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Bruno Colmant

De manière brutale, le professeur Ted Malloch, pressenti pour être l’ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’Union Européenne, a annoncé qu’il “shortait” l’euro au motif qu’il en voyait une possibilité de disparition dans les 18 mois. Même si cette annonce ne relève pas de la plus fine élégance diplomatique, elle s’ajoute aux nombreuses interventions d’économistes américains, dont le prix Nobel Stiglitz, pressentant de grandes difficultés pour la monnaie unique au terme du programme d’assouplissement quantitatif de la BCE.

Les américains voient-ils quelque chose qui nous échappe ? Peut-être pas. Mais une chose est certaine : sous l’angle médiatique et politique, la gestion de l’euro, et désormais sa pérennité, est essentiellement fondée sur le respect des déficits budgétaires (et donc des endettements publics) alors que c’est aux déficits commerciaux (qui reflètent l’équilibre entre les exportations et les importations domestiques) qu’il faudrait s’intéresser. Mais s’y intéresser revient à admettre que l’euro est une monnaie « moyenne », c’est-à-dire trop faible pour les Etats-membre forts (et exportateurs nets) et trop forte pour les Etats-membre faibles (et importateurs nets) pour lesquels ce même euro est équivalent à une devise étrangère. L’euro reste donc une monnaie inaboutie parce qu’elle n’a pas entraîné assez de fluidité économique et que, de surcroît, des crises ont contrarié le projet européen. Pire, on constate, au sein de l’Union Européenne, des pulsions centrifuges emmenées par des courants politiques qui ne reconnaissent plus l’Europe comme un projet fédérateur, ni l’euro comme un ciment sociétal suffisamment robuste.

Une issue favorable aux vices de fonctionnement de l’euro serait l’aboutissement d’une véritable union budgétaire, assortie d’une union bancaire de qualité. Il faudrait donc un revirement idéologique qui soit désormais fondé sur la solidarité et donc moins sur le principe de subsidiarité.

Une perspective intermédiaire conduirait au maintien d’une situation comparable au tracé imprécis qui préside au destin de l’euro depuis 2011. Cette approche est fragile car, de manière consubstantielle à son existence, l’euro renforce la compétitivité des économies fortes tandis qu’elle amoindrit celle des pays du Sud de l’Europe. Sauf à espérer un revirement idéologique portant sur les politiques budgétaires dans une optique keynésienne, cela supposerait aussi une convergence permanente des orientations politiques des principales économies, tout en alimentant une vision absolue de la monnaie, sans ancrage suffisant dans l’économie réelle. A terme, le statu quo monétaire conduirait à des restructurations de dettes sélectives associées à des fragilités bancaires majeures. Sauf à envisager des flux migratoire d’ampleur, le chômage servirait, pour les pays faibles, de variable d’ajustement à une monnaie trop forte.

Les autres options consistent en une rupture de la zone euro, ce qui constitue, sans modifications majeures de gouvernance politique, un scénario évoqué. Certains pays isolés pourraient procéder à un sabordage monétaire, mais au prix d’une destruction de l’épargne, d’un défaut étatique, d’une inflation eschatologique et donc d’un régime politique autoritaire destiné à assurer l’ordre social dans des conditions houleuses. C’est la thèse défendue par Joseph Stiglitz dans son dernier opus consacré à la monnaie unique. Il envisage aussi un euro flexible avec un retour de parités différentes entre les euros des différents Etats-membres. Si l’idée est séduisante sous l’angle théorique, elle me semble impraticable sauf à envisager un contrôle complet des stocks et flux monétaires. Pourtant, même si des sécessions monétaires sont envisageables pour des Etats, situés aux confins de l’Europe, qui suffoquent sous la discipline de la monnaie unique, on pourrait imaginer qu’ils n’abandonnent pas facilement l’euro car ce serait un pari inacceptable, équivalent à une terrible dévaluation et voisin d’un choix d’hyperinflation. Tous les pays seraient donc perdants d’une défaillance monétaire. Plutôt que de quitter la zone euro, les pays fragilisés restructureront leur dette publique en faisant appel à leur secteur financier national.

Si la zone euro porte en elle la contraction de son propre projet, et si cette dernière est aggravée par des endettements publics en croissance et l’impossibilité de procéder à des dévaluations internes ou à des stimulations de consommation intérieure, alors il faut une adaptation idéologique qui postule que le but de l’euro est la croissance de l’emploi, voire le plein-emploi. Cela supposerait une modification structurelle du mandat de la BCE et un alignement des politiques économiques. C’est immanquablement ce qui va arriver, au bénéfice de toute la population.