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Pas facile d’élire un monarque républicain !

C’est l’événement majeur de la vie politique française. Personnalisant à outrance le pouvoir, l’élection du président de la République au suffrage universel traduit à la fois une forme de démocratie directe et de monarchie républicaine.

Cette institution qui remonte à plus d’un siècle et demi reflète toute l’ambiguïté qui anime les Français à l’égard du pouvoir et de son exercice…

L'élection présidentielle en France en 1848. Gravure sur bois publiée dans « Illustrierte Zeitung ». Deux garçons se battent, un pour Louis-Napoléon Bonaparte et un pour Cavaignac.

Le suffrage universel contesté

Le 9 octobre 1848, la Seconde République instaurel’élection du chef de l’État au suffrage universel, pour quatre ans et non rééligible.

Le premier titulaire est Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon 1er. Il est élu à la surprise générale le 10 décembre 1848. Mais la Constitution lui interdisant de se représenter, il se résout au coup d’État du 2 décembre 1851. Un an plus tard, il se mue en empereur !

Après l’effondrement du Second Empire, la présidence de la République ressuscite avec l’avènement de la Troisième République.

Gambetta proclamant la Troisième République à l'Hôtel de ville de Paris le 4 septembre 1870, Howard Pyle, XIXe siècle, Delaware Art Museum, États-Unis.À l’exception d’Adolphe Thiers, qui a été désigné le 31 août 1871 par l’Assemblée constituante, tous les présidents sont élus par la Chambre des députés et le Sénat réunis en « assemblée nationale » (*) au palais de Versailles.

Exit l’élection au suffrage universel, qui a laissé un mauvais souvenir avec Louis-Napoléon Bonaparte !

Mandaté pour sept ans et rééligible, le président dispose en théorie de pouvoirs très étendus. Dans les faits, ces pouvoirs vont se réduire drastiquement suite à un conflit violent entre les députés et le président, le 16 mai 1877.

En 1946, après l’Occupation, une nouvelle Constitution adoptée par référendum inaugure la IVe République.

En douze ans d’existence (1946-1958), elle n’aura le temps que de produire deux présidents de la République, Vincent Auriol et René Coty, avec au demeurant des pouvoirs beaucoup plus limités que sous la IIIe République. Élu par le Parlement réuni en Congrès, le président perd l’initiative des lois ainsi que le droit de dissolution, dévolus tous deux au Président du Conseil.

De Gaulle monarque républicain

C’est avec la Ve République, que la fonction de président de la République acquiert tout son prestige.

La nouvelle Constitution, fortement inspirée par le général de Gaulle, aspire à mettre fin à l’instabilité ministérielle des républiques antérieures. Elle donne des pouvoirs étendus au président. Il nomme le Premier ministre, est en droit de dissoudre l’Assemblée nationale. peut prendre l’initiative d’un référendum et, en vertu de l’article 16, peut même exercer tous les pouvoirs en cas de besoin.

En sus de cela, Charles de Gaulle voudrait conférer au président l’onction du suffrage universel.

La fin de la guerre d’Algérie et l’émotion suscitée par l’attentat raté du Petit-Clamart lui en fournissent l’occasion…

Conférence de presse du général de Gaulle le 9 septembre 1965 à l'Élysée, Fondation Charles de Gaulle, DR.

1965 : de Gaulle descend dans l’arène

L’une des affiches de campagne du général de Gaulle face à François Mitterrand en 1965.L’élection du président de la République au suffrage universel direct est adoptée par référendum le 28 octobre 1962.

En 1965, pour la première élection présidentielle de ce type, cinq candidats affrontent le président sortant Charles de Gaulle, dont François Mitterrand (gauches démocratiques) et Jean Lecanuet (centre).

Sûr de lui, de Gaulle néglige de faire campagne et dédaigne le temps de parole qui lui est dévolu à la télévision et à la radio. Grave erreur !

Il est mis en ballotage par Mitterrand et finalement élu au terme d’une campagne qui a passionné les Français.

1969 : une élection toute en rondeur

Désavoué le 27 avril 1969, lors d’un référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat, de Gaulle démissionne dès le lendemain.

Le président du Sénat Alain Poher, devient président par intérim en attendant une nouvelle élection dont le premier tour est fixé au 1er juin 1969.

Affiche de campagne de la gauche en 1969 qui, n’accédant pas au second tour, incite au vote blanc en soulignant les  similitudes entre les deux candidats Georges Pompidou et Alain Poher.On dénombre sept candidats, soit un de plus qu’en 1965.

La droite se partage entre Georges Pompidou et Alain Poher, qui incarne mollement les centristes. À gauche, Mitterrand passe son tour. Gaston Defferre représente les socialistes, flanqué de Pierre Mendès France.

À l’issue d’une campagne de premier tour sans éclat, la gauche est éliminée.

Les communistes refusent de choisir entre les deux finalistes Poher et Pompidou : « C’est bonnet blanc et blanc bonnet ».

Pompidou l’emporte haut la main.

Premier débat télévisé sur l'ORTF le 10 mai 1974 entre Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand, archives de l'Ina, DR.

1974 : l’impact de la télévision

Une fois de plus, le mandat présidentiel est écourté, cette fois-ci par la mort de Georges Pompidou, le 2 avril 1974. Est-ce la fin du gaullisme ? En tout cas, c’est vraiment le début de l’impact de la télévision dans une campagne présidentielle (plus de 80% des Français sont équipés d’un téléviseur).

