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François Fillon quitte son QG de campagne accompagné de son porte-parole Jérôme Chartier (droite), le 1er mars 2017.© Keystone
Richard Werly
Le candidat de la droite à la présidentielle française ne renoncera pas malgré l’annonce de sa mise en examen le 15 mars. Il en a de nouveau appelé au peuple contre les juges. Une surenchère assurée de constituer, désormais, l’axe central de cette présidentielle française de tous les dangers
Alors que beaucoup d’observateurs misaient sur son retrait, le candidat de la droite à la présidentielle française a donc choisi, à 53 jours du premier tour le 23 avril, de tout risquer: son avenir bien sûr, mais aussi celui de sa famille politique et, quelque part, celui de la cohésion républicaine dans une France où les juges et les médias sont désormais devenus des cibles pour les prétendants à la fonction suprême.
Son intervention, décidée in extremis dans la matinée, est le résultat de sa convocation le 15 mars pour être mis en examen par les juges récemment nommés pour conduire l’information judiciaire sur le «Penelopegate», cette présomption d’emplois fictifs dont auraient bénéficié son épouse et deux de leurs enfants. Enterré, donc, l’engagement pris par le même François Fillon le 26 janvier, à la suite des premières révélations du «Canard Enchaîné», de se retirer de la course à l’Elysée s’il se retrouvait, précisément, mis en examen…
«Qui imaginerait le Général de Gaulle mis en examen?»
Le plus important, dans la déclaration du vainqueur de la primaire de la droite en novembre 2016, est donc cette posture. Lui, le candidat «moral», lui, le défenseur d’une remise sur pied de l’Etat aux forceps via une cure d’amaigrissement drastique de la fonction publique, lui, le gaulliste qui lançait «qui imaginerait le Général de Gaulle mis en examen?» à l’intention de Nicolas Sarkozy… se retrouve aujourd’hui en guerre ouverte face à cet Etat, incarné par les magistrats chargés de son dossier.
Son appel au peuple, avec les mots de la résistance, ne peut plus faire illusion. Quel que soit le contenu de son dossier, et les erreurs possibles des enquêteurs et des juges dans cette affaire déclenchée après sa victoire à la primaire, la déclaration de ce mercredi imprimera sa marque sur une éventuelle future présidence Fillon. C’est contre la justice que l’intéressé veut être élu, même s’il se rend à la convocation des juges, à l’inverse de Marine Le Pen qui refuse de le faire dans l’affaire des faux assistants parlementaires européens. C’est contre les médias que le député de Paris veut mobiliser son camp. Sa campagne n’est plus au service de son projet libéral de rupture d’inspiration économique. C’est une campagne mise au service d’un homme victime, selon ses propres termes, d’un «assassinat politique».
Risque d’une confrontation violente
Qu’en déduire, alors qu’Emmanuel Macron présentera jeudi son programme et que la présidente du Front national demeure nettement en tête des intentions de vote au premier tour?
D’abord que le pari de la résistance de François Fillon, pour fonctionner, risque de virer à la confrontation de plus en violente avec la justice et avec les médias. Impossible, pour le candidat de la droite qui se présente comme l’ultime rempart de son camp et l’ultime garant d’une alternance «contre la folie de l’extrême droite et pour en finir avec le hollandisme» de ne pas se poursuivre dans la surenchère, en misant sur le fait que ses adversaires, menacés pour certains par d’autres affaires, n’oseront pas l’enfoncer sur ce terrain lors du premier débat télévisé annoncé pour le 20 mars.
Le candidat Fillon va par conséquent chercher tout ce qu’il peut pour discréditer les juges, et ceux qui suivent son affaire. Peut-être trouvera-t-il des éléments convaincants? Peut-être pourra-t-il démontrer que la justice – dont il exigeait lui-même lors de la primaire qu’elle travaille plus rapidement sur les dossiers politico-judiciaires – le poursuit injustement? Mais que se passera-t-il si rien de cela n’est avéré? La lutte qui s’annonce sera pavée d’explosions dommageables pour la crédibilité des institutions dans une France balayée, comme le reste de l’Europe, par les vents mauvais du populisme antisystème et antimédias.
Affrontement de personnes
La deuxième leçon à retenir vaut pour la droite française. Celle-ci s’est retrouvée ligotée par la primaire et ses 4,4 millions de votants au second tour. Il est clair que beaucoup, dans le camp conservateur, aspiraient à un renoncement de François Fillon, ou à son désistement en faveur d’Alain Juppé. N’oublions pas non plus que les premières informations transmises au «Canard Enchaîné» viennent peut-être de ses propres rangs. François Fillon, s’il perd son pari et échoue aux portes de l’Elysée, va replonger la droite dans des affres de divisions et de règlements de comptes alors que les législatives de juin 2017 suivront. La recomposition du champ politique prônée par un Emmanuel Macron n’est peut-être pas si éloignée que cela. Et le FN en profitera aussi…
Troisième enseignement: la campagne présidentielle française n’est plus un affrontement de projets, mais de personnes et de détermination. Marine Le Pen, en défiant elle aussi la justice dans l’affaire (bien plus étayée que le «penelopegate») qui l’oppose au Parlement européen, a donné le ton. Cette campagne est une surenchère où tout s’accélère et devient plus imprévisible à chaque virage. Difficile aussi de penser que le candidat Fillon sortira indemne, sur le plan international, de ce scrutin, même s’il devait le remporter. Les primaires de droite et de gauche devaient permettre aux candidats d’exposer leurs projets et aux Français d’en débattre. Ce fut le cas, avec un certain succès. Mais qu’en reste-t-il?
Cette campagne présidentielle française de toutes les péripéties est plus que jamais, celle de tous les dangers.