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Il est le Messie dont la France a besoin, la figure christique appelant les Français à s’aimer les uns les autres, à se réconcilier sous son panache blanc. Bras en croix à la tribune de ses meetings, voix cassée par l’émotion, Emmanuel Macron communie avec ses ouailles ; il veut rassembler toutes les brebis égarées, et elles sont légion en cette année électorale où le rejet du système et des sortants est d’une violence inédite.

Le « dégagisme » triomphe. On s’alarme, un peu tard, d’une victoire au second tour du Front National. Qui pour s’opposer à Marine Le Pen ? Fillon traînant le boulet du Penelopegate, sans réel socle parmi les classes populaires : une aubaine pour la candidate plutôt qu’un adversaire.

« Jésus Christ super star, sous les sunlights des meetings, c’est Macron, notre télévangéliste progressiste. »

Macron peut-il nous délivrer du mal ? Libération avait vu juste en titrant après les primaires de la droite, « Au secours Jésus revient ». Sauf que Jésus n’avançait pas masqué sous les traits de François Fillon, comme le croyait le quotidien de gauche. Jésus Christ super star, sous les sunlights des meetings, c’est Macron, notre télévangéliste progressiste, sourire charmeur, pouvoir de séduction incontestable, compassion inoxydable, un « jevousaicompriste » qui murmure à l’oreille de son électeur « aie confiance… ».

Macron dans le texte : « Je ne renie ni ne revendique la dimension christique. (…) Comment se construit le pouvoir charismatique ? C’est un mélange de choses sensibles et de choses intellectuelles. Il faut tresser les deux, l’intelligence et la spiritualité… *» Mazette !

Et le programme ?, demandent les imbéciles qui n’ont pas encore compris « que c’est une erreur de penser que le programme est au cœur d’une campagne*. » Comme le disait en privé une éminente personnalité parisienne, soutien d’Emmanuel Macron, « Il ne faut surtout pas donner de programme, ça ne sert à rien, chacun sait bien ce qu’il faut faire, inutile d’en parler sauf à vouloir se faire éjecter. Regardez Fillon qui parle de 500 000 suppressions de fonctionnaires : quelle idiotie… ».

« Plutôt que de faire une campagne perdue d’avance en parlant réformes, ne quittons pas la tribune, tutoyons Jeanne d’Arc et les étoiles. »

Autrement dit, pour résumer l’état d’esprit de la France convertie au macronisme, à la manière du roi Ubu ou de Labiche : « Macron, il n’a pas de programme, comme ça, au moins, on sait où on va. » Mieux que des mesures, des émotions.

« La politique, c’est mystique* », nous dit Macron. Plutôt que de faire une campagne perdue d’avance en parlant réformes, ne quittons pas la tribune, tutoyons Jeanne d’Arc et les étoiles, pas question de se salir (comme le déplorait Charles Péguy, auteur du célèbre « Tout commence en mystique et finit en politique ») dans les cuisines du pouvoir, ses couloirs nauséabonds, ses minables arrangements. Restons tout là-haut entre gens sensibles et intelligents.

Loin de nous l’idée de dénoncer le besoin de verticalité, de sacralité ou de transcendance qui sont au cœur de la vie politique et que la Ve République s’était proposée d’incarner autour de la personne du général de Gaulle. Mais aujourd’hui la transcendance pour quoi faire ? Rester en lévitation ad vitam ? Plaire à tout le monde et ne satisfaire personne ? Faire du Hollande-bis avec une majorité parlementaire elle aussi très floue et qui n’aura pas la capacité de voter les réformes ?

« Ségolène Royal aussi prêchait bras en croix, elle aussi déclenchait la ferveur des foules, elle aussi incarnait le renouveau. »

Les médias et les élites ont les yeux de Chimène pour l’icône télégénique de la vie politique française, celui qui précise afin de rassurer les rationalistes : « Je ne suis pas sûr que Dieu ait jamais parlé. À la fin, ce sont les voix qu’on crée soi-même. »

Il y a dix ans, on a connu les mêmes beaucoup plus sévères avec Ségolène Royal. Elle aussi était la candidate surprise de l’élection présidentielle de 2007, elle aussi prêchait bras en croix, elle aussi déclenchait la ferveur des foules, elle aussi incarnait le renouveau. Et, oserons-nous le dire, ses convictions étaient beaucoup moins floues que celles d’Emmanuel Macron.

Et pourtant… Que d’ironie et de sarcasmes à l’époque pour Ségolène Royal. Que n’a-t-on entendu sur le thème ricanant de la Madone : la Madone du Poitou, la Madone des sondages, la Madone immaculée avançant tout de blanc vêtue, marchant sur l’eau. Ségolène Royal adoptait des « postures », elle entendait des voix, elle exaspérait, « elle se prend pour Jeanne d’Arc », ricanait-on. Autant de façon de délégitimer sa candidature.

Deux poids deux mesures pour la figure christique en politique selon que l’on soit une femme ou un homme ? Probable. Quand Ségolène Royal déclenche l’ironie, Emmanuel Macron séduit. Quand Ségolène Royal ouvre les bras et sourit, extatique, on dit posture. Quand Emmanuel Macron ouvre les bras et sourit, extatique, on pense mystique. Bécassine contre Charles Péguy.

Emmanuel Macron, très proche en mystique et en politique de Ségolène Royal qui l’a adoubé, devrait se méfier. Même s’il semble qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle, les jeux ne sont pas faits.

* Propos d’Emmanuel Macron, in « Macron confidences sacrées » par Anna Cabana, JDD, 12 février 2017.

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