai deviné.

« Ces images sont mon témoignage pour l’histoire, une histoire plus grise, nettement moins manichéenne que celle présentée en Occident. (…) Depuis le quartier de Ramouseh où j’assistais en direct à l’évacuation des rebelles, je lisais sur Internet des propos de confrères, de ministres ou d’hommes politiques, qui me décrivaient des choses qui n’étaient pas la réalité de ce qui se produisait devant mes yeux ».

Je veux bien considérer que la situation sanitaire dans la poche rebelle fut très dure, que la reddition présentait des risques d’exactions, mais pendant les cinq jours que j’ai passés à Alep, il n’y a eu ni frappes aériennes ni tirs d’artillerie. Ce n’était ni Guernica, ni Srebrenica. Les destructions dans la ville, vous le verrez, sont considérables, mais tous les anciens quartiers rebelles n’ont pas été rasés. Le plus peuplé, Hanano, est encore habitable. Les parties de la ville les plus endommagées correspondent aux lignes de front, âprement disputées comme dans la vieille ville, à Bustan al-Bacha, Hellok, Cheik Maqsoud ou Cheik Said. Le pire endroit se situe, à mon avis, au sud, près des académies militaires. Là, le front ressemble à Verdun tant les obus ont remodelé le paysage.

Un emballement médiatique et politique sans précédent

Les hommes présents dans le camp rebelle et qui sont passés à l’ouest à mesure de l’offensive ont peut-être été enrôlés dans l’armée. J’ai remarqué qu’ils étaient peu nombreux dans les camps de réfugiés en comparaison des enfants, des femmes et des vieillards et je l’ai écrit. Il y a certainement eu des vengeances. On m’en a parlé, mais je n’en ai pas vues. Je pense, et ces images le confirment, que la chute d’Alep-Est a été l’objet d’un emballement médiatique et politique sans précédent. Comme l’a écrit fort justement le journaliste Jean-François Kahn : “Aussi respectable et même juste soit-elle, une cause justifie-t-elle que, pour la défendre, on abolisse le réel à partir du moment où il devient dérangeant, jusqu’à se construire un monde complètement imaginaire ?” Je vous laisse juges… »

Source :parismatch