Le gaulliste Jacques Chaban-Delmas et Valery Giscard d’Estaing au coude à coude dans les sondages trois semaines avant le premier tour de la présidentielle de 1974, caricature de Tim, DR.Les sondages deviennent plus envahissants (vingt-quatre en quatre semaines), les affiches se multiplient. La campagne présidentielle coûte de plus en plus cher, mais on n’en connaît pas le prix car il n’existe encore aucune loi sur son financement.

Contrairement à 1969, la gauche s’unit derrière François Mitterrand qui a pris le contrôle du parti socialiste en 1971.

La droite, elle, se débat dans une véritable pétaudière. C’est le ballet des candidatures : Jacques Chaban-Delmas, Edgar Faure, Pierre Messmer, Valéry Giscard d’Estaing. Au final, il n’en restera que deux : Chaban-Delmas et Giscard.

On bascule donc dans une nouvelle phase de la vie politique française.

Le sommet de la campagne est atteint le 10 mai 1974 lors du face-à-face télévisé Giscard-Mitterrand : 25 millions de téléspectateurs !

Giscard décoche une formule qui fait mouche : « Monsieur Mitterrand vous n’avez pas le monopole du cœur », et l’emporte de justesse. Pour la première fois depuis le début de la Ve République, la plus haute charge de l’État échappe à un gaulliste…

Batailles pour l’Élysée

En 1964, dans Le Coup d’État permanent, François Mitterrand dénonce la Ve République et l’élection du président au suffrage universel.

Quinze ans plus tard le chef du parti socialiste remise ses critiques et se moule avec délectation dans les institutions gaulliennes. Après deux décennies de domination de la droite, il inaugure une alternance politique…

Place de la Bastille, le 10 mai 1981, après l'annonce de la victoire de François Mitterrand à la présidence de la République, Dominique Faget, archives, AFP, DR.

1981 : la double trahison

La présidentielle de 1981 s’engage dans une France qui a subi les chocs pétroliers de 1973 et 1979. Chômage, inflation, endettement plongent le pays dans « la crise ».

La droite se présente en ordre dispersé. À ses deux principaux candidats, Giscard et Chirac, s’ajoutent Michel Debré au nom du gaullisme historique, et Marie-France Garaud, l’ancienne conseillère de Chirac. À gauche, après la rupture de l’union de la gauche, le secrétaire général du PC Georges Marchais se présente en concurrent de François Mitterrand.

Comme en 1974, la finale oppose Giscard à Mitterrand. Lors du débat d’entre-deux tours, c’est Mitterrand qui a la formule assassine : « Vous êtes l’homme du passif ».

Durant deux ans, le président socialiste mettra en œuvre une partie de son programme mais dès 1983, c’est le « tournant de la rigueur » qui s’éloigne du socialisme promis et apporte les premières désillusions du « peuple de gauche ». Une politique qui conduira au retour de la droite au pouvoir en 1986 lors des législatives et à la première cohabitation de la Ve République.

1988 : la montée du Front national, la chute du parti communiste

L’une des affiches de campagne de Jean-Marie Le Pen en 1988.En 1988, après avoir ménagé un faux suspense et malgré sa maladie – un cancer – Mitterrand est à nouveau candidat. Il veut redonner le pouvoir à son camp après la défaite aux législatives de 1986.

Chirac, son Premier ministre de cohabitation, croit enfin son heure arrivée. Mais il est largement battu.

Cette élection voit le remplacement du PC dans sa fonction tribunicienne par le Front National.

Le parti de Jean-Marie Le Pen profite de la montée du thème de l’immigration depuis 1983, et des désillusions provoquées par la gauche au pouvoir pour capter une partie de l’électorat populaire.

1995 : le retour de la droite à l’Élysée

En 1995, au terme du long règne mitterrandien de quatorze ans, la droite revient au pouvoir.

On retiendra surtout de cette élection le duel entre Édouard Balladur, Premier ministre de 1993 à 1995, favori des sondages, et Jacques Chirac qui semblait désavoué par son propre camp et par les Français.

C’est pourtant lui qui conquiert enfin l’Élysée sur le thème de la « fracture sociale ». Mais deux ans après sa victoire, il dissout malencontreusement l’Assemblée nationale. La gauche gagne les élections législatives et Lionel Jospin est nommé à Matignon pour une nouvelle cohabitation.

2002 : le « séisme du 21 avril »

Fort logiquement, Jospin est candidat à l’élection présidentielle de 2002 face à Jacques Chirac et quatorze autres candidats.

C’est le « séisme du 21 avril » qui voit Le Pen coiffer Jospin sur le poteau (16,86% des voix contre 16,18%) derrière Chirac (19,88%).

Chirac est réélu président de la République avec 82,15% des voix face à Le Pen. Mais au soir du 21 avril, on peut dresser deux constats outre la qualification de Le Pen. Les deux extrémismes de droite et de gauche atteignent au total un niveau inédit jusqu’alors : près de 30% des suffrages.

C’est le début du rejet des partis de gouvernement de droite et de gauche. Une tendance confirmée par la progression de l’abstention : plus de 31% si l’on y ajoute les votes blancs ou nuls. Un grand nombre d’électeurs se placent désormais hors du système politique. C’est aussi le signe de l’affaiblissement du pouvoir présidentiel. Aux yeux des Français, le chef de l’État apparaît de plus en plus impuissant face à la mondialisation économique et de plus en plus contraint par l’Union européenne.

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